De retour dans sa résidence en Floride, Donald Trump a qualifié mardi "d'insulte à la nation" son inculpation officielle plus tôt devant un tribunal de New York, lors d'un jour historique pour une Amérique fracturée.
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Invitée mercredi de l'émission Tout un monde de la RTS, Mathilde Philip-Gay, co-directrice du Centre de droit constitutionnel à l’Université Jean Moulin Lyon-3, esquisse les étapes judiciaires qui attendent ou menacent le candidat d'ici l'élection présidentielle américaine de novembre 2024.
Des délits que l'on peut considérer comme graves pour un ex-président
Le moment vécu mardi par l'ancien président des Etats-Unis en garde à vue, loin de ses gardes du corps mais surveillé par des policiers du tribunal debout derrière lui, a une force symbolique. Mais ce qui lui est reproché dans le cadre de cette procédure relève du domaine des délits et non pas des crimes au regard de la loi américaine.
"Ce n'est pas un dossier énorme. Si ça n'avait pas été Donald Trump, il n'y aurait pas eu d'accusation", souligne d'emblée Mathilde Philip-Gay. "Mais c'est grave parce que c'est un ancien président des Etats-Unis qui, dans le cadre d'une campagne électorale, aurait pu d'après le procureur essayer d'étouffer trois affaires très gênantes qui auraient pu empêcher sa réélection".
Un bras de fer avec des procureurs étiquetés politiquement
D'autres affaires visant le républicain sont en cours actuellement, potentiellement plus graves comme des questions d'interférence directe dans les résultats de l'élection présidentielle de 2020. Et si les cas relativement légers sont sortis en premier, c'est aussi parce qu'il y a une sorte de duel entre Donald Trump et la justice.
C'est très cinématographique, on a un duel entre un procureur et Donald Trump.
"C'est très américain, très cinématographique", lance Mathilde Philip-Gay. "On a un duel entre un procureur et Donald Trump". Et le premier "avance ses billes de manière assez stratégique en prenant une affaire facile à prouver", poursuit-elle avant de rappeler qu'il y a d'autres affaires. "Il y aurait des faux en écritures, des histoires financières de sa société. Il n'en a pas fini avec les affaires, mais je crois que le procureur essaie, par sa stratégie, de commencer par le plus facile".
Les procureurs sont élus aux Etats-Unis. Ils ont donc une couleur politique et Alvin Bragg est démocrate. Cela donne un bon argument à Donald Trump quand il parle de persécution politique. Mais "les procureurs sont quand même élus sur leurs compétences", fait remarquer la co-directrice du Centre de droit constitutionnel à l’Université Jean Moulin Lyon-3.
Des signes qui vont à l'encontre des accusations d'acharnement judiciaire
Connu pour ses positions progressistes, Alvin Bragg a déjà enquêté précédemment sur des affaires concernant Donald Trump. Il avait notamment provoqué la dissolution de la Fondation Trump, rappelle cette spécialiste. "Et on pourrait dire qu'il y a un acharnement contre lui.
Mais il y a quelque chose qui plaide en sa faveur, ajoute-t-elle: "Alvin Bragg, quand il a été saisi de l'affaire [qui lui a valu son inculpation mardi], a eu des doutes, il a essayé de faire reculer son équipe. Il semblerait qu'il ait essayé de dire que, sans preuves, il ne prendrait pas cette affaire."
Alvin Bragg a eu ces doutes qui peuvent montrer à mon avis qu'il est impartial.
Et pour Mathilde Philip-Gay, ces doutes desservent l'accusation de ne pas être impartial. "Il est pris pour cible par Donald Trump, qui voit en lui un suppôt de Joe Biden, mais c'est plus compliqué que ça", dit-elle. "Il est élu, mais aussi sur ses compétences, et il a eu ces doutes qui peuvent montrer à mon avis qu'il est impartial".
La justice américaine est vraiment organisée pour être indépendante, estime encore l'universitaire française. "L'élection peut aussi être considérée comme un mode plus démocratique de choisir les procureurs, et ça permet à chaque élection de remettre en cause le travail du procureur s'il ne satisfait pas les citoyens. Donc il y a quand même une dimension très démocratique dans cette façon de rendre la justice".
Des procédures potentiellement beaucoup plus graves attendent Donald Trump
D'autres procédures sont en cours contre Donald Trump, notamment en Géorgie pour interférence dans l'élection présidentielle. Il avait appelé les autorités de l'Etat en janvier 2021 pour leur demander d'inverser le résultat en sa faveur. Et si cette procédure aboutit, l'affaire est potentiellement beaucoup plus grave.
Mardi, "Donald Trump est ressorti libre de son audition parce que c'est considéré comme un délit non violent", note Mathilde Philip-Gay. "Mais il y a un moment où l'accumulation des faits, des infractions, pourra poser la question de son éventuelle incarcération. Et là, pour sa campagne électorale, ce serait assez complexe".
Une justice qui pourrait aussi servir électoralement le candidat républicain
Dans cette perspective, l'ancien président joue évidemment la carte de la victimisation. "Cette position antisystème, de persécution, le sert vraiment auprès de ses électeurs. Un petit séjour [en prison] ne serait pas forcément pour lui déplaire", souligne-t-elle.
D'autant qu'aucune procédure n'empêcherait le républicain d'être candidat, voire d'être réélu à la présidence des Etats-Unis, à l'exception d'une procédure de destitution. "On peut destituer un ancien président pour l'empêcher d'être candidat à la présidentielle mais Donald Trump est déjà passé par deux procédures en destitution, il a réussi à y échapper", rappelle Mathilde Philip-Gay. "Ce serait curieux qu'il y en ait une troisième".
Le choix délicat des procureurs face au risque d'interférer dans la campagne
Le rythme de la justice est plus lent que celui de la politique, et il est difficile aujourd'hui de prévoir si l'une ou l'autre des procédures en cours contre Donald Trump aboutiront avant l'élection présidentielle américaine de l'automne 2024.
Donald Trump peut continuer sa campagne électorale, ça n'a pas l'air de le perturber beaucoup.
"Pour les 34 chefs d'inculpation présentés mardi, il ne risque en tout cas pas l'incarcération", estime la co-directrice du Centre de droit constitutionnel à l’Université Jean Moulin Lyon-3. "Donc il peut continuer sa campagne électorale. Il semble aussi que les dons affluent et ça n'a pas l'air de le perturber beaucoup".
La situation pourrait être différente en cas d'autres inculpations. Mais "pour les procureurs c'est délicat", souligne-t-elle, "parce qu'interférer dans la campagne peut leur être reproché".
Et comme le rôle de procureur reste quand même très politique, "il ne faut pas avoir l'air de faire de l'acharnement". Donc, "est-ce que d'autres procureurs vont suivre?", interroge Mathilde Philip-Gay. "Il va falloir qu'ils soient vraiment sûrs de leurs billes en tout cas".
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/oang