Assurer sa maison ou d'autres biens deviendra-t-il un luxe inabordable? En Californie, qui a subi ces dernières années des méga-feux sur son territoire, deux des plus grosses compagnies du pays, All State et State Farm, refusent désormais d'assurer les nouveaux propriétaires de maisons ou locaux commerciaux.
Raisons invoquées: l'inflation, les prix de construction ou de reconstruction trop élevés, mais surtout les coûts liés aux gigantesques incendies qui ont détruit des millions d'hectares. Par exemple, State Farm avait encaissé 7 milliards de dollars de primes, mais en a déboursé 4 en réparations en 2021.
"En Californie, un des grands risques naturels est le tremblement de terre. Mais ce sinistre n'est pas assuré", note Charles Nyce, professeur de management du risque à l'Université de Floride. "Les feux de forêt en sont un autre. Ils ont causé d'énormes pertes pour les assureurs. C'est une grande préoccupation. Même si cela n'est pas très populaire de parler de changement climatique, on va sans doute assister à des événements météorologiques très divers, qui surviendront plus fréquemment", analyse-t-il.
Changement de ton à la fin du millénaire
Ces désastres naturels ne sont pas nouveaux. Les ouragans et les inondations survenus dans d'autres Etats ces dernières décennies, notamment en Floride et en Louisiane, ont déjà pas mal inquiété les assureurs.
Selon Arthur Charpentier, professeur à l'Université du Québec à Montréal, le vrai choc remonte aux années 1990, avec l'ouragan Andrew en 1992 qui a dévasté le sud-est des Etats-Unis.
"Les assureurs ont pris conscience que le montant des primes qu'ils avaient encaissé sur toute l'assurance de dommages dans la province permettait à peine de couvrir les maisons qui avaient été touchées. Ils se sont rendus comptes que les coûts potentiels étaient énormes. On s'est dit que la réassurance pourrait intervenir. Mais là aussi, on se rend compte que les capacités des réassureurs sont limitées. Il a donc fallu réfléchir à la mise en place de mécanismes", développe le mathématicien spécialiste des assurances.
Assureurs plus restrictifs
En Floride, où les primes d'assurance sont quatre fois plus élevées que la moyenne nationale, les grandes compagnies sont ainsi devenues plus restrictives. Elles ont aussi créé des entités indépendantes destinées à couvrir spécifiquement les dégâts liés aux ouragans.
"Dans les années 1990, la compagnie d'assurance State Farm avait environ 40% des parts de marché en Floride. Aujourd'hui, elle n'en a plus que 5%. Elle a volontairement restreint le nombre de contrats d'assurance de biens immobiliers. Elle a parallèlement créé des sociétés indépendantes pour ses nouveaux contrats. Si elles font faillite, elles n'entraîneront pas la maison-mère dans leur chute", analyse Charles Nyce.
Plus d'une vingtaine d'entre elles, en grande difficulté financière, sont d'ailleurs dans le collimateur du régulateur. Ce qui n'est pas vraiment rassurant pour les clients...
Ce modèle d'affaires pourrait toutefois être appliqué en Californie, où l'Etat n'autorise pas les compagnies à augmenter leurs primes au-delà d'un certain seuil, ce qui explique le refus de certaines d'entre elles de couvrir les nouveaux biens immobiliers.
Propriétaires pas tous égaux
Les propriétaires n'ont pas tous les mêmes options. Les plus riches pourront toujours payer entre 10'000 ou 20'000 dollars de primes annuelles.
Les moins riches ne peuvent pas, aux Etats-Unis, obtenir une hypothèque sans assurer la maison. De nombreux particuliers et même des entreprises s'adressent aujourd'hui aux compagnies garanties par l'Etat. A l'image de la Citizens Property Insurance, désormais principale pourvoyeuse d'assurances en Floride.
Mesures étatiques
La situation risque de devenir intenable pour les autorités si les catastrophes se multiplient. Des mesures sont prises en conséquence. Sur la côte sud-ouest des Etats-Unis, on renforce ainsi les constructions du front de mer et les murs de protection.
En Californie, on essaie de combattre les incendies par des feux préventifs, sans interdire de nouvelles installations, alors que beaucoup de personnes fuient la cherté des villes vers des zones périurbaines en bordure de forêt.
"Le gouvernement fédéral devra plus s'impliquer"
Or, selon Charles Nyce, ce n'est qu'au moment où le gouvernement fédéral créera un fonds ou une réassurance nationale que les choses changeront: "A un moment donné, le gouvernement fédéral devra plus s'impliquer. Nous avons des tremblements de terre ou des inondations. Quand le gouvernement aura la main, alors on commencera à éviter et à prévenir les risques dans certaines zones. Pour le moment, personne n'a dit: 'Vous ne pouvez pas construire, reconstruire ou vivre là'", soutient le professeur floridien.
En Europe, la situation dépend des pays. La France a, par exemple, une assurance publique obligatoire couvrant les catastrophes naturelles. L'Hexagone a pris un certain nombre de mesures pour rendre les constructions plus résistantes. Mais selon Arthur Charpentier, elles restent très timides lorsqu'il s'agit de déclarer des zones non constructibles.
"De réels efforts" demandés aux propriétaires
Selon Swenja Surminski, de la société de gestions des risques Marsh & McLennan, les assurances doivent évoluer et cesser de déresponsabiliser les particuliers pour les inciter à construire ou reconstruire différemment.
"Quand un inondation survient, les assurances aident en général les propriétaires à évaluer les dégâts, à réparer et à reconstruire. Mais il y a maintenant de nouvelles idées sur comment mieux reconstruire, en permettant aux assurances de travailler avec les clients. Le but est de leur dire: 'vous avez été inondés une fois, il est probable que vous le soyez à d'autres occasions. Comment faire pour rendre votre maison plus résiliente?' C'est un signal important: 'Oui, vous continuez à être assuré, mais il y a de réels efforts pour que la prochaine inondation vous impacte moins'", développe-t-elle.
Problèmes globaux
Il s'agit dès lors de mettre l'accent sur la prévention. D'abord parce que la majorité de la population mondiale n'est tout simplement pas assurée, car elle n'en a pas les moyens. Ensuite parce que la question du changement climatique dépasse largement les frontières nationales.
La fumée des feux canadiens a atteint New York, rappelle Arthur Charpentier. Les politiques environnementales de la ville, quelles qu'elles soient, n'y changeront rien. "Le changement climatique n'est pas un problème local. C'est un problème global. Ce qui peut se passer très loin peut avoir des conséquences énormes y compris dans un autre pays", souligne le professeur canadien.
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Francesca Argiroffo/ami