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La sécheresse en Catalogne fait vivre un véritable enfer aux agriculteurs

Les cultures de Santi Caudevilla, agriculteur catalan et responsable des céréales au syndicat Unió de Pagesos, subissent une sécheresse "sans précédent". [RTS - Valérie Demon]
La sécheresse en Catalogne fait vivre un véritable enfer aux agriculteurs / Tout un monde / 6 min. / le 16 mai 2023
Depuis deux ans, la Catalogne fait face à une sécheresse inédite et l'agriculture en souffre sévèrement. Près de la ville de Lérida, la fermeture d'un canal d'irrigation met en péril 50'000 hectares de céréales et de vergers. Les agriculteurs se disent très inquiets pour leur avenir.

"C'est l'arrosage du désespoir", lâche Santi Caudevilla, éleveur et agriculteur catalan, en face d'une culture de petits pois, alors qu'il fait déjà trente degrés en milieu de journée. "Au lieu des 8000 à 9000 kilos de petits pois, on aura une récolte de 1000 kilos", déplore-t-il mardi dans l'émission Tout un monde.

Quelques mètres plus loin, le champ d'orge fait lui aussi grise mine. Les céréales ne mesurent qu'une trentaine de centimètres alors qu'elles devraient déjà atteindre plus d'un mètre. Pour Santi Caudevilla, également responsable des céréales au syndicat Unió de Pagesos, le constat est sans appel: "Pour l'agriculture qui dépend de la pluie, nous n'aurons rien."

Que l’eau soit gardée pour le tourisme, nous comprenons car c’est un moteur économique. Mais que l’on arrête de culpabiliser l'agriculture, c’est une aberration. Remplir les piscines, c’est honteux! Sur le littoral, ils ont la mer en face. Qu’ils y aillent!

Santi Caudevilla, responsable des céréales au syndicat Unió de Pagesos

"L'an dernier, nous avons payé les fournitures nécessaires à des tarifs très élevés pour la récolte et, cette année, nous aurons une production réduite à zéro", poursuit Santi Caudevilla. "La gifle que nous allons recevoir et les turbulences économiques futures sont sans commune mesure. C'est un désastre sans précédent, nous n'avions jamais vu cela et nous allons voir qui va survivre."

"Les nerfs à fleur de peau"

Une partie de la Catalogne est passée en état d'exception fin février. Cela implique l'interdiction de remplir sa piscine, sauf pour les hôtels et les installations municipales. Une exception qui fait réagir Santi Caudevilla: "Les nerfs sont à fleur de peau. Essayons donc d'être tous un peu responsables. Que l'eau soit gardée pour le tourisme, nous comprenons car c'est un moteur économique. Mais que l'on arrête de culpabiliser l'agriculture, c'est une aberration. Remplir les piscines, c'est honteux! Sur le littoral, ils ont la mer en face. Qu'ils y aillent!"

>> Ecouter aussi le sujet de La Matinale sur les mesures de restriction d'eau en Catalogne :

La sécheresse sévit déjà en Espagne, ici au réservoir de Sau, à 100 km au nord de Barcelone. [Keystone - AP Photo/Emilio Morenatti]Keystone - AP Photo/Emilio Morenatti
L'Espagne prend déjà des mesures d'économie d'eau contre la sécheresse / La Matinale / 2 min. / le 24 avril 2023

Les agriculteurs font aussi leur mea culpa, car il va falloir moderniser là où ce n'est pas encore fait. Le Canal d'Urgell, fermé depuis le 25 avril, basé sur l'irrigation par déversement, doit se transformer avec des systèmes d'aspersion et de goutte à goutte.

Certains ont déjà pris les devants, comme Jaume Gardeñes. Il est à la tête de vingt hectares de poiriers. Jaume a investi l'an passé pour moderniser son verger. Il a disposé une toile à même le sol afin de garder la terre humide et éviter ainsi de perdre 40% d'eau. Mais sa récolte est quasiment déjà perdue. "Si nous ne recevons pas des aides de l'Union européenne, c'est impossible pour les agriculteurs. On voit que cela va durer plusieurs années." Jaume Gardeñes frémit déjà à l'idée de rembourser ses prêts.

"Nous devons en être conscients, il ne s'agit pas seulement de cette année, cela va se reproduire de plus en plus. Le changement climatique est là", constate Jaume Gardeñes. "Si les gens ne prennent pas conscience qu'il faut réduire le volume d'eau consommé, on aura cela plusieurs années de suite. Nous avons besoin là maintenant du soutien du pays entier."

>> Voir le sujet du 12h45 sur l'Andalousie qui restaure des systèmes d'irrigation millénaires pour faire face à la sécheresse :

Pour faire face à la sécheresse, l'Espagne restaure les systèmes d'irrigation construits au 11e siècle
Pour faire face à la sécheresse, l'Espagne restaure les systèmes d'irrigation construits au 11e siècle / 12h45 / 2 min. / le 19 avril 2023

Un problème "social"

Jaume Pedrós, agriculteur et responsable de l'irrigation au syndicat Unió de Pagesos, évoque une certaine fatigue. Selon lui, l'agriculteur ne peut pas payer la modernisation. "Pour cela, l'administration publique doit nous aider, car c'est une question d'État si nous voulons que les agriculteurs restent ici travailler. Le problème de l'eau, c'est un problème social et les gens doivent comprendre que si nous ne produisons pas, les aliments seront plus chers."

Santi Vergé, gérant de la coopérative agraire, pense récupérer seulement entre 10% et 20% des 10'000 tonnes de blé et d'orge. "Dans les villes, les gens ne sont pas conscients du problème actuel. C'est seulement si ce problème les touche de près, si les gens voient qu'ils ne peuvent pas se doucher avec autant d'eau qu'ils vont prendre conscience.”

Sans le vouloir, l'Espagne se dirige vers une guerre de l'eau douce.

Sujet radio: Valérie Demon

Adaptation web: Thibaut Clémence

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Pascal Boivin: "Il faudra opter pour une agriculture moins gourmande en eau"

Face au manque d'eau en Catalogne et aux sécheresses en Europe, Pascal Boivin, professeur de science du sol en agronomie à la Haute École Spécialisée genevoise, délivre des alternatives au monde de l'agriculture afin de continuer à récolter avec moins d'eau.

"Il y a des cultures qui sont plus ou moins demandeuses en eau, donc changer de cultures, on est déjà obligé de faire ce choix", constate Pascal Boivin dans Tout un monde. À l'autre bout de la chaîne, les consommateurs devront également s'adapter, en changeant leurs habitudes, notamment la consommation de viande.

"Par exemple, en France, le maïs représente un quart de la consommation d'eau tout compris. Du maïs qui alimente le bétail de manière intensive", poursuit Pascal Boivin.

>> Écouter l'interview dans Tout un monde de Pascal Boivin à propos des solutions pour pallier aux périodes de sécheresses :

Pour l’agronome Pascal Boivin, revitaliser les sols agricoles est une nécessité pour recycler plus de CO2. [RTS - Didier Pradervand]RTS - Didier Pradervand
Interview de Pascal Boivin / Tout un monde / 8 min. / le 16 mai 2023