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David Colon: "Le mépris de la vérité est au coeur des médias de Rupert Murdoch"

Les chaînes de télévision américaines comme Fox News font souvent l'objet de critiques car elles partagent de fausses information et en ont conscience. [Keystone - Justin Lane]
Que cherchent Fox News et Rupert Murdoch ? Interview de David Colon / Tout un monde / 11 min. / le 20 avril 2023
Fox News versera 787,5 millions de dollars pour éviter un procès en diffamation lié à la présidentielle de 2020. L'impact sur le propriétaire de la chaîne et son empire, Rupert Murdoch, sera toutefois insignifiant, a estimé l'historien et professeur à Sciences-Po David Colon jeudi sur les ondes de la RTS.

L'entreprise Dominion Voting Systems, qui fabrique des systèmes de vote électronique, accusait dans sa plainte Fox News de l'avoir présentée comme un instrument au service des démocrates pour truquer le scrutin, ce qu'affirmaient sans preuve des membres de la garde rapprochée de Donald Trump sur le plateau de la chaîne la plus regardée du câble américain.

>> En lire plus : Poursuivie pour diffamation, la chaîne américaine Fox News conclut un accord

Avec une transaction financière, Fox News s'évite un procès retentissant et probablement un témoignage à la barre du propriétaire de sa maison mère, Fox Corporation, le magnat des médias Rupert Murdoch, 92 ans. Il s'agit d'une "victoire" pour Fox News, selon David Colon, auteur de "Rupert Murdoch: l'empereur des médias qui manipule le monde".

L'homme d'affaires n'avait aucune intention d'aller jusqu'au procès. Il a donc tenté jusqu'au dernier moment de négocier la somme "la moins lourde pour ses finances". Les 787,5 millions de dollars que Fox News paiera à Dominion représente "seulement 6% du chiffre d'affaires" de Fox Corp., a indiqué David Colon dans l'émission Tout un monde.

>> Regarder aussi les explications du 12h45 mercredi :

Pour éviter un procès, la chaîne américaine Fox News signe un accord de dernière minute et versera 787,5 millions de dollars
Pour éviter un procès, la chaîne américaine Fox News signe un accord de dernière minute et versera 787,5 millions de dollars / 12h45 / 2 min. / le 19 avril 2023

S'adresser à l'électorat trumpiste

L'accord a été rapporté sobrement dans les flashs d'information de la chaîne. "Ses téléspectateurs n'en savent rien, n'en sauront rien. Fox News n'a même pas présenté d'excuses, ce qui est exceptionnel dans ce cas de figure. Depuis le début des problèmes judiciaires, la chaîne n'a jamais baissé le ton en terme de désinformation, de théories du complot et de climatoscepticisme ", décrypte-t-il.

"Le mépris inconsidéré de la vérité est au coeur du modèle économique des médias de Rupert Murdoch depuis septante ans", explique l'historien. L'affaire ne changera qu'une seule chose au sein de Fox News, selon lui: "Ses présentateurs se garderont désormais de donner le nom d'une entreprise lorsqu'ils diffuseront une théorie du complot. S'ils n'avaient pas mentionné le nom de Dominion, le procès n'aurait pas eu lieu."

La richesse absolument extraordinaire de Fox News dépend entièrement de la fidélité de ses téléspectateurs

David Colon, historien et professeur à Sciences-Po

Fox News est le point de référence d'un public bien spécifique: les "républicains conservateurs partisans de Donald Trump", indique David Colon. "La richesse absolument extraordinaire de Fox News dépend entièrement de la fidélité de ses téléspectateurs. C'est la raison pour laquelle Rupert Murdoch, au début de l'année 2021, et ses différents présentateurs vedettes comme Tucker Carlson ont veillé à laisser ces théories du complot être diffusées à l'antenne pour ne pas voir partir leurs téléspectateurs."

Le pouvoir, "sa drogue"

Le professeur à Sciences-Po rappelle que Rupert Murdoch a diffusé "plus d'une fois" dans sa vie des théories du complot ou de fausses informations. En 1983, par exemple, il a publié le faux journal intime d'Adolf Hitler dans le "Sunday Times". "Il cherche à diffuser ses idées lorsqu'elles sont en conformité avec celles de ses auditeurs, lecteurs et téléspecteurs. Et quand, pour le bien de ses affaires, il y a des idées extrêmes attendues de son public, il les lui donne. Car il a appris depuis son plus jeune âge qu'il faut donner au public ce qu'il veut entendre."

Pour lui, Fox News a été le point d'entrée dans le Parti républicain qu'il contrôle assez largement à travers la sélection de son personnel politique sur sa chaîne

David Colon, historien et professeur à Sciences-Po

La stratégie de l'homme d'affaires est d'exercer une influence politique. "Son véritable moteur, sa drogue, c'est le pouvoir. Ce qu'il appelle le 'vrai pouvoir', pas celui qui découle de l'élection, mais celui de la propriété d'un groupe de médias."

L'historien cite l'élection de Donald Trump ou le Brexit dans les "faits d'armes" de Rupert Mudoch. "Pour lui, Fox News a été le point d'entrée dans le Parti républicain qu'il contrôle assez largement à travers la sélection de son personnel politique sur sa chaîne."

Relation ambivalente avec Trump

Donald Trump a accordé à Rupert Murdoch des "faveurs inouïes" en favorisant la vente pour 70 milliards de dollars des studios de 21st Century Fox à Disney, raconte David Colon. Pourtant, il n'aime pas l'ex-président américain.

Maggie Haberman, sans doute la journaliste qui connaît le mieux Donald Trump, raconte que quand Trump annonce à Murdoch, lors d'un déjeuner à New York, qu'il veut être candidat à la présidentielle, Murdoch ne "lève pas les yeux de sa soupe".

A ses yeux, Trump est un clown qui fait vendre du papier et fait de l'audience. Il ne croyait pas à son élection

David Colon, historien et professeur à Sciences-Po

"A ses yeux, Trump est un clown qui fait vendre du papier et fait de l'audience. Il ne croyait pas à son élection. A partir du moment où Trump a été élu, Murdoch est devenu l'un de ses plus proches conseillers de l'ombre. Trump l'appelait tous les jours après chaque émission de Fox News. Il a ainsi pu 'manipuler' Trump, qui a toujours manifesté envers lui une admiration teintée de jalousie."

La vraie vie ou "Succession"

Rupert Murdoch a inspiré la série "Succession" avec une famille aussi puissante que dysfonctionnelle qui règne sur un empire médiatique. A 92 ans, il n'est pas prêt à abandonner, "parce qu'il est très conscient de ce pouvoir et est attaché à le conserver". "En tant qu'historien, je n'ai pas d'autres exemples d'homme de médias qui ait une telle influence à l'échelle globale."

Et d'ajouter: "Son empire devrait lui survivre. Il l'a mis à l'abri de toutes offensives extérieures. Il a désigné son successeur, son fils Lachlan Murdoch, qui partage sa stratégie. Ses autres enfants, James et Elizabeth, pourraient cependant contester l'autorité du successeur désigné. La réalité pourrait bientôt dépasser la fiction."

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/vajo

"Rupert Murdoch: l'empereur des médias qui manipule le monde", Editions Tallandier, 304 pages

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