Le président russe Vladimir Poutine a décidé de rétablir les liaisons aériennes entre la Russie et la Géorgie après quatre années d'interruption. Le gouvernement de Tbilissi a salué la levée des visas pour les Géorgiens en Russie. Pour la population géorgienne, ces décisions sont perçues comme "des cadeaux faits par le Kremlin à la politique pro-russe des dirigeants de Géorgie", décrypte Régis Genté, correspondant pour la RTS dans ce pays, mercredi dans Tout Un Monde. "Ce qui irrite une partie de la population du pays."
>> Lire aussi : Les liaisons aériennes entre la Russie et la Géorgie rétablies après quatre ans
Si la guerre en Ukraine a accéléré le processus d'adhésion de la Géorgie à l'Union européenne, ce petit pays de 3,7 millions d'habitants veut se tourner vers l'Europe depuis longtemps. "Cela fait 20 ans que j'y travaille, 20 ans que je lis les mêmes sondages, 80% des Géorgiens déclarent que leur avenir doit être tourné vers la famille européenne", constate Régis Genté.
Tout indique que la Russie pousse la Géorgie à rompre ses liens avec l'Occident.
Une population qui rêve d'Europe depuis deux siècles est sur le point de faire son retour dans l'orbite russe. "Cette reprise des vols, c'est la cerise sur le gâteau. À l'heure où tout le monde boude la Russie, la Géorgie rétablit ses liens aériens avec la Russie", déclare le journaliste.
Un oligarque influent
La population accuse les dirigeants d'être sous le contrôle informel de l'ex-Premier ministre géorgien et oligarque pro-Kremlin Bidzina Ivanichvili. Régis Genté explique que cet homme a fait toute sa fortune en Russie et qu'il ramène la Géorgie dans l'orbite russe. "Le gouvernement est complètement à ses ordres. L'actuel Premier ministre était son homme à tout faire, le ministre de l'Intérieur était le chef de sa sécurité personnelle. Il a fait partie du petit noyau en 1996 qui avait créé l'oligarchie russe. Sa fortune équivaut au budget national géorgien. Il a la capacité de dévoyer le pays de sa route historique."
Depuis trois ans, Régis Genté observe un pouvoir géorgien qui accumule les gestes forts à l'égard de la Russie. "Tout indique que la Russie pousse la Géorgie à rompre ses liens avec l'Occident. La Russie n'est pas attractive pour les 3,7 millions de Géorgiens, donc Moscou fait du "soft power" négatif qui dit à la population de ne pas se tourner vers l'Europe, en jouant par exemple avec la carte des moeurs, [en soutenant que] la société européenne est complètement influencée par la communauté LGBT."
La guerre de 2008 en Géorgie, c'est en quelque sorte le début de la guerre en Ukraine. C'est la même guerre, le même mouvement.
"Dans les relations diplomatiques, on voit que les dirigeants géorgiens actuels sont très rudes, parfois insultants, à l'égard des représentants européens", indique Régis Genté. "Par exemple, un journal géorgien a compté le nombre critiques du président du parti au pouvoir, entre février et juillet 2022. Il y en avait neuf à l'égard de la Russie, 57 à l'encontre des Américains et des Européens et 55 sur l'Ukraine et Volodymyr Zelensky."
L'ombre de la guerre
La Géorgie avait subi une invasion russe en 2008. Le pays avait perdu les régions d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie dans l'opération. Par conséquent, face à la menace, la Géorgie est obligée de ménager ses rapports avec Moscou.
Pour Régis Genté, la politique de prudence face à la Russie est tout à fait louable et nécessaire. "Il ne faut pas oublier que la guerre de 2008 en Géorgie, c'est en quelque sorte le début de la guerre en Ukraine. C'est la même guerre, le même mouvement. La Russie surveille de très près la Géorgie. Elle est capable, si besoin, de déstabiliser la Géorgie."
Ce décalage entre le pouvoir et la population, favorable à une adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN, crée une tension avec des crises à répétitions en Géorgie. Régis Genté prend pour exemple la volonté du gouvernement de Tbilissi qui a voulu, en mars dernier, imposer une loi sur les agents étrangers calquée sur la loi russe. Une manière de rompre avec l'Occident et d'appartenir à la loi russe, selon Régis Genté. "On ne peut pas faire acte plus provocant envers l'Europe quand on candidate à l'Union européenne", souligne-t-il.
Adhésion sous conditions
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, Régis Genté précise que 2023 est une année cruciale, car la Moldavie et l'Ukraine ont reçu le statut de candidates à l'Union européenne en 2022, mais pas la Géorgie en raison de sa politique pro-russe. "L'Union européenne a laissé une échéance à fin 2023 pour que la Géorgie remplisse les conditions d'une adhésion, mais cette décision risque d'être négative et on ne sait pas comment la population géorgienne va réagir", prévient Régis Genté.
En mars, en 48 heures, les manifestants avaient réussi à faire retirer le projet de loi sur les agents étrangers. Mais le gouvernement continue les provocations, selon Régis Genté. D'autres lois qui s'opposeraient à un rapprochement avec l'Europe sont à prévoir.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Thibaut Clémence