Deux ans après, les larmes sont encore là. Le 17 juin 2021, une employée du principal parti prokurde de Turquie, le HDP, a été tuée dans une attaque menée par un homme armé contre un de ses bureaux à Izmir, dans l'ouest de la Turquie.
A l'époque, le HDP a accusé le gouvernement et le parti au pouvoir, l'AKP du président Recep Tayyip Erdogan, d'être les "instigateurs de cette attaque brutale" en raison de leur violente rhétorique contre la formation prokurde.
Aujourd'hui encore, les proches de la jeune femme, alors âgée de 28 ans, restent inconsolables. "Il lui a tiré dans les deux genoux pour l'empêcher de marcher et ensuite, il l'a torturée. Il y avait quatre ou cinq policiers en bas devant le bâtiment, mais tout ce qu'ils ont fait c'est protéger le meurtrier, le laisser faire. C'est l'Etat qui l'a tuée", accuse sa mère, rencontrée par la RTS au domicile familial, dans un quartier pauvre de la ville.
Un "symbole extrême"
Depuis le meurtre, le HDP a installé une caméra de vidéosurveillance pour filtrer les entrées de ses locaux à Izmir. Mais le portrait de la victime, martyre, s'affiche sur les murs. "Pour nous, elle est le symbole extrême de toutes les pressions que nous subissons et le message est clair: si vous continuez votre lutte démocratique, voilà ce qui va vous arriver", explique Cinar Altan, qui préside le YSP, un autre parti de gauche, à Izmir.
Réprimés par les gouvernements laïcs, comme la plupart des minorités en Turquie, les Kurdes ont aidé Recep Tayyip Erdogan à se faire élire et l'ont soutenu à ses débuts. En retour, le chef de l'Etat a tenté de promouvoir leurs droits culturels et linguistiques, ouvrant des négociations pour mettre fin à la lutte armée d'une partie d'entre eux et leur octroyer une plus large autonomie dans le sud-est.
Pour sortir le pays de cette obscurité, il nous faut nous débarrasser de ce régime dominé par un seul homme
Mais après l'échec de ces pourparlers et une flambée de violences en 2015-2016, la communauté kurde, qui représente 15 à 20 millions de personnes en Turquie, s'est retrouvée sous une pression croissante. Des dizaines de dirigeants kurdes ont été emprisonnés ou démis de leurs fonctions électives.
Le principal parti prokurde, le HDP, dont le chef de file Selahattin Demirtas est emprisonné, se trouve sous le coup d'une menace d'interdiction. Il est accusé par le gouvernement turc d'être lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), groupe armé qualifié de "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.
Faiseurs de roi
Cette année, le HDP, dont le candidat à la présidentielle de 2018 avait terminé troisième avec 8,4% des suffrages exprimés, a décidé de ne pas présenter de candidat à la présidentielle et a appelé fin avril à soutenir Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d'une alliance réunissant six partis de l'opposition et donné en bonne posture face au président Erdogan par la plupart des sondages.
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"Nos objectifs coïncident (...). C'est pourquoi nous avons décidé de soutenir Kiliçdaroglu", a affirmé le co-président du HDP, Mithat Sancar, dans un entretien publié par le quotidien Sözcü. L'objectif du parti est de permettre ainsi à l'opposition de l'emporter dès le premier tour, a-t-il précisé.
Le HDP présentera en revanche ses propres candidats aux élections législatives -également organisées le 14 mai- sous la bannière du Parti de la gauche verte.
Avec une telle posture, les Kurdes se retrouvent dans le rôle de faiseurs de roi dimanche, donnant un espoir de changement à toute une communauté.
Reportage TV: Annabelle Durand, envoyée spéciale en Turquie
Adaptation web: jgal
Au Kurdistan d'Irak aussi, on scrute la présidentielle en Turquie
Si la région autonome, victime collatérale du conflit opposant l'armée turque aux combattants kurdes du PKK, espère une détente, elle veut préserver un partenariat stratégique construit avec Recep Tayyip Erdogan.
Officiellement, les responsables du Kurdistan autonome, dans le nord de l'Irak, ne se prononcent pas sur la joute du 14 mai entre le président Erdogan et son rival Kemal Kiliçdaroglu, porté par une alliance de six partis.
Mais "les médias, le champ politique, tout le monde est hautement préoccupé par ces élections turques", affirme le politologue kurde Adel Bakawan, rappelant le rôle géopolitique "fondamental" d'Ankara.
Positions militaires
Sur un plan sécuritaire d'abord, puisque le conflit entre l'armée turque et les combattants kurdes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a depuis longtemps débordé dans le nord de l'Irak.
Avec des dizaines de positions militaires au Kurdistan autonome, les forces turques mènent frappes aériennes et opérations terrestres contre le PKK, classé organisation "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.
"Le résultat de l'élection impactera directement les orientations de cette guerre", ajoute Adel Bakawan, directeur du Centre Français de Recherche sur l'Irak.
En cas de victoire de l'opposition, il n'exclut pas la voie de "l'apaisement", Kemal Kiliçdaroglu ayant multiplié les mains tendues vers la communauté kurde. (AFP)