Selon Alice Ekman, responsable de l’Asie à l’Institut d’études de sécurité de l’Union Européenne (EUISS), invitée dans l'émission Tout un Monde de la RTS, l'époque du pragmatisme chinois dans les relations internationales est révolue. C’est désormais la rigueur idéologique qui prime dans les cercles du pouvoir à Pékin.
Aujourd'hui, la Chine a les moyens de revenir dans la juste voie du socialisme
Dans son livre "Dernier vol pour Pékin", la sinologue analyse ce changement de paradigme. La Chine a longtemps été relativement ouverte sur le monde, mais ces dernières années, le renforcement du pouvoir de Xi Jinping s'accompagne d’un durcissement idéologique: "Il considère qu'il est temps de refermer la parenthèse libérale qui était nécessaire pour faire face à l'extrême pauvreté dans laquelle se trouvait le pays au lendemain de la révolution culturelle. Aujourd'hui, la deuxième puissance économique mondiale a les moyens de revenir dans la juste voie du socialisme aux caractéristiques chinoises", selon la terminologie de Pékin.
Le numéro un chinois affiche ouvertement son idéologie, souligne Alice Ekman. "En octobre dernier, il a affirmé qu'il faut lutter contre le culte de l'argent, le profit, l'hédonisme, l'égocentrisme et ses influences venues de l'Occident".
Payer le prix de ses positions politiques
Pour Pékin, le modèle chinois serait non seulement valide pour la Chine, mais bien-au-delà. "Aujourd'hui, Xi Jinping se considère en rivalité directe avec le modèle occidental, il ne cesse de répéter que le système économique, politique et social de la Chine d'aujourd'hui est plus efficace", explique Alice Ekman.
En mars, le ministre des Affaires étrangères Qin Gang a déclaré que la modernisation à la chinoise doit être une source d'inspiration pour le monde entier. "Cela se traduit par des actions diplomatiques, telles que l'offre du programme de formation à destination, en premier lieu, de pays en développement", relève la sinologue.
S'il y a un arbitrage à faire entre les affaires économiques et politiques, l'objectif politique prime
L'Empire du Milieu serait prêt à payer le prix de ses positions politiques ou géostratégiques. La responsable de l'Asie à l'EUISS prend pour exemple l'adoption de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong en été 2020.
Cette décision a été pénalisante pour la Chine en termes d’images et elle a dégradé l’attractivité économique de Hong Kong. Plusieurs multinationales ont déplacé leurs sièges régionaux à Singapour. Malgré cela, la Chine n'a cessé de mettre en application de manière très stricte cette loi. Cela veut dire, relève Alice Ekman, qu’en cas "d’arbitrage à faire entre les affaires économiques et politiques, l'objectif politique prime".
Pékin a également la conviction profonde qu'il faut davantage lutter contre les forces occidentales dont le modèle est en déclin. "Si vous parvenez à marginaliser l'existence de valeurs universelles, (...) en affirmant qu'elles ne sont qu'une création de l'Occident, alors le relativisme politique gagne aux Nations unies ou ailleurs", selon Alice Ekman. Et cette stratégie a par exemple permis en octobre dernier à la Chine de bloquer un débat à la Conférence des droits de l’homme de l’ONU à Genève sur les événements dans la province du Xinjiang.
Il est temps de prendre au sérieux la Chine dans ses ambitions
Créer de nouvelles coalitions
La Chine cherche également à créer de nouvelles coalitions. C'est notamment l'un des objectifs des "nouvelles routes de la soie", un vaste projet mondial d’infrastructures, ouvert à tous les pays. Il y a quatre ans, en signant un protocole d'accords, l'Italie avait provoqué des remous à Bruxelles et à Washington.
Pour élargir son cercle d'amis, la Chine s'appuie sur un discours post-occidental et aussi anticolonial en réinterprétant les événements mondiaux. Ses actions diplomatiques sont souvent sous-évaluées par l'Occident. "On pense que son discours ne prendra pas, pourtant elle arrive à rassembler et à promouvoir ses initiatives dans une partie du monde."
Aujourd'hui, l'Empire du Milieu cherche activement à promouvoir sa monnaie, ses technologies et aussi certains forums multilatéraux. Selon Alice Ekman, "il n'est pas improbable que l'on s'oriente progressivement vers des mondes incompatibles, car nous sommes dans une compétition normative".
Ces vingt dernières années, une partie du monde a sous-estimé les capacités technologiques et diplomatiques de la Chine. "C'est quand même le premier réseau diplomatique au monde, la Chine est devant les Etats-Unis", précise Alice Ekman.
"D'un point de vue technologique, elle est compétitive. Elle exporte dans une partie non négligeable du monde. Elle continuera de le faire, il est temps de prendre au sérieux la Chine dans ses ambitions, mais aussi dans ses capacités d'action", conclut la sinologue.
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Sujet radio: Patrick Chaboudez
Adaptation web: Miroslav Mares