La Chine et l'Inde sont toutes deux peuplées de plus de 1,4 milliard de personnes. Mais elles se distinguent par leurs politiques de naissances et leurs perspectives démographiques.
La première "a pratiqué à partir des années 1970 des politiques extrêmement brutales", rappelle Michel Oris. "Elles ont brisé la fécondité et la natalité. La Chine s'est retrouvée, pour son expansion économique à la fin du XXe siècle, avec une énorme masse d'adultes, peu de vieillards et de moins en moins d'enfants. Maintenant, ces adultes sont en train de passer à la retraite et la Chine a des perspectives économiques assez sombres. Elle va vieillir avant d'être complètement sortie de la pauvreté", soutient-il. L'année passée, sa population a baissé, pour la première fois en six décennies.
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Période d'autoritarisme
L'Inde, en revanche, a évolué de manière "beaucoup plus progressive", souligne le professeur de démographie. Avec toutefois un épisode autoritaire au début des années 1970, alors qu'Indira Gandhi occupe le poste de Première ministre.
On n'est pas revenu à des dérives d'une telle ampleur
"Il y a eu un état d'urgence démographique, où il y a eu violation des droits humains. En l'occurrence, le gouvernement a perdu les élections suivantes, et on n'est pas revenu à des dérives d'une telle ampleur." Des paramilitaires et des policiers avaient alors par exemple enlevé des femmes Intouchables ou d'origine tribale pour les stériliser de force.
Autre méthode
Ces actes brutaux sont toutefois restés limités dans le temps, précise le spécialiste des vulnérabilités humaines. Par la suite, les autorités ont choisi une stratégie moins violente, bien que roublarde.
Le taux de fécondité de l'Inde a baissé au fil des années. Il est aujourd'hui de 2,1 enfants par femme, contre 6 dans les années 1950. "Il a vraiment fallu convaincre les familles de faire moins d'enfants. Un Premier ministre indien s'était même arrangé avec des magnats de Bollywood pour que, dans les films, les petites familles soient heureuses et que les grandes familles soient malheureuses ", raconte Michel Oris.
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"Après la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu des importations massives dans tous les pays du tiers-monde de médicaments occidentaux – pénicilline, antibiotiques, vaccins – qui ont fait reculer la mortalité des enfants. Ce qui veut dire que, trente ans plus tard, il y a des cohortes d'adultes beaucoup plus nombreuses que les précédentes. Ils font moins d'enfants que leurs parents, mais sont plus nombreux à en faire", explique le spécialiste. En bref, la fécondité baisse, mais la natalité reste élevée. Ce qui explique pourquoi l'Inde surpasse aujourd'hui la Chine.
"La trajectoire indienne est plus progressive"
Désormais, l'évolution indienne est plus facilement prévisible. "Dans les rapports entre la démographie et l'économie, pour permettre un accroissement du bien-être social, ce qui compte n'est pas tellement la taille de la population, même si elle a quand même son importance, mais les structures démographiques: la proportion d'adultes et de vieillards, et à quel rythme on va vieillir", développe Michel Oris. "De ce point de vue-là, la trajectoire indienne est plus progressive et donc moins difficile à anticiper et à gérer."
Le modèle économique de la péninsule change en même temps que la population. "L'Inde est dans une période de transition, où on atteint les limites d'un système à forte consommation de main-d'œuvre mal payée, qui permet de fabriquer des produits concurrentiels sur les marchés globaux", indique le démographe.
Les familles ont plus de moyens à mettre pour éduquer leurs enfants
Le pays avance désormais vers un système "plus qualitatif". Avec la baisse du taux de fécondité, chaque enfant dispose de plus d'attention. "Les familles ont plus de moyens à mettre pour éduquer leurs enfants. Par ailleurs, depuis 25 ans, les Etats indiens ont beaucoup investi dans le système scolaire. Cela veut dire que vous avez la main-d'œuvre d'un pays émergent."
Pas cousue de fil blanc
Cette mue de la société indienne n'était pas cousue de fil de blanc. "Quand j'avais l'âge de mes étudiants, si j'avais dit que l'Inde sortirait des tiers-mondes et serait une grande puissance économique, j'aurais non seulement raté mes études, mais on m'aurait peut-être catalogué chez les fous", sourit le professeur genevois.
Pour Michel Oris, l'accroissement des libertés individuelles, un meilleur contrôle de la démographie et un développement économique plus redistributif vont de paires. L'Inde a toutefois encore du chemin devant elle. Le professeur évoque la question de genre: "Dans le cas indien, la question de l'égalité est très compliquée."
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Antoine Michel
Le marché de l'emploi indien au défi de la démographie
La population indienne est particulièrement jeune. Plus de la moitié des Indiens ont entre 20 et 60 ans et près de 10 millions de diplômés arrivent chaque année sur le marché du travail. Une véritable opportunité pour développer le pays. Mais les jeunes peuvent aussi devenir un fardeau s'ils ne trouvent pas de travail.
Les usines embauchent peu. Le secteur des nouvelles technologies reste le fleuron de l'économie de la péninsule. Il représente 8% du PIB indien, mais n’absorbe pour l’instant que 1% de la main-d'oeuvre.
Les services doivent donc absorber la demande de travail. Or, l'essentiel des métiers proposés sont peu qualifiés, comme dans la sécurité, la livraison ou encore la vente de détail.
Le Saint-Graal de la fonction publique
Peinant à trouver des métiers bien payés et gratifiants dans le secteur privé, les diplômés espèrent donc entrer au service de l'Etat.
"Si j’obtiens un emploi de fonctionnaire, j’aurai un bon salaire, un travail stable et garanti", explique dans Tout un monde Manoj Sharma. Ce fils d’agriculteur diplômé d’une licence s'est rendu à New Delhi depuis l’Etat voisin du Haryana, afin de passer le concours d'entrée dans la fonction publique, sésame vers une vie meilleure.
"C’est toute ma vie et celle de ma famille qui changera, nous serons aussi mieux respectés. J’aimerais entrer dans la police, mais je suis prêt à tout prendre, tant que c’est un emploi public", déclare-t-il. Ces concours sont toutefois très demandés et, donc, difficiles: seul un candidat sur 300 est reçu en moyenne.