"L'administration Biden viole autant le droit international des réfugiés que sous Trump"
A moins de deux ans des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis, les démocrates et les républicains s'affrontent à nouveau sur la gestion de la frontière sud du pays. Le 11 mai, un jour avant un changement important des règles migratoires, le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, dénonçait un risque d'"invasion", alors que du côté de l'administration Biden on défendait les nouvelles mesures mises en place pour encadrer l'arrivée des migrants. A la frontière côté mexicain, la confusion a poussé de nombreux migrants à tenter de passer sur sol américain avant l'entrée en vigueur des nouvelles règles.
Depuis le 12 mai, les Etats-Unis ont mis fin au "Titre 42", une mesure activée sous le mandat de Donald Trump et qui permettait de refouler immédiatement les migrants, même les demandeurs d’asile, au nom de la lutte anti-Covid. Mais les nouvelles règles qui s'appliquent depuis cette date aux migrants qui souhaitent franchir la frontière sont aussi très strictes, selon Vincent Chetail, directeur du Centre des migrations globales de l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) et invité de Géopolitis. "Les demandes d'asile seront présumées refusées dès lors que le requérant n'aura pas demandé asile dans un autre pays, sur la route avant de venir. C'est plus ou moins la fin de l'asile à la frontière sud", estime ce professeur de droit international.
Préoccupations de l'ONU
La majorité des demandeurs d’asile doivent aussi obtenir un rendez-vous préalable via une application mise en place par les gardes-frontières, pour traiter leur cas. Ceux qui ne respectent pas les procédures peuvent être interdits d'entrée sur le territoire américain pendant cinq ans. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont fait part de leurs préoccupations concernant ces nouvelles règles.
"La question est totalement politisée et polarisée. Il n'y a pas de place pour un discours rationnel sur ces questions-là. C'est devenu un enjeu politicien électoraliste", analyse Vincent Chetail. "Ce qui explique finalement que l'administration Biden n'a pas fait mieux que l'administration Trump et viole autant le droit international des réfugiés que la précédente administration."
Pour le chercheur, la question migratoire est essentiellement envisagée du point de vue du contrôle des mouvements de population. "Il faudrait aussi penser aux causes profondes et avoir une approche plus holistique du phénomène", souligne-t-il.
Sur les routes de la migration
En Amérique latine et aux Caraïbes, les violences, les crises politiques et les difficultés économiques ont poussé des millions de personnes à quitter leur pays. En 20 ans, le nombre de migrants dans la région a plus que doublé, passant de 6,5 millions en 2000 à 14,8 millions en 2020, selon l'OIM.
Parmi eux, beaucoup de Vénézuéliens, mais aussi des Nicaraguayens, des Colombiens, des Haïtiens qui s'installent aussi pour certains dans d'autres pays d'Amérique latine. Plus de 6 millions de Vénézuéliens se sont installés dans les Etats de la région, un déplacement de l’ampleur de celui consécutif à la guerre en Syrie.
Ceux qui tentent de rejoindre les Etats-Unis doivent passer par la région très dangereuse du Darién, entre la Colombie et le Panama. C'est le seul passage terrestre entre l’Amérique du Sud à l’Amérique centrale. Une zone de jungle et de marécages, sans aucune route. En 2022, près de 250'000 migrants ont emprunté ce passage.
Ces flux migratoires, comme ceux qui traversent la Méditerranée, sont souvent encadrés par des passeurs. "Le business des passeurs est énorme et il rapporte énormément d'argent, plus que le trafic de drogue au niveau mondial (...) En interdisant l'accès, on alimente le business des passeurs", souligne Vincent Chetail. Selon lui, il faut prévoir des voies d'accès légales qui contrent ce business plan et en même temps des approches préventives qui s'attaquent aux causes premières de la migration.
Elsa Anghinolfi