Modifié

Le brasseur Anheuser-Busch perd 5 milliards en bourse après un partenariat avec une femme trans

La marque a confectionné une cannette spéciale avec le visage de l'influenceuse Dylan Mulvaney. [Dylan Mulvaney - Raphaël Dubois]
La campagne pour la Bud Light de Budweiser fait le bad buzz aux Etats-Unis: interview d’Audrey Millet / Forum / 6 min. / le 15 avril 2023
Aux Etats-Unis, la bière Bud Light du brasseur américain Anheuser-Busch s'est associée à l'influenceuse transgenre Dylan Mulvaney. Mais son pari de miser sur l'inclusivité a raté: la marque a perdu 5 milliards de dollars en bourse suite à un boycott massif.

“La violence de sa chute en bourse est effarante, c’est du jamais vu", s'est étonnée l'historienne et chercheuse à l'Université d'Oslo Audrey Millet, qui a décrypté cet échec marketing sur Forum.

La marque avait conclu un partenariat avec Dylan Mulvaney, une femme transgenre qui documente sa transition de genre sur les réseaux sociaux auprès de millions d'abonnés. L'objectif des publicitaires était de revigorer la marque en se montrant plus inclusive.

Résultat: sa maison mère, Anheuser-Busch, qui commercialise aussi la célèbre Budweiser aux Etats-Unis, a perdu 5 milliards de dollars en bourse, car la marque a subi un boycott massif par une partie des consommateurs.

Pas le bon public-cible

"Cette bière a déjà une histoire. Elle est peu chère, consommée par beaucoup de conservateurs, et elle est notamment la bière qui a été copiée dans l’émission des Simpson”, rappelle l'historienne. Selon elle, la marque a mal estimé qui est le public-cible auquel elle s'adresse.

"D'autres marques ont subi de lourdes critiques, mais pas à ce point", ajoute Audrey Millet. Après un "bad buzz" comme celui-là, elle estime que "Bud Light risque simplement de changer de publicité, sans personne transgenre, car elle a compris qui est son public."

Pour l'historienne, la marque aurait franchi une ligne rouge. Même si l'on observe une évolution des moeurs au sujet des revendications sociales, et que l'on voit de plus en plus de femmes trans dans la publicité, par exemple, la visibilisation des personnes transgenres reste très difficile, explique-t-elle.

La masculinité toxique selon Gillette

Ce n'est pas la première fois qu'une marque subit d'importants revers en tentant une telle stratégie. "Il y a déjà eu Gillette, la marque de rasoir fondée en 1901 avec son slogan 'le meilleur qu'un homme puisse obtenir' [dans le monde anglophone, ndlr]. En 2019, le marketing de Gillette change sa stratégie, après MeToo, et le slogan devient 'le meilleur qu’un homme puisse être'" rappelle Audrey Millet.

A cette occasion, la marque avait alors diffusé un clip dans lequel on voyait principalement des hommes en train de tenir des discours genrés et faire des activités caricaturalement masculines, comme s'occuper d'un barbecue, puis le clip posait la question: "Est-ce vraiment le meilleur qu'un homme puisse être?"

"La pub insistait sur le problème de la masculinité toxique", précise l'historienne. "Ce fut un tollé et la marque a essuyé beaucoup plus de 'dislike' que l’inverse. Tout comme Bud Light, Gillette n’a pas choisi le bon public auquel s’adresser."

>> Lire à ce sujet : La marque Gillette crée l'émoi avec une pub contre la virilité "toxique"

Polarisation autour du "wokisme"

"Il y a une tendance aux Etats-Unis qui consiste en une véritable confrontation entre "woke" et "anti-woke". Des marques refusent ouvertement d’être woke, d’inclure plus de personnes noires, plus de femmes" rapporte Audrey Millet. Pour elle, ces marques s'adressent à un public plutôt conservateur.

"Le combat sur le wokisme est dévoyé depuis plusieurs années. Il y a une lutte entre woke et anti-woke, entre conservateurs et progressistes". Elle rappelle que "woke" veut dire "être éveillé", à savoir reconnaître les inégalités sociales et les atteintes à la démocratie, ce qui lui semble être "assez positif".

ks/Raphaël Dubois

Publié Modifié