Des milliers de manifestants se sont réunis ce week-end dans la vallée de la Maurienne, en Savoie, malgré une interdiction préfectorale. Ils ont protesté contre le projet de nouvelle ligne à grande vitesse de marchandises et de passagers entre Lyon et Turin. La centaine de kilomètres creusés sous la montagne cristallise toutes les tensions, tout comme le coût évalué à plus de 25 milliards de francs.
"Les projets comme le Lyon-Turin coûtent énormément d'argent", a déploré lundi dans l'émission Tout un monde Julien, un activiste présent à la manifestation. "Ils coûtent cher à la fois à la société et à l'environnement."
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"Pour moi, la plus grande aberration se situe au niveau de l'eau, parce qu'il faut vider des réservoirs d'eau immenses dans les Alpes pour construire ce tunnel. C'est une aberration, parce qu'on sait que l'eau manque pour plein de gens dans le monde entier et même en France, ça commence à manquer."
La semaine dernière, des élus favorables au projet se sont réunis pour mettre en avant la nécessité de doubler le recours au rail, moyen de transport moins polluant que la route. Près d'un million de camions par an pourraient être retirés des routes. Ces élus estiment que si rien n'est fait, l'explosion du transport de marchandises rendra la vie des riverains impossible.
"Repenser le système"
Les manifestants rétorquent que la ligne ferroviaire existante est sous-exploitée et qu'elle pourrait être rénovée. "Depuis 20 ans, on nous dit qu'il faut sortir les camions de la route, ce qu'on applaudit des deux mains", explique Daniel Ibanez, organisateur des Rencontres des lanceurs d'alerte et pilier de la lutte contre le Lyon-Turin. "Ils ont donc investi un milliard d'euros pour moderniser et sécuriser la ligne qui existe déjà."
En construisant ce genre d'infrastructures, on veut intensifier les échanges et les circulations de marchandises, dans un contexte où il faudrait au contraire les réduire
"Mais vingt ans après, il y a toujours autant de camions sur la route et, surtout, il y a cinq fois moins de trains que ce qu'il y avait avant les travaux [chiffre imprécis, voir encadré, ndlr.]. Alors nous, nous sommes minimalistes, on leur dit 'faisons sans le nouveau tunnel et on verra'", glisse Daniel Ibanez.
Présent lors de la manifestation, Francois Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine, estime que c'est tout un système qu'il faut repenser. "En construisant ce genre d'infrastructures, on veut relancer la croissance économique, on veut intensifier les échanges et les circulations de marchandises, dans un contexte où il faudrait au contraire les réduire pour répondre aux enjeux environnementaux actuels."
Deux types d'opposants
Invité de Tout un monde, Arnaud Aymé, spécialiste des transports au cabinet SIA partners, qui a publié une étude en partenariat avec la société du Lyon-Turin, estime que le projet de la ligne Lyon-Turin fait s'opposer deux modèles de société. "Si c'est la décroissance qui est souhaitée, avec moins de consommation, de mobilité de marchandises et de gens, à ce moment-là, c'est sûr qu'il ne faut pas faire ce tunnel."
Si on continue à avoir envie de croissance économique avec un impact carbone limité, ce tunnel ferroviaire est nécessaire
"A l'inverse, si on continue à avoir envie de croissance économique avec un impact carbone limité en utilisant le train plutôt que la route, si on a encore envie d'échanges internationaux, si on considère qu'il faut encore importer et exporter des marchandises, à ce moment-là, ce tunnel ferroviaire est nécessaire."
Arnaud Aymé précise que le projet fait face à deux types d'opposants. "Ce sont soit des riverains qui sont plus impactés par les travaux du tunnel ferroviaire que par les milliers de camions qui passent par la route, soit des personnes qui s'opposent pour une raison idéologique, qui peut s'entendre, celle de la décroissance."
Complémentarité entre rail et route
Le spécialiste appelle également à ne pas opposer rail et route, mais au contraire à voir leur complémentarité. "Là où le rail est utile, c'est quand il y a ce qu'on appelle des flux massifiés. C'est-à-dire qu'un train vaut le coût quand derrière il tire des dizaines de wagons et fait circuler beaucoup de tonnes de marchandises. Ce qui est le cas entre la France et l'Italie à travers les Alpes."
"A l'inverse, pour des flux qu'on appelle capillaires, c'est-à-dire quand il y a peu de quantité de marchandises à acheminer, le camion reste pertinent écologiquement et surtout économiquement. Tout est question de domaine de pertinence. Le train est pertinent pour les voyageurs comme pour les marchandises quand il y a beaucoup de monde ou beaucoup de marchandises à acheminer."
Pendant ce temps, le projet Lyon-Turin se poursuit. L'établissement chargé de la construction affirme que 20% des galeries ont déjà été creusées.
Sujet radio: Coppélia Piccolo et Eric Guevara Frey
Texte web: Antoine Schaub
NOTE: Le cabinet SIA Partners a copublié avec le Comité pour la Transalpine une étude sur les perspectives de financement pour la construction de la liaison ferroviaire Lyon-Turin pour la France.
Quel trafic sur la ligne existante?
Les opposants à la nouvelle ligne Lyon-Turin pointent la diminution de trafic de marchandises sur la ligne existante, ce qui souligne selon eux l'inutilité d'ouvrir une nouvelle voie. Plusieurs chiffres sont évoqués, avec plus ou moins de rigueur.
Selon l’Office fédéral de la statistique, qui monitore le trafic de marchandises à travers les Alpes selon les voies de passage, le volume des marchandises transitant sous le tunnel du Mont-Cenis est passé de 8,1 millions de tonnes en 1984 à 2,7 millions en 2021. Le trafic de marchandises a donc été divisé par trois lors de ce laps de temps.
Contacté par franceinfo, le ministère des Transports explique que cette diminution est notamment due à de nouvelles normes de sécurité, qui empêchent le croisement à l'intérieur du tunnel de certains trains. Si par le passé le tunnel permettait de faire transiter jusqu'à 10 millions de tonnes de marchandises dans le tunnel par an, ce n'est désormais plus le cas.
Le tunnel n'est toutefois actuellement pas utilisé à ses pleines capacités. Aujourd'hui, la capacité théorique du tunnel est de 54 trains par jour, soit une dizaine de plus que le nombre circulant quotidiennement.