Emmanuel Macron promulgue de manière éclair la réforme des retraites et s'exprimera lundi
L'intersyndicale avait demandé "solennellement" au président Emmanuel Macron de "ne pas promulguer la loi", mais sa demande est restée lettre morte: en promulguant le texte dès samedi, le chef de l'Etat lui a opposé une fin de non-recevoir. Il disposait pourtant de quinze jours après la validation de la plupart des mesures de la réforme vendredi par le Conseil constitutionnel pour apposer sa signature.
"Il n'y a ni vainqueur ni vaincu", avait assuré la Première ministre Elisabeth Borne, évoquant "la fin du cheminement institutionnel et démocratique" du texte adopté à l'Assemblée après un recours à l'article 49.3 de la Constitution. "Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié: [...] Au premier alinéa, le mot: 'soixante-deux' est remplacé par le mot: 'soixante-quatre'", énonce notamment le texte.
Le Conseil constitutionnel a aussi bloqué vendredi une première demande de référendum d'initiative partagée (RIP) de la gauche, qui espérait entamer la collecte de 4,8 millions de signatures en vue d'une inédite consultation des Français.
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Une victoire à la Pyrrhus
Pour Emmanuel Macron, qui a annoncé une allocution lundi soir à 20h devant les Français "dans une logique d'apaisement" et pour "faire le bilan" des trois mois de crise, il pourrait s'agir d'une victoire à la Pyrrhus, tant la loi divise le pays et tant son adoption a contribué à fragiliser ses institutions.
Trois mois de contestation, douze journées de manifestations nationales avec systématiquement des centaines de milliers de personnes dans les rues - et même à quatre reprises plus d'un million de protestataires selon les autorités, deux à trois fois plus selon les syndicats -, des montagnes de poubelles dans Paris et parfois des violences n'ont pas fait fléchir l'exécutif.
Pour l'opposition, un "absurde affichage d'arrogance"
"Vouloir aller vite, ça ressemble à de la provocation", a réagi le secrétaire général du syndicat Force ouvrière (FO) Frédéric Souillot. La rapidité avec laquelle la loi a été promulguée a aussi choqué la CGT et la CFDT. Cette promulgation éclair est le signe d'un "mépris" et d'une "fébrilité", a dénoncé de son côté le numéro un du PS Olivier Faure, tandis que Jean-Luc Mélenchon (LFI) s'est élevé contre un "absurde affichage d'arrogance".
La décision a été accueillie par les huées des quelque 4000 manifestants rassemblés devant l'Hôtel de ville de Paris à l'appel de plusieurs syndicats dont la CGT et FO. Plusieurs centaines de personnes sont ensuite parties en cortèges sauvages émaillés d'incidents, entraînant l'interpellation de 138 personnes, selon la préfecture de police.
L'intersyndicale mise maintenant sur le traditionnel rendez-vous du 1er mai, qu'elle souhaite transformer en "journée de mobilisation exceptionnelle et populaire" contre la retraite à 64 ans.
La Constitution "donne des instruments extrêmement brutaux" au pouvoir
Syndicats et opposition dénoncent depuis des semaines une "crise démocratique", notamment après l'utilisation par l'exécutif de l'article 49.3, une disposition constitutionnelle permettant d'adopter la réforme sans vote direct faute d'avoir su réunir une majorité à l'Assemblée nationale pour la voter.
La Constitution française "donne des instruments extrêmement brutaux" au pouvoir, qui "aujourd'hui se heurte à une société qui ne supporte plus des décisions trop verticales", analyse le constitutionnaliste Bastien Francois. "Ce qui était acceptable dans les années 60, voire les années 80, l'est moins aujourd'hui."
afp/ther/vic
La presse française se montre critique
Les éditoriaux des journaux français, samedi matin, étaient unanimement négatifs. La presse voit en la décision du Conseil constitutionnel une "victoire juridique" mais "un désastre pour la nation". Depuis des semaines, les commentateurs politiques se montrent résolument pessimistes quant à l'état de la démocratie en France, et très critiques envers son président, qui a tout juste confessé début avril regretter "n'avoir pas toujours réussi à convaincre sur la nécessité de cette réforme".
"Il y a chez Emmanuel Macron une arrogance nourrie d'ignorance sociale", a estimé pour sa part l'historien et sociologue Pierre Rosanvallon, pessimiste pour le futur. "Le temps des révolutions pourrait revenir, ou bien ça sera l'accumulation des rancoeurs toxiques qui ouvrira la voie au populisme d'extrême-droite", prédit-il dans le quotidien de gauche Libération.
Emmanuel Macron, ce "monarque présidentiel", "creuse le fossé déjà béant" entre légitimité démocratique et souveraineté populaire, estime de son côté l'historien Jean Guarrigues dans le journal Le Monde. Ce faisant, il "ouvre la voie à tous les possibles de la violence et de la démagogie."
Répondre à la dégradation financière des caisses de retraite
Alors que la France est l'un des pays européens où l'âge de départ à la retraite est le plus bas (mais avec des systèmes très différents), l'exécutif a justifié son projet par la nécessité de répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.
Sans réforme, le système de retraite aurait accusé un déficit de 13,5 milliards d'euros en 2030, contre un bénéfice de 18 milliards après celle-ci, a-t-il argumenté. Les opposants, soit environ deux tiers des Français selon les sondages, la jugent "injuste", notamment pour les femmes et les salariés aux métiers pénibles.