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Vladimir Poutine peut-il être jugé pour l'agression de l'Ukraine?

Plusieurs juristes appellent à la création d'un tribunal spécial apte à juger les responsables de crime d'agression contre l'Ukraine. [Keystone - Thibault Camus]
"Peut-on juger Poutine ?" Interview de Mathilde Philip-Gay / Tout un monde / 11 min. / le 17 mai 2023
Alors que Vladimir Poutine a déjà fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale en mars pour la déportation d'enfants ukrainiens, une coalition de juristes demande à aller plus loin. Un tribunal spécial pourrait voir le jour afin de juger le président russe pour crime d'agression.

"Le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale est très important. C'est un premier pas", lance Mathilde Philip-Gay, autrice de l'ouvrage "Faut-il juger Poutine ?". La professeure en droit public à l'Université Lyon III souligne que la Russie est le premier Etat membre du Conseil de sécurité de l'ONU mis en cause par la justice.

"Le mandat d'arrêt ne suffit pas"

Mais cela n'est pas suffisant pour l'experte, soutenue par plusieurs juristes. "La Cour pénale internationale doit attendre la fin du conflit pour juger Vladimir Poutine, cela peut prendre des dizaines d'années, et il n'est même pas sûr qu'il soit encore en vie", lance-t-elle. À ses yeux, le président russe âgé de 70 ans doit être jugé pour son crime originel, l’agression de l’Ukraine, dont découlent tous les autres. "C'est parce qu'il y a eu un crime d'agression qu'il y a eu des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité", explique l'autrice.

L'idée d'un tribunal spécial capable de juger les responsables de l'agression de l'Ukraine est née quatre jours après l'invasion dans la tête de Phillip Sands, un juriste franco-britannique. Il a rapidement fondé un mouvement en ce sens, aujourd'hui rejoint par l'ancien Premier ministre britannique Gordon Brown, les Etats-Unis, le Conseil de l'Europe, ainsi que l'Ukraine et ses alliés. Cette coalition espère mettre en place un centre de poursuite à La Haye en juillet 2023. Ce sera un premier pas vers la création du tribunal spécial, selon Mathilde Philip-Gay.

Pas impossible

Pour la professeure en droit public, l'arrestation de Vladimir Poutie est tout à fait possible, selon trois scénarios. Le premier serait une arrestation par la police russe. "Il faudrait pour cela qu'il soit trahi. Cela semble impossible, mais c'est aussi ce que l'on pensait pour Slobodan Milosevic, arrêté par la police yougoslave en 2001."

En deuxième option, s'il venait à fuir la Russie, Vladimir Poutine pourrait tomber dans les mains de la police d'un autre Etat. Il pourrait enfin commettre une importante erreur militaire, comme l'utilisation de l'arme nucléaire.

Le plus ironique dans cette histoire, c'est que le crime d'agression a été inventé par les Russes. Ce sont les Soviétiques qui ont poussé pour qu'il soit inclus dans le droit international

Mathilde Philip-Gay, autrice de l'ouvrage "Faut-il juger Poutine?"

Vladimir Poutine ne serait pas le premier chef d'Etat à être jugé par des juridictions pénales spéciales. Plusieurs l'ont déjà été, à l'image des dignitaires khmer rouge au Cambodge. Et à chaque fois, la Russie a donné son accord pour la création d'un tribunal spécial.

Une guerre illégale?

Le droit international autorise la guerre dans deux cas: sur autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU, ou lorsqu'un pays se défend, comme le prétend la Russie. Mais l'argument de l'auto-défense brandit par le Kremlin ne convainc pas l'Assemblée générale des Nations unies, qui l'a rappelé à plusieurs reprises.

"Le plus ironique dans cette histoire", rappelle l'autrice, "c'est que le crime d'agression a été inventé par les Russes. Ce sont les Soviétiques qui ont poussé pour qu'il soit inclus dans le droit international".

Plusieurs arrestations envisagées

Si le tribunal pénal spécial voit le jour, le président russe ne sera pas seul sur le banc des accusés. Avec lui, pourraient siéger tous ceux qui ont été en position de décider, de préparer ou de déclencher la guerre. Parmi eux, le ministre des Affaires étrangères, celui de la Défense, des hauts responsables militaires, ainsi que des alliés biélorusses.

Sujet radio : Eric Guevara-Frey

Adaptation web : Léa Bucher

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