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Arabie saoudite, une politique sportive aux visées diplomatiques

Karim Benzema, comme Cristiano Ronaldo, évoluera désormais dans le championnat saoudien. [Keystone - AP Photo]
L'Arabie saoudite sur tous les fronts sportifs / Tout un monde / 8 min. / le 15 juin 2023
Football, golf, boxe ou encore Formule 1: l'Arabie saoudite prend une place grandissante dans le sport mondialisé. Avec son fonds public d’investissement, doté de l'équivalent de quelque 700 milliards de francs, Riyad a les réserves financières pour acheter ce qu'elle veut. Et renforcer ainsi son influence diplomatique.

Dernier exemple en date: l’arrivée dans une équipe saoudienne de Karim Benzema. Le footballeur français, star du Real Madrid et ballon d’or 2022, a reçu la semaine dernière un accueil enthousiaste dans le stade plein à ras bord de son nouveau club Al-Ittihad.

"J'ai signé ici avec beaucoup d'ambition et d'envie, parce que j'ai faim. J'ai envie de jouer, de montrer ce que je peux faire sur un terrain et de monter le club là où il doit être: tout en haut", a déclaré l'attaquant de 35 ans sur la chaîne beIN Sports.

La diplomatie sportive saoudienne s'est développée en fonction des opportunités qui se sont présentées

Carole Gomez, sociologue du sport

Karim Benzema n’est pas le seul à rêver de sommet. A coups de centaines de millions de francs, les clubs saoudiens achètent des vedettes du foot, parmi lesquelles le Portugais Cristiano Ronaldo ou le Français N’Golo Kanté (Chelsea). Le nom de l'international algérien Riyad Mahrez (Manchester City) circule également ces jours comme potentielle nouvelle recrue de marque.

Après 14 ans de succès au Real Madrid, Karim Benzema a signé un contrat de trois ans au sein du club saoudien Al-Ittihad, basé à Jeddah. [Reuters - Al Ittihad]
Après sa carrière à succès au Real Madrid, Karim Benzema a signé un contrat de trois ans au sein du club saoudien Al-Ittihad, basé à Jeddah. [Reuters - Al Ittihad]

Coup d'accélérateur

L'entrée de l'Arabie saoudite sur le terrain sportif a commencé assez doucement il y a une décennie. Depuis, Ryad a mis le turbo. "La diplomatie sportive saoudienne s'est construite pas-à-pas et s'est développée en fonction des opportunités qui se sont présentées", explique Carole Gomez, sociologue du sport à l’Université de Lausanne.

"A partir de 2016-2017, différents événements se sont tenus sur le sol saoudien ou ont eu des investissements saoudiens. Ils dépassaient très largement le football: des tournois de tennis, de boxe ou de catch ont été organisés. Puis petit à petit, il y a eu cette montée en puissance avec la tentative de rachat du club de Manchester United en 2018-2019, le rachat de Newcastle, la candidature de l'Arabie saoudite pour accueillir la Coupe du monde masculine de football en 2030 et les recrutements extrêmement importants médiatiquement de ces derniers jours", développe Carole Gomez. Mentionnons encore l'organisation des Jeux asiatiques d'hiver 2029.

>> Voir le sujet du 19h30 à propos des jeux asiatiques d'hiver en Arabie saoudite :

L'Arabie saoudite accueillera les Jeux asiatiques d'hiver en 2029 dans le désert futuriste de Neom
L'Arabie saoudite accueillera les Jeux asiatiques d'hiver en 2029 dans le désert futuriste de Neom / 19h30 / 2 min. / le 4 octobre 2022

Footballeurs influenceurs

Payer à prix d’or des stars du foot en vaut-il la peine? "Le retour sur investissement sera d'abord sportif, mais sera conséquent en termes d'image et de réputation", analyse Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport.

Les Saoudiens n'ont pas acheté des footballeurs, mais des influenceurs

Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport

"La venue de ces joueurs sur le sol saoudien va d'abord répondre à une première envie: faire plaisir à la jeunesse saoudienne et donc dynamiser son championnat. Le deuxième objectif de l'Arabie saoudite est de faire de sa ligue professionnelle l'une des dix meilleures du monde - aujourd'hui ce n'est pas le cas. Et le vrai objectif est réputationnel. L'ambition est de s'arranger pour que l'Arabie saoudite puisse contrôler son image. Finalement, ils n'ont pas acheté des footballeurs, mais des influenceurs qui vont devenir des fonctionnaires du ministère saoudien de la Communication. Ils vont être les porteurs de l'image de l'Arabie saoudite, dans le pays et à l'extérieur."

Mainmise sur le golf

La Formule 1 sert aussi de sport porteur d'image, avec depuis 2021 le grand Prix d'Arabie saoudite sur le circuit de Djeddah. Plus récemment, le monde du golf a été ébranlé par les investissements saoudiens. Riyad a lancé en 2021 un circuit concurrent aux traditionnels circuits nord-américain (le PGA) et européens, et a acheté au prix fort des vedettes du golf. Cette guerre des greens s’est soldée il y a quelques jours par la fusion des circuits sous patronage saoudien.

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"L'exemple du golf est parfait", souligne Jean-Baptiste Guégan. "L'Arabie saoudite est capable, au regard de sa capacité financière, de construire les rapports de force. Ils ont littéralement absorbé le PGA, le circuit professionnel américain dominant", ajoute-t-il. "Il faut s'attendre à ce qu'ils le fassent ailleurs, en tennis ou en cricket, où ils ne sont pas les seuls, parce que les Emirats arabes unis vont y investir aussi. Ils regardent aujourd'hui dans énormément de directions. Aucun sport n'est à l'abri. Aujourd'hui, on ne mesure pas ce que l'Arabie saoudite est capable de faire sur la scène sportive internationale", avance l'expert en géopolitique.

Se montrer sous son meilleur jour

Foot, Formule1, golf: pour quelles raisons le royaume du Golfe cherche-t-il à investir dans ces trois sports? Selon l'historien et professeur à l’Université de Lausanne Nicolas Bancel, la stratégie du football est de s'imposer "à l'universel", car le ballon rond est le sport le plus populaire à travers le monde. "Pour la F1, je crois qu'on est dans l'idée d'avoir une image très avancée. La Formule 1, même si elle peut être contestée du point de vue écologique, représente une vitrine technologique des plus grands constructeurs mondiaux", soutient-il.

Le prince héritier du royaume d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane. [Keystone - Saudi Press Agency via AP]
Le prince héritier du royaume d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane. [Keystone - Saudi Press Agency via AP]

"Le golf, c'est l'image prestigieuse d'un sport purement occidental. A l'origine, c'est une discipline 'de prestige', qui draine beaucoup d'argent pour les participants. Cela fait aussi partie, je pense, de cette 'rénovation d'image' que l'Arabie saoudite cherche à travers ce type de sport", conclut Nicolas Bancel.

Meurtre de Jamal Khashoggi

La réputation de l’Arabie saoudite avait été sérieusement écornée par le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en automne 2018 dans le consulat saoudien à Istanbul.

Pendant un certain temps, les pays occidentaux ont tenu le dirigeant saoudien Mohammed Ben Salmane à distance. Cette période de disgrâce s’est achevée avec la visite l’été dernier de Joe Biden en Arabie saoudite. MBS, comme on le surnomme, se trouvait cette semaine dans son château français près de Versailles et a rencontré vendredi le président Emmanuel Macron.

>> Voir le sujet du 19h30 au sujet de la visite de Joe Biden :

Dernier jour de Joe Biden en Arabie saoudite après un "check" controversé avec Mohammed ben Salmane
Dernier jour de Joe Biden en Arabie saoudite après un "check" controversé avec Mohammed ben Salmane / 19h30 / 2 min. / le 16 juillet 2022

Soft power

Ces investissements dans le sport sont une forme de soft power, de travail d'influence "en douceur", que l’Arabie saoudite menait déjà sur le plan religieux avec le financement de mosquées et l’extension de l’islam sunnite.

"Le sport ne vise plus seulement une influence de soft power localisée sur la religion, mais un soft power mondial", affirme Nicolas Bancel.

L'historien avance deux pistes d'analyse: "Il y a d'abord une logique de concurrence interne à la région face au Qatar et même aux Emirats arabes unis, qui entretiennent une politique sportive depuis très longtemps. Deuxièmement, je pense que le pays s'inscrit dans une dynamique de la multipolarisation mondiale. Le soft power par le sport permet d'affermir cette position, de participer à cette dynamique de pas de côté par rapport à l'Occident."

Des milliards à disposition

Le royaume se rapproche dans le même temps d’autres pays, comme la Chine, ou d’autres nations émergentes qui constituent cette forme de multipolarité.

Cette politique sportive dispose de moyens conséquents: 20 milliards de dollars seraient mis à disposition uniquement à cet effet. Avec, clairement, l’ambition d’obtenir une Coupe du monde de football et les Jeux olympiques.

Sujet radio: Patrick Chaboudez

Adaptation web: ami

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Aussi une politique intérieure

Les investissements dans le sport ont également une portée intérieure. C'est d'ailleurs ce qu'a souligné le ministre saoudien responsables de ceux-ci, Khaled al-Faleh: "Tout sport qui a des consommateurs au niveau mondial et national nous intéresse en tant qu'opportunité d'investissement, mais aussi en tant qu'amélioration de la qualité de vie en Arabie saoudite", déclarait-il dans une interview à la chaîne CNBC.

Une telle stratégie s'adresse d'abord à la jeunesse saoudienne, souligne Jean-Baptiste Guégan. "C'est la future base politique de ces quarante prochaines années. Leur offrir ce qu'ils demandent, c'est aussi une partie du contrat social: 'Je vous offre de la croissance, l'économie, des loisirs, mais ne me demandez pas la démocratie.' C'est aussi une manière de répondre à une forme possible de nouveaux printemps arabes."

Favoriser le sport dans la population

Les autorités aussi espèrent aussi agir au niveau sanitaire, d'après Jean-Baptiste Guégan. En effet, "70% de la population a moins de 35 ans et 60% est en surpoids ou en situation d'obésité. Aujourd'hui, moins de 10% de la population saoudienne pratique du sport", chiffre-t-il.

Selon l'expert, inciter Saoudiens et Saoudiennes à l'activité physique poursuit également un objectif économique. "Les coûts médicaux sont insupportables pour un Etat, même si l'Arabie saoudite a les moyens"