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"Il n'y a plus rien qui ressemble aujourd'hui à la Guerre froide"

Géopolitis: Nouvelle donne mondiale [Reuters - Sputnik/Alexei Nikolskyi/Kremlin/Greg Baker/Jonathan Ernst]
Nouvelle donne mondiale / Geopolitis / 26 min. / le 16 avril 2023
L'année 2022, un air de Guerre froide? Pas du tout, assure le politologue Bertrand Badie. Selon lui, les relations internationales sont entrées dans une nouvelle ère, celle de la multiplication des partenaires au détriment des alliances géopolitiques pérennes.

"L'Histoire n'offre jamais d'allers-retours, elle n'offre que des allers simples", glisse en préambule Bertrand Badie, invité dans Géopolitis. Il brise d'emblée le mythe de l'éternel recommencement, une analyse au coeur du dernier ouvrage qu'il co-dirige avec Dominique Vidal. "Le monde ne sera plus comme avant" (Ed. Les liens qui libèrent, 2022) montre comment rivalités et alliances suivent une logique bien différente du siècle dernier.

Pour beaucoup d'experts, la guerre en Ukraine a été perçue comme un retour à l'affrontement de deux blocs, entre l'Est et l'Ouest. Le professeur émérite à Sciences Po Paris y voit au contraire un phénomène totalement inédit. "Il n'y a plus rien qui ressemble aujourd'hui à la Guerre froide, dit-il. La Guerre froide, c'était un affrontement idéologique. Les idéologies ont pratiquement disparu. La Guerre froide, c'était deux blocs. Il n'en reste qu'un, le bloc occidental. Et en face il y a la Russie, avec la Corée du Nord et la Syrie, ce n'est pas véritablement un bloc. Autrefois ces blocs se regardaient tels des chiens de faïence. Aujourd'hui, l'interdépendance entre tous les Etats, y compris entre la Russie et l'Europe, est énorme."

"Unions libres"

La guerre en Ukraine a été selon lui le révélateur d'une conception nouvelle des relations internationales, de ces partenariats entre Etats qui se nouent et se dénouent au gré des crises et des intérêts. "Au lieu de nouvelles alliances, se créent des connivences de circonstances, c'est-à-dire des effets d'aubaine, qui ressemblent à des unions libres. Vous passez une journée avec Erdogan, une autre avec le roi Salmane, une troisième avec Monsieur Xi Jinping et une quatrième avec le roi du Maroc", explique Bertrand Badie.

Une tendance à la multiplication des partenaires qui contraste avec "la rigidité du carcan otanien" et qui profite surtout au président russe Vladimir Poutine, selon le politologue : "Faute de bloc pour le soutenir, il sait jouer de ces différentes alliances. (...) C'est un oxygène pour cet homme, au moment où il est isolé du monde par le jeu des sanctions."

Erdogan équilibriste

La Turquie de Recep Tayyip Erdogan incarne bien cette nouvelle donne. Le président turc, qui s'est positionné en médiateur dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine, revendique d'ailleurs une "politique équilibrée". Sur le champ de bataille, les drones trucs Bayraktar sont redoutables contre les Russes. La Turquie arme l'Ukraine, tout en soignant ses relations commerciales avec Moscou, dont elle dépend pour son approvisionnement en gaz. Ankara a aussi choisi les S-400 russes pour son système de défense antimissile. Erdogan condamne l'invasion de l'Ukraine, mais n’applique pas les sanctions occidentales.

Une position d’équilibriste que le président turc adopte sur bien d’autres fronts. Allié des Etats-Unis au sein de l'Otan, il ne poursuit pas toujours les mêmes objectifs, notamment en Syrie contre les Kurdes. En pleine crise économique, la Turquie multiplie les partenaires. Elle renoue avec l’Egypte et l’Arabie saoudite. Elle se rapproche d’Israël, tout en soutenant les Palestiniens. Erdogan joue de ce positionnement ambigu pour faire de la Turquie une acteur incontournable.

Rivalité sino-américaine

Entre les Etats-Unis et la Chine, la compétition commerciale et technologique s'est muée en confrontation plus musclée sous la présidence de Donald Trump. Pour autant, la rivalité sino-américaine ne suit pas une logique de confrontation similaire à l'époque de la Guerre froide, poursuit Bertrand Badie.

"Il y a bien sûr cette dimension politique et militaire, mais il y a en même temps - si on prend comme référence l'année 2022 - 700 milliards de dollars d'échanges. Donc cette rivalité est doublée d'une interdépendance économique extrêmement forte." Le politologue souligne que la Chine n'a aucun intérêt à une aggravation des conflits: "L'un des postulats de la diplomatie chinoise, c'est que la Chine a besoin d'un monde stable, d'une économie mondiale prospère (...), sans quoi tout son pari de prendre la tête de la mondialisation viendrait à s'effondrer."

Refuser de choisir un camp est une politique menée traditionnellement par l'Inde, ainsi que d'autres anciennes colonies, depuis la création du mouvement des "non-alignés" durant la Guerre froide. New Dehli s'est d'ailleurs abstenue de condamner l’invasion russe, tout comme de nombreux pays africains.

>> Lire aussi : Bertrand Badie: "Le Grand Sud considère que la guerre d'Ukraine n'est pas la sienne"

Mélanie Ohayon

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