Le pape François était à Marseille le 22 et 23 septembre derniers. Si sa visite dans la deuxième ville de France était surtout consacrée à la Méditerranée et au défi migratoire, le souverain pontife a aussi évoqué indirectement la loi attendue prochainement en France sur ce thème, mettant en garde contre la "perspective faussement digne d'une mort douce".
On ne joue pas avec la vie! On ne joue pas avec la vie, ni au début ni à la fin
"Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d'être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d'une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer?", s'est interrogé le pape, connu pour être intransigeant sur la question de la fin de vie.
"On ne joue pas avec la vie! On ne joue pas avec la vie, ni au début, ni à la fin", a-t-il ensuite ajouté dans l’avion qui le ramenait à Rome. "Aujourd’hui, soyons attentifs aux colonisations idéologiques qui vont à l’encontre de la vie humaine. Sinon, ça finira avec cette politique de la non-douleur" qu’il a qualifiée d’"euthanasie humaniste".
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Alors que le débat au Parlement français sur la question était annoncé pour cet automne, le ministre des Relations avec le Parlement Franck Riester a indiqué lundi qu'il devrait au final avoir lieu "l'année prochaine", avec une présentation en Conseil des ministres "avant la fin de l'année" selon lui.
Est-ce que la visite du pape dans la Cité phocéenne y est pour quelque chose? Nul ne le sait. Mais une chose est certaine, c'est que l’avant-projet de loi sur la fin de vie, qui doit ouvrir un accès à l’aide active à mourir en France, est sur le bureau d'Emmanuel Macron. Un projet dont il voudrait toujours faire le marqueur sociétal de son dernier quinquennat. Mais des interrogations personnelles et des considérations politiques tourmenteraient le président français, même s'il souhaiterait toujours conserver son objectif.
"Le président [est] un peu réservé [sur le sujet], confiait un ministre, à la mi-septembre, à l’Agence France-Presse. Quand il est réservé sur quelque chose, il attend le plus tard possible pour décider."
La situation en Europe
Euthanasie et suicide assisté sont aujourd'hui autorisés dans une poignée de pays européens. Les Pays-Bas et la Belgique ont été les deux premiers pays européens à avoir autorisé l'euthanasie, à savoir la mort provoquée par un soignant à la demande d'un malade. Si elle n'autorise pas l'euthanasie, la Suisse permet cependant le suicide assisté depuis près d'un siècle, faisant d'elle une précurseuse sur la question (lire encadré).
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Portugal:
Le Portugal est le dernier pays à avoir autorisé l'euthanasie active. Le président portugais, le conservateur et catholique pratiquant Marcelo Rebelo de Sousa, a promulgué mi-mai une loi en ce sens adoptée peu de temps auparavant par le Parlement à majorité socialiste, au terme d'un processus législatif laborieux.
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"La Constitution oblige le Président à promulguer une loi à laquelle il a mis son veto et qui a été confirmée par l'Assemblée de la République. Je la promulguerai, bien sûr, c'est mon devoir constitutionnel", avait indiqué après le vote Marcelo Rebelo de Sousa alors qu'il avait posé son veto à plusieurs reprises.
La version définitive de la loi prévoit que l'euthanasie ne soit autorisée que dans les cas où "le suicide médicalement assisté est impossible en raison d'une incapacité physique du patient".
Son entrée en vigueur prévue cet automne ne mettra certainement pas fin au débat public sur ce sujet clivant dans un pays de forte tradition catholique.
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Pays-Bas:
Aux Pays-Bas, l'euthanasie active et le suicide assisté sont autorisés. L'euthanasie est strictement encadrée depuis 2002. Selon la loi néerlandaise, le médecin et un expert indépendant doivent déterminer chez le patient une souffrance insupportable et sans espoir d'amélioration. Il doit aussi être établi que la demande d'euthanasie est mûrement réfléchie, volontaire, et qu'il n'y a aucune autre "option réaliste".
Après des années de débat, l'aide à la fin de vie a été élargie en avril 2023, aux enfants de moins de 12 ans qui souffrent de maladies incurables induisant une mort prochaine inévitable.
Chaque année dans ce pays, de plus en plus de personnes ont recours à l'euthanasie. En 2022, 8700 personnes y ont eu recours, selon les chiffres officiels. La majorité souffraient d'un cancer en phase terminale.
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Belgique:
En Belgique, l'euthanasie et le suicide assisté sont également autorisés. Pour l'euthanasie, la demande doit être "volontaire, réfléchie, répétée" et "sans pression extérieure", selon un texte promulgué en 2002. Le médecin doit en outre s’assurer que le patient est doté de la capacité de discernement et qu’il souffre d’une pathologie grave et incurable.
En 2014, la Belgique est devenue le premier pays au monde à autoriser l'euthanasie pour les mineurs sans limite d'âge.
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Luxembourg
Au Luxembourg, la pratique est légale, à savoir lorsque le patient prend lui-même un produit prescrit pour donner la mort. "N'est pas sanctionné pénalement et ne peut donner lieu à une action civile en dommages et intérêts le fait par un médecin de répondre à une demande d'euthanasie ou d'assistance au suicide", selon la loi luxembourgeoise promulgué en 2009. L'euthanasie n'est possible que pour les personnes majeures dans une situation médicale sans issue.
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Espagne
L'Espagne a aussi adopté en mars 2021 une loi qui permet l'euthanasie et le suicide médicalement assisté.
La loi espagnole prévoit que toute personne ayant "une maladie grave et incurable" ou des douleurs "chroniques la plaçant dans une situation d'incapacité" puisse demander l'aide du corps médical pour mourir et s'éviter ainsi "une souffrance intolérable". Des conditions strictes encadrent la démarche qui doit notamment recevoir le feu vert d'une commission d'évaluation. Le patient doit en outre être majeur, avoir la nationalité espagnole ou résider en Espagne depuis plus de 12 mois.
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Suisse
La Suisse autorise le suicide assisté depuis de très nombreuses années. De 1893 à 1918, les législateurs suisses ont débattu pour reconnaître le droit à l’assistance au suicide comme un acte de liberté personnelle, tout en punissant l’assistance pour des motifs égoïstes. Le Conseil fédéral, dans son élaboration du Code pénal en 1918, mentionne déjà les termes de l’article 115 CP qui a été mis en vigueur le 1 janvier 1941 et est resté quasi inchangé jusqu’à aujourd’hui.
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La pratique de l'assistance au suicide est encadrée par des codes de déontologie médicale et est généralement prise en charge par des organisations comme l'association Exit, qui a accompagné 1627 personnes dans le processus de mort en 2022.
A noter toutefois que l’euthanasie directe active reste interdite en Suisse.
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Autriche
L'Autriche a légalisé, par un vote du Parlement en décembre 2021, le suicide assisté pour les personnes atteintes d'une maladie grave ou incurable. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
Tout comme en Suisse, l'euthanasie est par contre interdite.
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Italie
En Italie, la Cour constitutionnelle a dépénalisé de fait en septembre 2019 le suicide assisté pour certains cas: pour les malades pleinement conscients "maintenus en vie par des traitements (...) et atteints d'une pathologie irréversible, source de souffrance physique et psychologique qu'ils estiment intolérable".
Mais l'euthanasie active y reste considérée comme un crime.
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Situation encore floue ailleurs
Sans aller jusqu'à l'euthanasie active ou jusqu'au suicide assisté, plusieurs pays européens autorisent certaines formes d'aide à mourir.
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France:
En France, la loi Claeys-Leonetti de 2016 permet aux soignants de mettre sous sédation irréversible des malades atteints d'une "affection grave et incurable". Mais elle ne va pas jusqu'à autoriser l'euthanasie active. La médiatisation d'affaires particulières rouvre régulièrement le débat, à commencer par celle de Vincent Lambert qui, suite à un accident de la route survenu en 2008, a plongé dans un état végétatif chronique.
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Durant plus de six ans, plusieurs décisions de justice ont coup sur coup suspendu puis validé l'arrêt des traitement sans que l'état du patient s'améliore. Huit jours et demi après l'arrêt de ses traitements et de l'alimentation qui le maintenaient en vie, Vincent Lambert est décédé le 11 juillet 2019, plus de 10 ans après son accident.
A noter que la législation pourrait bientôt évoluer vers un "modèle français de la fin de vie", selon le président Emmanuel Macron qui a annoncé début avril un projet de loi après l'organisation d'une convention citoyenne qui s'est prononcée très majoritairement pour l'instauration d'une "aide active à mourir". Le Parlement devrait débattre sur la question dans les prochains mois.
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Allemagne:
En Allemagne, l'euthanasie passive est tolérée si le patient en fait la demande. En février 2020, la Cour constitutionnelle a, par ailleurs, censuré une loi de 2015, interdisant l'assistance au suicide par des médecins ou associations.
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Royaume-Uni:
Au Royaume-Uni, depuis 2002, l'interruption des soins dans certains cas est autorisée. Le suicide assisté y reste toutefois passible d'une peine allant jusqu'à 14 ans de prison. Mais de nouvelles directives émises en 2010 incitent à la clémence lorsque l'acte est effectué par "compassion".
Fabien Grenon avec les agences
Un peu de lexique
En Suisse, c'est l'Office fédéral de la justice qui est compétent pour les questions législatives et notamment pénales en matière d'euthanasie et d'assistance au suicide. La pratique est également encadrée par des codes de déontologie médicale fixées par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM).
Euthanasie et suicide assisté ne désignent pas la même chose: l'euthanasie est un terme employé dans des contextes très divers (euthanasie animale, massacres perpétrés par le national-socialisme...). Pour cette raison, il faut éviter de l’employer en rapport avec l’assistance au suicide proprement dite.
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Assistance au suicide:
Contrairement à l’euthanasie, la maîtrise de l'action appartient dans ce cas à la personne résolue à mourir, autrement dit le patient décide lui-même de mettre fin à ses jours et exécute l’acte final. En Suisse, cette forme d’assistance est autorisée tant que des motifs égoïstes n’entrent pas en jeu (art. 115 du Code pénal suisse). Des organisations telles que Exit ou Dignitas fournissent une assistance au suicide dans le cadre de la loi. Elles ne sont pas punissables tant qu’aucun motif égoïste ne peut leur être reproché.
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Euthanasie active directe:
La personne résolue à mourir demande à des tiers de mettre fin à sa vie, par exemple par l’injection d’un médicament létal. En Suisse, cette forme d'euthanasie dans le but d’abréger les souffrances d’une personne est interdite, punissable selon les articles 111 (meurtre), 114 (meurtre sur la demande de la victime) ou 113 (meurtre passionnel) du code pénal (CP).
Celui qui, cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une personne sur la demande sérieuse et insistante de celle-ci sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire
L'euthanasie active directe est toutefois permise en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Espagne et depuis peu au Portugal, s’il est accompli par un médecin dans des conditions strictement définies.
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Euthanasie active indirecte:
Pour soulager des souffrances, des substances, comme par exemple de la morphine, sont administrées dont les effets secondaires sont susceptibles de réduire la durée de la survie. Le fait que le décès puisse ainsi survenir prématurément est accepté. Ce cas de figure se présente lors des soins palliatifs des cancéreux au stade terminal.
En Suisse, cette forme d’euthanasie n’est pas expressément réglée dans le Code pénal, mais elle est considérée comme admise. Les directives en matière d’euthanasie de l’ASSM considèrent également qu’elle est admissible. Elle est pratiquée dans le monde entier.
Décision d’un traitement de la douleur et d’autres symptômes dans l’acceptation du risque que la vie soit abrégée
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Euthanasie passive:
Renonciation à la mise en œuvre de mesures de maintien de la vie ou interruption de celles-ci, comme un arrêt du traitement, un arrêt de l’alimentation solide et liquide, ou encore le débranchement d’un appareil à oxygène. Elle est légale.
En Suisse, cette forme d’euthanasie n’est pas non plus réglée expressément par la loi, mais elle est considérée comme permise; les directives ASSM en donnent une définition semblable.
Décision de renonciation de traitement et/ou interruption de celui-ci conformément à la volonté présumée du patient