D'une ampleur inédite, l'opération "Wuambushu" a été révélée en février dernier par le "Canard enchaîné". L'opération a été confirmée le 21 février par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. "C'est une opération au long cours", s'est-il exclamé devant la presse.
Chaque année, Mayotte attire des milliers de migrants venus des Comores. Ces sans-papiers s'installent dans des quartiers insalubres appelés "bangas", dans lesquels règnent le trafic de drogue et la violence. Pour lutter contre la délinquance et l'habitat insalubre, l'Etat français avait donc prévu mardi de les démanteler, notamment celui de Talus 2.
Sur place, des affrontements sporadiques ont eu lieu entre des jeunes du quartier voisin et des forces de l'ordre déployées en nombre. Des barricades de poubelles et de pneus avaient été installées tout le long de l'axe principal de l'île menant au secteur.
Suspension du Tribunal
Mais lundi, après le refus la veille des Comores d'accepter les bateaux de migrants expulsés, le tribunal de Mamoudzou a finalement suspendu les évacuations de Talus 2, un bidonville du quartier de Majicavo à Koungou, où vivent plus de 100 familles.
La justice a ordonné "de cesser toute opération d'évacuation et de démolition", estimant que cela mettrait "en péril" la sécurité des autres habitants du bidonville, dont les logements seraient fragilisés.
La préfecture de Mayotte a annoncé faire appel de la décision de justice, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin estimant que "ce qui met en danger la population, c'est l'insalubrité, l'insécurité et la non-reconnaissance du droit de propriété".
Préparée depuis un an, l'évacuation de Talus 2 devait constituer la première opération spectaculaire de "décasage" (destruction des cases en tôle) depuis l'arrivée mi-avril de centaines de renforts policiers et de gendarmerie.
Ces délinquants, ces voyous, ces terroristes, à un moment donné il faut peut-être en tuer
Signe de la tension extrême sur cette île de l'océan Indien, les déclarations sont de plus en plus virulentes parmi les partisans et les opposants des opérations d'expulsion.
"Ces délinquants, ces voyous, ces terroristes, à un moment donné, il faut peut-être en tuer", a été jusqu'à affirmer le premier vice-président du Conseil départemental de Mayotte Salime Mdéré sur la chaîne Outre-mer La Première.
La Ligue française de défense des droits de l'Homme (LDH) juge ces propos de scandaleux et dangereux, elle les qualifie "d'appel au meurtre". Elle entend donc prochainement déposer plainte contre Salime Mdéré, pour provocation à des atteintes volontaires à la vie et pour incitation à la haine raciale.
"De tels propos sont inadmissibles et je les condamne fermement", a réagi le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, se disant consterné. De son côté, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a exprimé son "indignation".
La phrase de l'élu mahorais a suscité un tollé, aussi bien à gauche que du côté du parti présidentiel Renaissance. Salime Mdéré a retropédalé mardi en assurant que ses propos avaient "dépassé sa pensée" et en présentant "bien volontiers" ses excuses.
Sur place, soutiens aux expulsions
Estelle Youssouffa, députée Liot de Mayotte, a assuré que "la population de Koungou a vécu un enfer toute la nuit" après la décision du tribunal, dénonçant "le travail des associations qui ne comprennent pas où elles mettent les pieds".
Jeudi, les autorités ont défendu le déploiement de la force contre la délinquance, contestée par les oppositions et défenseurs des droits humains à Paris mais soutenue par une manifestation dans cette île de l'océan Indien.
Une grande partie de la population mahoraise soutient ces opérations d'expulsion, accusant l'immigration clandestine de nourrir l'insécurité sur l'île, dont près de la moitié des 350'000 habitants estimés ne possède pas la nationalité française selon l'Insee.
Dans une tribune au Monde, l'eurodéputé écologiste Damien Carême a lui accusé Gérald Darmanin de "s'attaquer aux pauvres" et de "vouloir faire de Mayotte le laboratoire de sa politique: violente, inhumaine et indigne". A l'inverse, Marine Le Pen a réclamé lundi "la fin du droit du sol" à Mayotte.
Poursuite des opérations de sécurisation
"On poursuit à Mayotte les opérations de sécurisation, en particulier dans les quartiers dans lesquels on a les bandes de délinquants", a déclaré jeudi le préfet Thierry Suquet à la presse. Les forces de l'ordre ont interpellé deux personnes et neuf policiers ont été blessés, selon le ministère de l'Intérieur.
Le préfet s'exprimait à Longoni, sur la commune de Koungou (nord), où quelques habitats informels ont été rasés dans la matinée par des tractopelles pour faire place au chantier d'un lycée professionnel.
Ce petit bidonville, objet d'un arrêté de démolition depuis décembre, a abrité une dizaine de familles mais était "vide" d'habitants permanents, selon Thierry Suquet.
Miroslav Mares avec afp/ah
Crise diplomatique
Appartenant géographiquement à l'archipel comorien, Mayotte, située entre Madagascar et la côte est-africaine, s'est séparée des Comores en 1974 à l'issue d'un référendum où les trois autres îles ont choisi l'indépendance. Elle est devenue département français en 2011, mais l'Union des Comores refuse toujours de reconnaître la souveraineté de la France.
Un navire transportant une soixantaine de personnes a ainsi été empêché d'accoster à Anjouan lundi, les Comores disant ne pas avoir les moyens d'accueillir un afflux de migrants et accusant Paris de semer "la violence".
Les Comores limitent l'accueil aux passagers munis de papiers
Les autorités portuaires comoriennes ont annoncé jeudi que les bateaux en provenance du département français voisin de Mayotte sont à nouveau autorisés à accoster, après une suspension de quelques jours, et les Comoriens autorisés à débarquer à condition qu'ils détiennent une pièce d'identité.
Mais de nombreux migrants se débarrassent de leurs papiers une fois arrivés en sol étranger, dans le but d'éviter leur renvoi vers leur pays d'origine ou tenter de se faire passer pour des mineurs.
Les Comores se sont engagées dans un accord signé en 2019 à "coopérer" avec Paris sur les questions d'immigration en échange d'une aide au développement de 150 millions d'euros.