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"Usines à bébés", "machines à fric": révélations sur la face cachée des crèches en France

En France, un rapport alarmant de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) fait état de cas de maltraitance à la fois morale et physique dans plusieurs crèches du pays. [Image Source/AFP - Charles Gullung]
En France, un rapport alarmant de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) fait état de cas de maltraitance à la fois morale et physique dans plusieurs crèches du pays. - [Image Source/AFP - Charles Gullung]
En France, un rapport alarmant de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) fait état de cas de maltraitance à la fois morale et physique dans plusieurs crèches du pays. En cause, notamment, des impératifs de rentabilité et un manque de personnel.

Des enfants oubliés sur les toilettes, privés de sieste faute de lits disponibles ou encore forcer à manger au point de vomir. Le rapport d'une centaine de pages, publié le 11 avril dernier, a suscité une onde de choc en France. Les inspecteurs ont été missionnés par le gouvernement après la mort d'un bébé de 11 mois dans une crèche privée à Lyon en juin 2022. Leur conclusion: la situation est "très disparate" d'un établissement à l'autre, le meilleur côtoyant le pire.

Pour mener leur enquête, les inspecteurs se sont rendus dans 36 établissements publics et privés à travers la France et ils ont diffusé un questionnaire auquel ont répondu 5275 directeurs, 12'545 salariés de crèches et près de 27'671 parents. Beaucoup des adultes interrogés ont décrit des situations s'apparentant à de la maltraitance, évoquant des enfants oubliés sur les toilettes, laissés en pleurs jusqu'à épuisement ou encore privés d'eau.

Enfants privés d'eau pour faire des économies

"Usine à bébés, machine à fric". Les mots employés par les professionnels de la petite enfance pour décrire leur lieu de travail reflètent le malaise qui règne au sein de la profession. Dans le rapport, ils décrivent leur désarroi de ne pas pouvoir faire correctement leur travail, faute de moyens: "nous ne répondions qu'aux besoins primaires et souvent nous finissions la journée en pleurs, en train de donner un biberon à un enfant, par frustration de mal faire notre travail". D'autres racontent devoir "accueillir 23 enfants, à deux, de 7h30 à 9h45, sans aucune aide".

D'autres témoignages font état d'enfants à qui on ne donne pas à boire pour économiser sur les couches, que l'on humilie ou insulte ("tu chouines pour rien", "tu sens mauvais"...), que l'on nourrit de force en leur pinçant le nez pour qu'ils ouvrent la bouche, ou même que l'on maltraite physiquement en leur tirant les cheveux ou en les attachant à un radiateur.

Le rapport pointe du doigt "le côté commercial beaucoup trop présent", mais aussi "une équipe prisonnière des protocoles trop lourds à mettre en place au détriment de l'accueil et l'accompagnement des enfants".

 "T'es gros, t'arriveras jamais à marcher"

Le lendemain de la publication du rapport, la chaîne d'information en continu BFTMTV a publié une enquête de six mois sur les structures d'accueil pour enfants de moins de trois ans. La journaliste de la chaîne a réussi à se faire recruter dans une crèche appartenant à un grand groupe privé, sans diplôme dans la petite enfance, ni aucune formation.

Pendant les huit jours de son immersion, elle a pu constater que les enfants sont livrés à eux-mêmes. Très peu d'activités leur sont proposées, contrairement aux promesses du site internet qui vante un environnement "ludique, sécurisé et apprenant", "des jeux adaptés au développement psychomoteur de chaque enfant et selon son âge" ainsi qu'un accueil "de haute qualité éducative".

La journaliste en immersion va également assister à d'autres manquements: un midi, les professionnels oublient de faire boire de l'eau aux enfants. Elle le fait remarquer à la directrice, qui lui répond qu'il leur arrive "de ne pas y penser". Mais cette crèche ne semble pas être un cas isolé. Engagée dans une autre crèche privée, la journaliste inexpérimentée doit s'occuper seule de neuf enfants en même temps, dont deux qui ne savent pas marcher.

Dans cette seconde structure, la journaliste apprend également qu'une auxiliaire de puériculture (ndlr: aujourd'hui licenciée pour faute grave) a insulté certains enfants. Cette personne était en poste depuis deux ans et la situation était connue de ses collègues, qui évoquent des propos tels que "t'es gros, t'arriveras jamais à marcher", ou "tu vas être obèse comme ta mère".

Comment expliquer de tels manquements?

Pour Olivia, auxiliaire de puériculture depuis près de dix ans, actuellement employée dans une crèche municipale à Paris, le principal problème est le manque de personnel. "Cela entraîne plus de fatigue, plus d'arrêts maladie, plus de difficultés à poser nos congés..." explique-t-elle dans le Figaro. Une dégradation des conditions de travail qui s'est "accentuée depuis le Covid". Dans un tel contexte, les conditions d'accueil "sont forcément moins bonnes", décrit-elle.

Les faibles niveaux de rémunération, la qualité de vie au travail, le sentiment de ne pas pouvoir accorder à l’enfant le temps dont il a besoin ne permettent pas d’attirer et de fidéliser le personnel

Rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas)

Une analyse partagée par les auteurs du rapport, pour qui la pénurie de professionnels dans le domaine de la petite enfance constitue un facteur aggravant autant qu'un symptôme. "Les faibles niveaux de rémunération, la qualité de vie au travail, le sentiment de ne pas pouvoir accorder à l'enfant le temps dont il a besoin ne permettent pas d'attirer et de fidéliser le personnel". Les auteurs appellent donc à une revalorisation du métier.

Mesures annoncées par le gouvernement

A la fin de leur rapport, les auteurs émettent plusieurs recommandations telles qu'un renforcement des contrôles, un relèvement des taux d'encadrement et du niveau de qualification des professionnels, mais aussi un mode de financement des établissements conditionné à des objectifs de qualité.

Face à ces constats, "l'ensemble des recommandations" de ce document sera prise en compte, a déjà assuré mardi le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, qui souhaite "agir rapidement". Le ministre devrait annoncer des mesures dans le courant du printemps, dans le cadre du "service public de la petite enfance", promis par le président Emmanuel Macron, avec la création de 200'000 nouvelles places d'accueil d'ici 2027.

En juillet dernier, un rapport de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) estimait que "48,6% des crèches collectives" manquaient de personnel et que près de 10'000 places d'accueil étaient "durablement fermées ou inoccupées à cause d'une difficulté de recrutement".

Et en Suisse?

En Suisse aussi, des crèches ont connu des cas de maltraitance, de manière sporadique. En 2012, une directrice de crèche à Peseux (NE) est dénoncée par les services de l'État pour des actes présumés de maltraitance physique et psychique sur des enfants de deux mois à quatre ans. En décembre 2014, une crèche de l'Etat de Vaud est également épinglée pour des faits de maltraitance, signalés depuis cinq ans. Les plaintes mentionnaient des enfants oubliés dehors, enfermés aux WC durant des heures, nourris de force, avec des culottes souillées d'urine posées sur la tête ou bâillonnés.

>> Lire aussi : Enquête contre des employés d'une crèche de l'Etat de Vaud

Plus récemment, en septembre dernier, une Vaudoise a reconnu avoir ligoté des garçons de deux ans, alors qu'elle travaillait dans une garderie située à Montreux. Elle aurait ensuite envoyé des photos à sa collègue, qui l'aurait laissé faire. Toutes les deux ont été licenciées.

Selon une enquête de l'Association suisse des structures d'accueil de l'enfance, publiée en mai dernier, le secteur de l'accueil extrafamilial traverse une crise. La pénurie de personnel qualifié s'aggrave, le nombre de places d'accueil a baissé, tout comme la qualité pédagogique.

Le Syndicat des Services Publics (SSP), qui a mené une enquête sur la santé auprès de plus de 700 personnes travaillant dans des crèches, dresse également un portrait inquiétant de la situation. Selon leur rapport, près de 60% des professionnels interrogés ont indiqué devoir travailler dans des crèches en sous-effectif. Des conditions de travail qui ne sont pas sans conséquence sur leur santé. Près de 80% se sentent stressés au travail et près de la moitié souffrent de troubles du sommeil. En outre, environ 40% d'entre eux envisagent de changer de travail.

Hélène Krähenbühl

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En Suisse, environ 60% des moins de 13 ans sont pris en charge par des tiers

En Suisse, près de trois enfants sur cinq de moins de treize ans sont confiés à une garde extrafamiliale. En semaine, 36% fréquentent une crèche ou une structure d'accueil parascolaire (école à horaire continu ou garderie) et 28% sont confiés à leurs grands-parents.

Les ménages recourent très différemment aux solutions d'accueil extrafamilial proposées, selon la région considérée, détaille l'Office fédéral de la statistique. Cela tient notamment aux différences d'offres mises sur pied.

Dans les cantons romands, à Bâle-Ville ou encore à Zurich, plus de 70% des parents recourent à la garde extrafamiliale, et surtout à celle de type institutionnel comme les crèches et les structures d'accueil pour écoliers. Selon l'OFS, ce sont prioritairement des parents qui possèdent un bas ou un haut revenu, qui confient leurs enfants à une crèche.

>> Les précisions de La Matinale :

En Suisse, environ 60% des enfants moins de 13 ans sont gardés par des tiers (grands-parents, amis, voisins). [Depositphotos - racorn]Depositphotos - racorn
Une étude montre que 60% des enfants en Suisse sont confiés à une garde extrafamiliale / La Matinale / 55 sec. / le 19 avril 2023

>> Plus d'informations : En Suisse, trois enfants sur cinq sont confiés à une garde extrafamiliale