Les carences de la défense canadienne mises en avant par la fuite de documents classifiés
L'auteur présumé des fuites de documents confidentiels américains a beau avoir été inculpé vendredi dernier par la justice fédérale américaine, les divulgations se succèdent. Elles mettent cette fois-ci dans l'embarras Ottawa, qui ne serait pas prêt à faire des efforts significatifs en matière de défense.
Révélé par le Washington Post, le document, qui émane du Comité des chefs d’état-major interarmées américain, décrit un Canada réticent à effectuer des dépenses militaires jugées pourtant indispensables et les critiques de divers alliés de l'Alliance atlantique.
D'après ce rapport, les carences persistantes auraient poussé le Canada à évaluer au mois de février dernier qu'il n'était plus en mesure d'effectuer une opération militaire majeure s'il devait continuer à venir en aide à l'Ukraine et maintenir le groupement tactique de l'Otan qu'il dirige en Lettonie.
Le document américain classifié ajoute que cette situation compliquerait les relations avec des partenaires de l'alliance. L'Allemagne se demanderait si l'armée canadienne serait tout simplement capable de continuer à aider Kiev si elle devait respecter ses engagements budgétaires otaniens. La Turquie se serait quant à elle dite "déçue" de ne pas avoir pu recevoir de soutien militaire canadien pour transporter de l'aide humanitaire après le tremblement de terre qui a frappé le pays au mois de février.
D'autres membres de l'Otan seraient par ailleurs préoccupés car Ottawa n'a pas été capable d'envoyer davantage de militaires en Lettonie, alors que le pays s'y était engagé en 2022.
Une impréparation généralisée
Le rapport parle d'une armée canadienne qui manque cruellement de moyens mais aussi de personnel. A titre d'exemple, il indique que l'immense majorité des 78 chars Leopard II que possède le Canada nécessitent des travaux d'entretien importants et manquent de pièces de rechange. Le pays ne disposerait par ailleurs que de la moitié des pilotes dont il a besoin pour utiliser ces véhicules de combat.
La politique d'achat de matériel militaire est aussi fortement critiquée. D'après le document américain, qui se base en partie sur des sources humaines, des chefs militaires canadiens estimeraient ne pas "être suffisamment soutenus" et percevraient certaines déclarations de politiciens de haut rang sur les dépenses de défense comme "politiquement motivées" et souvent "déformées" de manière volontaire.
Le document donne aussi l'exemple de l'objet volant non-identifié, probablement un ballon, abattu le 11 février dans l'espace aérien canadien au-dessus du Yukon par un avion de chasse américain. Alors que les déclarations officielles, côté américain comme côté canadien, parlaient d'une opération normale, le rapport confidentiel publié en ligne montre une autre réalité. La réponse d'avions de combat CF-18 canadiens aurait "été retardée d'une heure", forçant Ottawa à demander l'aide américaine pour abattre l'aéronef. Une situation qui démontre un peu plus l'impréparation des forces canadiennes.
>> Lire à ce sujet : Un nouvel objet non identifié a été abattu au-dessus du Canada
Le danger de l'Arctique
Sur le plan militaire, la relation entre le Canada et les Etats-Unis ne s'arrête pas à l'Otan. Depuis 1957, les deux pays voisins sont également partenaires dans l'alliance du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD). Comme son nom l'indique, cette alliance a avant tout pour but de protéger l'espace aérien nord-américain et fonctionne avec des systèmes de défense aérienne et spatiale partagés entre les deux pays. Washington travaille aussi main dans la main avec Ottawa pour assurer la protection des eaux canadiennes et américaines ou encore pour des missions de maintien de la paix à l'étranger.
Les auteurs du rapport classifié s'inquiètent donc aussi du retard qu'aurait pris le Canada pour assurer ses engagements pour la défense du continent, notamment dans la région Arctique, où Pékin et Moscou sont accusés de placer leurs pions.
Le NORAD constaterait que malgré de très nombreuses déclarations publiques, le développement de capacités importantes et les divers plans de modernisation militaires canadiens dans la région ne se concrétiseraient pas, faute de moyens ou de volonté politique.
Pas de commentaires de Justin Trudeau
Questionné par la presse mercredi pour commenter ces nouvelles révélations, le Premier ministre canadien Justin Trudeau n'a pas démenti, sans toutefois apporter de précisions.
"Je continue de dire et je dirai toujours que le Canada est un partenaire fiable de l'Otan, un partenaire fiable dans le monde entier", s'est-il contenté de dire, précisant que les Forces armées canadiennes "disposaient de tous les outils dont elles ont besoin".
Le Premier ministre a également rappelé que le Canada prévoyait une augmentation des dépenses de défense de plus de 70% au cours des prochaines années.
Contactés par le Washington Post, plusieurs officiels américains, dont un porte-parole du Pentagone, n'ont pas démenti la véracité de ces informations, tout en répétant que le Canada restait "un ami fiable" ou encore "un allié indeffectible."
Tristan Hertig
Une lettre ouverte pour exiger plus de moyens alloués à la Défense
Hasard du calendrier, l'Institut de la Conférence des associations de défense canadienne (CDAI) a publié une lettre ouverte lundi, qui exhorte le gouvernement canadien à prendre au sérieux la sécurité nationale du pays.
Signé par une dizaine d'anciens responsables de la sécurité, de politiciens et d'officiers de haut rang, le document demande de rééquiper rapidement et adéquatement les Forces armées canadiennes, au moment où les menaces se multiplient.
Selon les signataires de la lettre, les gouvernements qui se sont succédé à Ottawa depuis la fin de la Guerre froide n’ont cessé de réduire l’importance accordée à la défense et à la politique étrangère.