Aujourd'hui, le Danemark fait tout ce qu'il peut pour dissuader les migrants et les réfugiés d'arriver sur place. La police peut désormais confisquer les biens et les valeurs d'un requérant à son entrée sur le territoire, le regroupement familial est devenu très compliqué et, surtout, le droit d'asile n'est pas définitif. Il est réévalué chaque année ou tous les deux ans.
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"Nous sommes passés d'un modèle d'aide humanitaire à celui d'un modèle de durcissement de la politique d'asile. C'est une réputation dont le Danemark se passerait bien", estime Charlotte Slente, secrétaire générale du Conseil danois pour les réfugiés dans l'émission Tout un monde. "Nous devrions être connus pour autre chose qu'une politique d'asile aussi stricte", poursuit-elle.
Durcissement des conditions
Le durcissement de ces lois pèse sur les demandeurs d'asile. Le plus dur, selon Fatima, une Marocaine venue au Danemark au motif du regroupement familial, c'est la réévaluation constante de leur statut et les conditions d'entrée qui se multiplient. Elle aura passé 13 ans dans différents centres d'accueil ou de départ avant d'obtenir une admission provisoire. Sa fille est même née dans l'un de ces centres.
"Je déteste ce système, parce qu'il ne donne aucune opportunité aux gens de vivre leur vie ou de terminer leur scolarité", affirme-t-elle. Selon elle, les enfants "développent des troubles mentaux dans les centres d'asile" et "se demandent tous les jours si la police va les expulser". "Pour mon cas, ils auront mis 13 ans à décider s'ils m'expulsaient ou non", conclut-elle.
Politique dissuasive
Mais cette politique dissuasive fonctionne. Il y a eu 21'000 demandes d'asile en 2015, au pic de la crise migratoire, contre seulement 4600 l'an dernier. A titre de comparaison, il y a eu l'an dernier 24'000 demandes d'asile en Suisse. Ces chiffres ne comprennent pas les réfugiés ukrainiens, qui bénéficient dans les deux cas d'un statut particulier.
"Une immigration trop élevée, c'est devenu un défi pour notre modèle de société danoise", estime Kasper Sand Kjaer, le porte-parole du gouvernement danois sur les questions d'asile et d'immigration. "Si vous avez trop de personnes qui arrivent avec différentes traditions, différentes cultures, différentes valeurs, cela met à mal notre Etat-providence pour tous", poursuit le député social-démocrate.
C'est que, paradoxalement, cette politique a été mise en place par le centre-gauche. Les élections danoises de 2015 ont représenté un tournant majeur, l'extrême-droite finissant deuxième. Son discours anti-immigration fait tache d'huile, chez la droite d'abord, puis chez les sociaux-démocrates.
Politique de centre-gauche
Pour Kasper Sand Kjaer, le centre-gauche a négligé les problèmes liés à l'immigration. "C'est précisément ce débat qui fait qu'il y a très peu de pays européens avec un centre-gauche en position de force", affirme-t-il. "Si vous ne voyez pas que la mondialisation a cette part d'ombre et que c'est la classe ouvrière qui en paie le prix, vous perdez votre essence de social-démocrate."
Le centre-gauche danois a en quelque sorte réussi à dépassionner le débat national, avec un large consensus au sein de la classe politique. Mais dans les milieux de défense des réfugiés, certaines voix beaucoup plus critiques se font entendre. "Il y a quelque chose qu'on appelle le national-socialisme et ça me fait penser à ça", affirme Nynne Roberta Pedersen, directrice de Trampolin Huset, une association qui propose un conseil juridique et un espace de dialogue pour les requérants d'asile.
Selon elle, le Danemark est "un Etat-providence, mais pour une seule catégorie de gens". Dénonçant la politique migratoire du centre-gauche au pouvoir, elle estime que "la droite libérale est presque plus ouverte aux réfugiés".
Charlotte Slente, elle, rappelle qu'"environ 75% des réfugiés dans le monde sont accueillis par des pays voisins de ceux qu'ils fuient et ce sont des pays à faible ou moyen revenu". "Il y a dans la rhétorique politique actuelle, au Danemark et partout en Europe, cette sensation que l'on a un problème de réfugiés. Non, ce sont les réfugiés qui ont un problème parce qu'ils doivent fuir un pays en conflit", poursuit-elle.
Intérêt européen
Certains leaders des droites et extrêmes-droites européennes cherchent aujourd'hui à s'inspirer du modèle danois. Mais il pourrait être difficile d'en faire une politique à l'échelle européenne, car, notamment, "si tout le monde fait pareil, l'effet dissuasif ne fonctionnera plus".
Selon Thomas Gammeltoft-Hansen, professeur en droit des réfugiés et des migrants à l'Université de Copenhague, "le modèle fonctionne pour le Danemark, parce que l'on a cherché être toujours plus restrictif que les autres pays autour de nous et à constituer une image négative de notre pays. Ainsi, on constate que les demandeurs d'asile vont choisir d'autres pays européens".
Le Danemark veut pourtant aller encore plus loin dans sa politique de restriction de l'immigration. A l'instar du Royaume-Uni, il envisage notamment d'externaliser les demandes d'asile à des pays extérieurs, comme le Rwanda.
Pour l'heure, ces mesures sont freinées par le droit international, mais pour Thomas Gammeltoft Hansen, un tabou a sauté. "Dans le contexte européen, on a des lois et des conventions sur les droits humains qui fixent des standards élevés", explique-t-il. "On doit se demander si un pays comme le Rwanda est capable de les respecter. Mais ce qui change, c'est qu'on ne s'interdit plus de réfléchir à de telles mesures", poursuit-il.
Aujourd'hui, le centre-gauche durcit l'asile et l'immigration, mais à terme, il risque d'affecter l'économie du Danemark, qui souffre, comme toute l'Europe, d'un cruel manque de main d'œuvre selon les secteurs.
Cédric Guigon/edel