Elisabeth Borne livre une feuille de route détaillée pour les "cent jours d'apaisement"
"Je ne crois qu'aux résultats. Nous devons en obtenir dans tous les domaines, et je souhaite qu'ils soient concrets, tangibles, visibles pour les Français", a déclaré Elisabeth Borne.
Assorti d'un dossier de presse de 35 pages, le plan gouvernemental comprend des mesures ou annonces de calendrier ou de méthode de travail dans de nombreux domaines: projet de loi "industrie verte" présenté mi-mai, textes sur le "plein emploi" et sur le "partage de la valeur" dans le même délai, projet de loi justice examiné avant l'été, loi d'orientation agricole à l'automne...
Mais aussi 150 policiers supplémentaires à la frontière italienne, un "accompagnement personnalisé" à venir pour la rénovation thermique des logements, l'augmentation des places d'infirmières dans les instituts de formation à la rentrée ou encore la mise en route à l'automne du dispositif de location de véhicules propres à prix accessibles...
Mais l'annonce la plus attendue est en fait un report: le projet de loi immigration, présenté comme la future grande épreuve du feu après la réforme des retraites, est ajourné à l'automne.
Pas de majorité
"Il n'existe pas de majorité pour voter un tel texte, comme j'ai pu le vérifier hier en m'entretenant avec les responsables des Républicains. Ils doivent encore dégager une ligne commune entre le Sénat et l'Assemblée", a justifié la Première ministre, comme en écho à la séquence retraites où le soutien d'une partie des députés Les Républicains lui a fait défaut.
Par ailleurs, "ça n'est pas le moment de lancer un débat sur un sujet qui pourrait diviser le pays", a ajouté Elisabeth Borne.
Une péripétie supplémentaire alors qu'Emmanuel Macron avait évoqué "un seul texte" la semaine dernière, après avoir lui-même annoncé un découpage du projet quelques semaines plus tôt.
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Même avec ce délai supplémentaire sur le volet immigration, la mise en application de cette feuille de route aura valeur de test pour un exécutif toujours privé de majorité absolue à l'Assemblée nationale.
Pour avancer, Elisabeth Borne a lancé "une main tendue à toutes les bonnes volontés". Et, sur le plan politique, "sans regarder nécessairement du même côté", c'est-à-dire uniquement vers la droite, a précisé la cheffe du gouvernement, "confiante" dans la "méthode" dite "texte par texte" qui a "fait ses preuves".
Un message qui repousse, sans grande surprise, la perspective immédiate d'une coalition avec la droite.
Plus de recours au 49.3
Pour autant, la Première ministre a réaffirmé, comme elle l'avait dit il y a plusieurs semaines, son objectif de ne plus recourir à l'article 49.3 de la Constitution en dehors des textes financiers. Une sortie qui a visiblement agacé à l'Elysée.
L'exécutif tente également de se relancer alors que perdure la contestation contre la réforme des retraites, et que l'intersyndicale tentera une nouvelle démonstration de force dans la rue à l'occasion du 1er mai.
Depuis la promulgation de la loi, Emmanuel Macron s'est lancé dans une série de déplacements - Alsace, Hérault, Loir-et-Cher - pour vanter son action et exposer ses nouvelles priorités.
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Elisabeth Borne assurera le service après-vente de ces annonces jeudi matin sur France 2. Avant un déplacement programmé vendredi.
Les ministres sont aussi chahutés
Des déplacements accompagnés de manifestations d'opposants et de leurs concerts de casseroles (en lire plus en encadré), comme pour la plupart des échappées ministérielles sur le terrain, à l'image de la visite chahutée lundi à Lyon du ministre de l'Education Pap Ndiaye.
Ce dernier était attendu par des dizaines de manifestants dans le hall de la gare de Lyon à Paris. Après avoir patienté quelques minutes dans sa rame, il a finalement été escorté hors du bâtiment par le sous-sol des quais. "Ce qui s'est passé hier est préoccupant", a-t-il dénoncé mardi sur Franceinfo.
Plus tôt, mardi, Pap Ndiaye avait réagi sur Twitter à l'un des appels à manifester lancés à son encontre, dont il estime qu'ils invitaient à la violence.
La ministre de la Culture répond à la cérémonie des Molières
De son côté, lors de la 34e édition des Molières, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak a défendu lundi soir son bilan face à deux artistes qui l'ont interpellée sur scène concernant la réforme des retraites.
En déplacement dans l'Hérault, les ministres des Comptes publics Gabriel Attal et de la Fonction publique Stanislas Guerini n'ont, eux non plus, pas échappé à un concert de casseroles mardi soir. "Ceux qui ont le temps d'accueillir des ministres de 14h à 18h en pleine semaine, a priori, ce ne sont pas les Français qui travaillent, qui ont des difficultés à boucler les fins de mois", a répondu Gabriel Attal.
vajo avec afp
Les concerts de casseroles, une "tradition" apparue dès le XIXe siècle
"Les œufs et les casseroles, c'est pour faire la cuisine chez moi", a tenté de répondre le chef de l'Etat, lors d'un déplacement dans l'Hérault.
Pourtant, l'utilisation de la casserole comme objet politique n'est pas récente, rappelle Franceinfo. Les premiers concerts de casseroles visant des responsables politiques sont apparus dès le XIXe siècle, mais existent depuis l'époque médiévale
Le charivari était un vieux rituel coutumier, en général animé par de jeunes hommes, destiné à protester contre des mariages 'mal assortis' et à humilier notamment de vieux veufs remariés avec des jeunes filles
"Le charivari était un vieux rituel coutumier, en général animé par de jeunes hommes, destiné à protester contre des mariages 'mal assortis' et à humilier notamment de vieux veufs remariés avec des jeunes filles", détaille Emmanuel Fureix, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris-Est Créteil, à Franceinfo.
Les traces des premiers charivaris remontent au XIVe siècle dans les campagnes françaises. Le rituel se déroule à la nuit tombée, sous les fenêtres de la personne visée. "Cela prend la forme d'un vacarme tonitruant fait de casseroles, de chaudrons, de crécelles, de sifflets, qui pouvait s'accompagner de cris, d'insultes et parfois de cadavres d'animaux", explique l'historien, coauteur de "Histoire de la rue: de l'Antiquité à nos jours".
De la campagne aux villes
Au XIXe siècle, le rituel se politise et se déplace dans les villes "à partir des années 1820, et surtout des années 1830", poursuit-il. En 1830, la révolution des Trois Glorieuses, les 27, 28 et 29 juillet, met fin au règne de Charles X et permet à Louis-Philippe d'Orléans de monter sur le trône. Mais la contestation ne s'éteint pas pour autant.
En 1832, une campagne nationale avec une centaine de charivaris en six mois qui visent des députés, des préfets, et même des évêques, de manière organisée à travers tout le territoire
"Après cette révolution, le rituel devient de plus en plus systématique. Il y a même une campagne nationale organisée en 1832, avec une centaine de charivaris en six mois qui visent des députés, des préfets, et même des évêques, de manière organisée à travers tout le territoire", indique Emmanuel Fureix.
Plus récemment, lors de la campagne présidentielle de 2017, François Fillon, englué dans les affaires, ne pouvait plus faire un déplacement sans entendre la protestation des bruits métalliques, symboles de ses propres "casseroles". Des Etats-Unis à l'Espagne, en passant par l'Amérique latine, les casseroles sont aussi souvent utilisées en guise de protestation.