Alexeï Nalvany, Vladimir Kara-Murza... Ces noms d'opposants russes sont connus du grand public. Mais ce sont près de 20'000 personnes qui ont été arrêtées en Russie en raison de leur opposition à l'invasion de l'Ukraine.
Journaliste et défenseur des droits humains, Vladimir Kara-Murza a été condamné à 25 ans de prison pour trahison, l'une des peines les plus lourdes du pays. Son tort: avoir publiquement critiqué l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Son cas illustre le durcissement du pouvoir russe: ce qui était toléré auparavant est devenu un crime.
Invitée du 19h30 de la RTS, sa femme, l'activiste russe Evgenia Kara-Murza, dresse le portrait de son mari, "un homme très fort d'esprit, doté d'un sens de l'humour et d'un entêtement incroyable", ce qui, selon elle, "l'aide à continuer sa lutte pour une Russie démocratique, malgré tous les risques".
"Deux tentatives d'assassinat du FSB"
Et si sa femme parle de "risques", c'est que se mettre le Kremlin à dos peut s'avérer dangereux. Ainsi, comme l'explique Evgenia Kara-Murza, "sa santé n'est plus aussi forte, à cause notamment de deux empoisonnements auxquels il a survécu en 2015 et 2017. (...) Il a donc développé une polyneuropathie, a perdu la sensation dans ses extrémités et plus de 20 kilos".
Selon elle, ces deux tentatives d'assassinat sont le fruit d'"un groupe d'agents du Service fédéral de sécurité russe, le FSB, le même groupe qui avait suivi Boris Nemtzov avant son assassinat en 2015 et qui avait empoisonné Alexeï Navalny".
Avant son retour en Russie puis son incarcération, Vladimir Kara-Murza habitait avec Evgenia à Washington. Malgré les risques, il est rentré à Moscou "en sachant qu'il risquait beaucoup plus que la prison", selon sa femme.
Si le soutien était aussi fort, le régime ne devrait pas recourir à tous les outils de répression contre la société civile russe datant des années soviétiques.
"Pour lui, il a toujours été très important d'être là où les Russes se battent contre le régime de Vladimir Poutine. Il s'est toujours identifié comme un politicien russe, comme un homme politique russe, et pour lui, il était très important d'être sur place."
"Psychiatrie punitive, longues peines de prison, viols et tortures"
Selon le couple Kara-Murza, si le Kremlin semble si fort aujourd'hui, c'est parce qu'il vacille. "Le régime de Vladimir Poutine dépend beaucoup de cette image qu'il veut créer pour le monde entier, où tout le peuple russe soutient sa politique et soutient sa guerre en Ukraine. Et la réalité n'a rien à voir avec ça, car si le soutien était aussi fort, le régime ne devrait pas recourir à tous les outils de répression contre la société civile russe datant des années soviétiques".
"Ces outils incluent l'utilisation de la psychiatrie punitive, les peines de prison pouvant aller jusqu'à 15 ans pour un simple 'non' à la guerre, la violation sexuelle et les tortures", dénonce Evgenia Kara-Murza.
"Si le régime utilise ces outils contre la société civile russe à une grande échelle, ça veut dire qu'il y a beaucoup de gens en Russie qui dénoncent la guerre, qui dénoncent la politique de Vladimir Poutine."
Il continue à apprendre des leçons très importantes à ses enfants, à nos enfants: on doit se battre pour ce en quoi on croit, on doit savoir défendre ses principes, on doit comprendre qu'on ne peut défendre ses principes sans prendre des risques.
Père de trois enfants, Vladimir Kara-Murza "a toujours été un très bon papa. Même maintenant. Même sous ces conditions absolument impossibles", raconte son épouse.
"Il continue à apprendre des leçons très importantes à ses enfants, à nos enfants, je crois. C'est une leçon très importante: on doit se battre pour ce en quoi on croit, on doit savoir défendre ses principes, on doit comprendre qu'on ne peut défendre ses principes sans prendre des risques".
"Dire la vérité, en Russie, coûte très cher. Vladimir le sait très bien, et il veut apprendre à ses enfants à être courageux", ajoute encore sa femme.
Quant à la question de savoir comment elle supporte cette situation, Evgenia Kara-Murza répond qu'elle n'a pas le choix. "Je me bats pour quelqu'un que j'aime beaucoup. Je me bats pour mon pays, parce que je suis aussi une citoyenne russe. Et je suis complètement horrifiée par ce qu'il se passe en Ukraine, par ce que l'Etat russe fait en Ukraine, et en Russie, contre le peuple russe. Je me bats pour mon mari, pour mes enfants, et pour la Russie," conclut-elle.
"Le pouvoir sera changé dans la rue"
Polyglotte, Vladimir Kara-Murza s'était exprimé à la RTS dernièrement. "Le Kremlin ignore la maxime historique fondamentale: quand le pouvoir ne peut pas être changé dans les scrutins, comme c'est le cas en Russie, il le sera dans la rue, un jour", avait-il déclaré le 1er juillet 2020 au micro du 19h30.
Mais pour le moment, le Kremlin réprime. Selon une ONG russe, plus de 19'000 personnes ont été détenues pour s'être opposées à la guerre.
"Le principe de l'innocence supprimé"
Plus de 500 d'entre elles ont été inculpées par des tribunaux pénaux, le plus souvent pour diffusion de ce qui est qualifié par le pouvoir de fausses informations.
On compte parmi ces opposants Ilya Yashin, homme politique et activiste condamné à 8 ans et demi de prison pour avoir dénoncé le massacre de Boutcha sur les réseaux sociaux, Ivan Safronov, un journaliste, condamné à 22 ans d'incarcération pour avoir dénoncé des crimes de guerre russes, ou encore Maria Ponomarenko, journaliste également, condamnée à 6 ans de prison pour avoir révélé le bombardement du théâtre de Marioupol.
"Nous avons supprimé le principe de l'innocence en même temps que la Constitution. Mais les régimes totalitaires ne sont jamais aussi fort que lorsqu'ils sont sur le point de tomber", avait déclaré dans une vidéo tournée depuis sa cellule la journaliste russe.
Quant à l'opposant russe le plus célèbre, Alexeï Navalny, il fait face à de nouvelles accusations qui pourraient lui valoir la prison à vie.
Sujet TV: Laurent Burkhalter
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation web: Julien Furrer