En février, les nouvelles parvenant du front de la région de Bakhmout étaient mauvaises. Plusieurs briefings de l'armée ukrainienne évoquaient une avancée des forces russes qui pourrait pousser à un retrait imminent. Deux mois plus tard pourtant, les combats se poursuivent dans la cité du Donbass et ses alentours.
Les documents classifiés américains divulgués en ligne confirment bien cette situation, mais apportent des détails plus précis et jusqu'alors inconnus. Ils rapportent aussi la façon dont Kiev a réussi à s'en sortir, au moins temporairement.
"Le dernier tube respiratoire"
Dans une note du 25 février, les services de renseignement américains estiment que les troupes ukrainiennes sont sur le point d'être encerclées de "manière opérationnelle". Les soldats russes et mercenaires du groupe paramilitaire Wagner avancent par le sud-ouest et le nord-ouest et se rapprochent dangereusement d'une route d'approvisionnement, la dernière qui permet l'accès à la région pour les forces ukrainiennes.
Le colonel général Oleksandr Syrsky, commandant des forces terrestres ukrainiennes, estime qu'il s'agit là du "dernier tube respiratoire" pour Kiev. Si les troupes venaient à être encerclées, il deviendrait alors impossible de ravitailler les soldats en munitions, ni d'évacuer les blessés. La situation est donc extrêmement critique.
Les documents américains montrent que Roman Mashovet, conseiller du chef de cabinet de la présidence, partage cette analyse lors d'un briefing. Il explique que la seule route encore praticable est d'ailleurs déjà "sous le feu de l'artillerie" et que le moral des hommes est extrêmement bas.
Les forces spéciales à la rescousse
L'évaluation des services de renseignement américains indique qu'un débat s'ouvre à Kiev pour décider de la solution à apporter à ce problème. Oleksandr Syrsky demande alors l'appui de forces spéciales.
Kyrylo Budanov propose de déployer pour deux semaines des hommes du régiment Kraken, des forces spéciales de volontaires à qui l'on attribue notamment un rôle important dans la reprise d'Izioum, lors de la contre-attaque dans la région de Kharkiv, au printemps dernier. Le directeur du renseignement militaire ukrainien juge alors la situation "catastrophique", selon une retranscription du New York Times.
La décision est prise au plus haut niveau et les forces spéciales sont finalement envoyées sur place. L'Ukraine parvient à repousser les forces russes de manière suffisante pour rendre possible l'évacuation des blessés et le réapprovisionnement en nourriture et en armes.
Un frein à l'avancée russe mais des conséquences pour la suite
Prise dans l'urgence, la décision du gouvernement ukrainien a donc permis de stabiliser la situation et d'empêcher une chute complète de la ville de Bakhmout.
En fixant les troupes russes dans les environs, Kiev a pu gagner du temps, utile notamment pour la formation de nouvelles unités ou encore pour l'arrivée de munitions et de matériel de guerre en provenance des Etats-Unis ou d'Europe.
A contrario, ce choix pourrait aussi avoir eu des conséquences stratégiques négatives, alors que les généraux cherchent à conserver leurs soldats les mieux équipés et les mieux entraînés pour une contre-offensive qu'on annonce ce printemps.
Prise inéluctable?
Les fuites des documents classifiés, qui donnent également certaines informations sur les défenses antiaériennes ukrainiennes, pourraient par ailleurs pousser Kiev à modifier certains de ses plans tactiques, a expliqué à CNN un responsable proche du président ukrainien Volodymyr Zelensky, sous couvert d'anonymat.
>> Lire à ce sujet : Risque "très grave" pour la sécurité des Etats-Unis après la fuite de documents
Le sauvetage in extremis du dernier corridor de sortie pour les troupes ukrainiennes ne pourrait enfin avoir que retardé l'inéluctable. Selon l'Institute for the Study of War, les forces ukrainiennes ne sont plus en mesure d'effectuer des contre-attaques significatives dans la région, la Russie continue à grignoter du terrain, bloc par bloc, alors qu'un nouveau risque d'encerclement semble se préciser.
De son côté, Volodymyr Zelensky a évoqué pour la première fois la semaine dernière l'éventualité d'un retrait de la ville.
Tristan Hertig