C'est sur la promesse d'une "Turquie forte" que le président turc Recep Tayyip Erdogan, 69 ans, est parti en campagne pour sa réélection à la mi-avril. Le scrutin, qui se tiendra le 14 mai, s'annonce disputé.
Pour le chef d'Etat, au pouvoir depuis 2003, il s'agit de faire face à la colère d'une partie des Turcs, qui lui attribuent la responsabilité de la crise économique qui frappe le pays et accusent l'Etat d'avoir tardé à déployer ses moyens après le séisme du 6 février qui a fait plus de 50'000 morts en Turquie.
Electorat nationaliste
S'il a promis de ramener l'inflation, actuellement à 50,5%, sous la barre des 10%, Recep Tayyip Erdogan compte aussi sur ses succès diplomatiques pour séduire son électorat. Il vise en particulier son principal allié, le parti d'extrême droite ultranationaliste MHP, sans lequel il n'a aucune chance de remporter la présidentielle et la majorité absolue au Parlement.
Avant la guerre en Ukraine, la Turquie était isolée. Erdogan a réussi à la rendre incontournable
"Pour les milieux nationalistes, cette idée d'une grande Turquie, incontournable sur le plan international, a son importance. Ils veulent une Turquie qui fait peur face à la Grèce, à l'Arménie, une Turquie qui sait imposer sa ligne comme elle le fait sur la guerre en Ukraine", résume Ozcan Yilmaz, chargé de cours à l'Université de Genève.
Car depuis février 2022, le président turc est parvenu à ménager ses relations avec les deux belligérants, la Russie et l'Ukraine, sans s'aliéner le soutien de son homologue russe, Vladimir Poutine, dont il dépend pour les besoins énergétiques du pays, ni se mettre à dos ses alliés de l'Otan.
Une position unique
Outre sa position géographique unique, entre Europe et Moyen-Orient, la Turquie contrôle l'accès à la mer Noire grâce aux détroits du Bosphore et des Dardanelles. C'est pourquoi Ankara supervise l'accord permettant l'exportation de céréales ukrainiennes malgré la guerre.
"L'accord céréalier lui a permis de rappeler l'importance de la Turquie", estime Ozcan Yilmaz, qui observe que Recep Tayyip Erdogan a réussi là où le président français Emmanuel Macron a échoué. "Il a réussi à maintenir le dialogue avec Zelensky et Poutine, il a fermé le détroit du Bosphore aux navires de guerres russes, il n'adhère pas aux sanctions occidentales contre la Russie, mais il fournit des armes à Kiev. Il a aussi organisé des pourparlers entre les deux parties", détaille-t-il.
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Dès son arrivée au pouvoir en 2003, en tant que Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan a travaillé sur la place de la Turquie dans le monde, se concentrant dans un premier temps sur le dossier européen et engageant d'importantes réformes économiques, qui permettront au pays d'entrer dans le G20.
La fin du "modèle turc"
A partir de 2013, le "modèle turc", cité en exemple en Occident tant il semble permettre de conjuguer islam, économie de marché et démocratie, montre cependant des signes de fragilité.
Sur le plan interne, la tendance autoritaire de Recep Tayyip Erdogan est de plus en plus critiquée. Inspiré des printemps arabes, un mouvement contestataire se forme fin mai autour du parc Gezi et de la place Taksim à Istanbul. Il sera durement réprimé quelques jours plus tard.
En parallèle, le président turc se retrouve isolé sur le plan international avec le refus occidental de le soutenir en Syrie. Inquiet de voir son autorité ébranlée, soucieux de contrer les Kurdes, Recep Tayyip Erdogan se rapproche de l'Iran et de la Russie.
"Sa priorité n'est alors plus de renverser Bachar al-Assad, mais d'empêcher l'autonomie kurde", souligne Ozcan Yilmaz. Le président turc dit en effet vouloir lutter avec "la même détermination" contre les forces kurdes que contre le groupe Etat islamique, ce qui passe mal auprès des autorités américaines et européennes.
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Tournant agressif
Après le coup d'Etat raté de 2016, le président turc achève son tournant autoritaire, en renforçant son pouvoir, notamment en prenant le contrôle total de l'armée et de l'administration, en étouffant le débat et réprimant ses opposants. Sur le plan international, Recep Tayyip Erdogan se fait aussi plus agressif, n'hésitant pas à jouer sur plusieurs tableaux.
Erdogan est un réaliste, un pragmatique. Il mène une diplomatie transactionnelle
Membre important de l'Otan, dont elle représente la deuxième force la plus nombreuse, la Turquie n'hésite pas à se montrer turbulent, en bloquant par exemple l'élargissement à la Suède. Ankara n'a pas non plus hésité à montrer les muscles face à la Grèce et à Chypre au sujet des ressources gazières en Méditerranée orientale.
Sur le plan militaire, la Turquie - qui a considérablement renforcé son autonomie dans la production d'armes - n'est pas en reste. Les forces armées turques interviennent directement ou indirectement dans de nombreux conflits dont la Syrie, la Libye, l'Irak ou encore le Haut-Karabakh. C'est cette diplomatie à géométrie variable qui a permis jusqu'ici à Recep Tayyip Erdogan de conserver des relations avec de nombreuses puissances pourtant antagonistes.
Juliette Galeazzi et Antoine Silacci