Les forces démocratiques russes en exil se sont déjà réunies à plusieurs reprises ces derniers mois, notamment à Paris et à Berlin, mais c'est la première fois qu'une rencontre de ce type avait lieu au Parlement européen. A Bruxelles, certains députés montrent en effet un intérêt pour ce que les Russes opposés au régime actuel ont à dire.
"Il faut essayer de montrer à l'opinion russe que le Parlement européen prend non seulement l'opposition au sérieux, ce qui est important car cela accroît sa crédibilité, mais aussi que nous souhaitons ardemment pouvoir débattre et trouver un modus vivendi avec la Russie démocratique qui naîtra un jour prochain, j'en suis convaincu", explique Bernard Guetta, l'un des élus européens ayant organisé cette rencontre.
De la peine à convaincre
Pourtant, cette opposition ne plaît pas à tout le monde. Une partie des Ukrainiens rejettent désormais tout contact avec une partie de ces activistes qu'ils estiment aussi impérialistes que Vladimir Poutine. Ils leur reprochent de se plaindre, de se focaliser davantage sur leur propre sort que sur celui des Ukrainiens.
A Bruxelles, il a fallu attendre une demi-journée de discussions avant que l'un des intervenants ne propose finalement une minute de silence en mémoire des Ukrainiens tués dans cette guerre.
Un manque de tact qui ne signifie pas pour autant que ces Russes soutiennent l'invasion. Tous dénoncent sans ambiguïté cette guerre et le régime de Poutine.
"Nous sommes une partie de la solution", estime l'opposante russe Natalia Arno, présidente de la Free Russia Foundation, ayant quitté le pays il y a plus de 10 ans.
"Nous sommes les personnes prêtes à transformer la Russie pour la rendre normale et civilisée. Nous ne pouvons pas nous permettre de croire que la démocratie et la liberté ne sont pas possibles dans notre pays", ajoute-t-elle.
D'après elle, tant que la Russie ne sera pas démocratique, elle continuera d'être une menace, même en cas de victoire militaire de l'Ukraine, une victoire qu'elle souhaite ardemment.
Elle rappelle également que l'Europe a continué à commercer avec Vladimir Poutine jusqu'à la veille de la guerre.
"Après le début de l'invasion, certains gouvernements européens ont fermé leurs frontières à tous les ressortissants russes et assimilent tous les Russes à Poutine. Nous le comprenons mais il faut rappeler une chose: c'est nous, la société civile russe, les médias indépendants, qui avons été les premiers à mettre en garde contre la nature dangereuse, criminelle et meurtrière du régime Poutine", déclare-t-elle.
Une opposition divisée
Les opposants russes souffrent de leur incapacité à s'unir. Même l'invasion à large échelle de l'Ukraine en février 2022 n'a pas suffi à ce qu'ils laissent de côté leurs rivalités personnelles. L'équipe d'Alexeï Navalny, le célèbre opposant emprisonné en Russie, ne s'est par exemple pas rendue à Bruxelles, alors qu'elle était invitée. La veille de la rencontre, ses partisans appelaient plutôt les Russes à descendre dans la rue pour soutenir Alexeï Navalny le jour de son anniversaire, malgré la répression de l'Etat à l'égard de tout rassemblement.
L'ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovsky, l'une des principales figures de l'opposition en exil, présent pour sa part à Bruxelles, ne soutient pas cette stratégie : "Je ne suis pas prêt à appeler les gens à manifester pacifiquement aujourd'hui en Russie. Au moment où on pourra vraiment parler d'un changement de régime, alors à ce stade il sera logique de prendre ce risque", a-t-il expliqué à la RTS.
Certains Russes estiment de leur côté que la seule réponse possible pour combattre Vladimir Poutine et mettre fin à l'invasion de l'Ukraine est la lutte armée. C'est le cas des deux bataillons qui ont revendiqué ces dernières semaines des incursions en territoire russe, dans la région de Belgorod.
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Alexeï Baranovsky, l'un de leurs représentants, est venu à cette table ronde à Bruxelles en simple observateur. Il considère que seules les armes peuvent changer la donne. "Alors que des concitoyens russes libèrent en ce moment la région de Belgorod, on discute ici de la façon dont l'opposition reviendra gagner les élections quand Poutine sera tombé. Tout cela est déconnecté de la réalité. Aujourd'hui, l'opposition doit se faire les armes à la main. Tous ces rubans, ces ballons de manifestants, ces méthodes non violentes ne fonctionnent pas contre la dictature et la tyrannie", juge-t-il.
Il n'y a pas qu'une seule solution, considère pour sa part Grigory Sverdlin. Cet activiste a pris une autre voie. Il a fondé une organisation à l'automne dernier, qui compte aujourd'hui près de 400 bénévoles, pour aider ses compatriotes à déserter l'armée.
"Nous faisons tout pour que le moins de Russes possibles appuient sur la gâchette et tirent sur des Ukrainiens, pour aider nos compatriotes qui ne veulent pas participer à cette guerre", dit-il.
Grigory Sverdlin fait partie d'une nouvelle génération d'opposants, parmi lesquels beaucoup de femmes, qui ont été récemment contraints de quitter la Russie. Des activistes davantage conscients de la réalité du terrain que les opposants historiques en exil, dont certains ont quitté la Russie il y a plus de 10 ans mais qui peinent pourtant à laisser la place aux plus jeunes.
Lutter contre la propagande
Comment convaincre la majorité de la population russe qui n'ose pas ou ne souhaite pas s'opposer à cette guerre? Comment agir pour lutter contre la propagande du régime ? Cela a été l'une des questions les plus débattues lors de cette table ronde, mais sans faire émerger de solutions claires.
Kirill Rogov, politologue, estime qu'il est important de choisir les bons mots pour tenter de convaincre le plus grand nombre:
"Une partie des Russes - qui voudraient éviter cette guerre et qui n'aspirent qu'à retourner à la vie d'avant - ont deux craintes principales: la peur de répressions de la part du régime de Poutine et celle d'une défaite de la Russie dans cette guerre, car ils ne savent pas ce qu'il se passera si la Russie perd. Si vous leur dites: la Russie doit perdre et être détruite, cela leur fait peur. Mais si vous leur dites: l'Ukraine doit gagner, elle doit nous chasser de son territoire, c'est beaucoup plus clair", explique-t-il.
"Si vous faites quelque chose de concret – dans le cas présent en aidant les hommes, en Russie, qui cherchent à déserter - vos paroles auront beaucoup plus de crédit que si vous essayez de résister en luttant contre la propagande simplement avec des mots", conclut de son côté Grigory Sverdlin.
Isabelle Cornaz/ther