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Le Premier ministre indien controversé Narendra Modi reçu en grande pompe aux Etats-Unis

Joe Biden a reçu le Premier ministre indien Narendra Modi avec son épouse Jill Biden mercredi soir. [Keystone - Evan Vucci - AP Photo]
Narendra Modi, dirigeant indien controversé reçu avec tous les fastes à Washington / Tout un monde / 11 min. / le 22 juin 2023
Joe Biden déroule le tapis rouge pour le Premier ministre indien Narendra Modi, quitte à mettre en sourdine la question des droits humains et l'attitude de l'Inde face à la Russie. Le président américain a reçu son invité avec son épouse Jill Biden mercredi soir.

La rencontre se voulait sans chichis, même si les conseillers à la sécurité nationale des deux pays y ont participé. Le programme fastueux de jeudi prévoit honneurs militaires, discours devant le Congrès américain et dîner de gala dont le menu sera essentiellement végétarien, comme l'est Narendra Modi.

Le menu du dîner de gala sera essentiellement végétarien, comme l'est Narendra Modi. [Reuters - Evelyn Hockstein]
Le menu du dîner de gala sera essentiellement végétarien, comme l'est Narendra Modi. [Reuters - Evelyn Hockstein]

"Visite officielle d'Etat"

En mars 2005, Narendra Modi, dirigeant de l’Etat indien du Gujarat, demandait un visa pour les Etats-Unis. Celui-ci lui était refusé, le gouvernement américain lui reprochant des "violations graves des libertés religieuses" dans des violences contre les musulmans. Il a été interdit de territoire américain pendant dix ans. Aujourd'hui, devenu Premier ministre, Washington le reçoit en grande pompe.

"Cette relation bilatérale, qui sera selon nous l'une des plus importantes pour l'avenir du monde, a un potentiel énorme", a assuré mardi un porte-parole de l'exécutif américain, John Kirby.

En temps normal, seuls les chefs d'Etat, et non de gouvernement, ont en théorie droit à la pompe d'une "visite d'Etat". Pour Narendra Modi, Premier ministre du pays le plus peuplé du monde, la Maison Blanche parle donc de "visite officielle d'Etat", un intitulé inédit.

John Kirby a promis une liste "conséquente" d'annonces, en énumérant une série de domaines de coopération, de la tech, à la transition énergétique, en passant par les semi-conducteurs. Les deux dirigeants sont surtout attendus sur la défense, à l'heure où les Etats-Unis manoeuvrent pour contenir la Chine, tandis que l'Inde s'inquiète des ambitions de son grand voisin.

Coopération internationale

Selon des diplomates, Joe Biden et Narendra Modi devraient annoncer que l'américain General Electric fournira les moteurs des premiers avions de combat fabriqués par l'Inde, un contrat tout à fait inédit. Voilà qui répond au souci du Premier ministre indien de développer l'industrie nationale, et à la volonté de Joe Biden de resserrer les liens avec un pays qui s'est longtemps fourni en armement auprès de la Russie.

"L'Inde se présente toujours comme un pays non-aligné", refusant de rejoindre des alliances militaires de type Otan, rappelle Richard Rossow, analyste du Center for Strategic and International Studies (CSIS). Mais face à la Chine, New Delhi est prêt à "engager un niveau de coopération de défense beaucoup plus approfondi" avec les Etats-Unis, estime l'expert.

"Il ne s'agit pas d'envoyer un message à la Chine" avec cette visite d'Etat, a pourtant assuré John Kirby, selon lequel Washington entend encourager la volonté de l'Inde de jouer un plus grand rôle international. Narendra Modi "a promis de faire respecter l'Inde sur la scène internationale" et "il devrait certainement mettre en valeur cette visite à Washington dans sa campagne" avant les élections prévues en 2024, souligne Tanvi Madan, experte du centre de recherches Brookings.

Mercredi, Narendra Modi avait présidé une séance géante de Yoga sur la pelouse du quartier général de l'ONU à New York. Invité dans l'émission Tout un monde, Jean-Joseph Boillot, chercheur à  l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), estime qu'arriver "à vendre cette idée d'une Inde pacifiste, et donc par définition l'antithèse de la Chine, pendant que chez lui il est extrêmement violent, ce n'est pas du tout anecdotique". Pour le spécialiste de l'Inde, cela est au contraire emblématique du "soft power du nationalisme hindou".

Mercredi, Narendra Modi a présidé une séance géante de Yoga sur la pelouse du quartier général de l'ONU à New-York. [Keystone - Jeenah Moon - AP Photo]
Mercredi, Narendra Modi a présidé une séance géante de Yoga sur la pelouse du quartier général de l'ONU à New-York. [Keystone - Jeenah Moon - AP Photo]

Droits humains ignorés

Comme pour toute visite d'Etat, le but de Joe Biden sera de gommer publiquement les divergences au profit de toasts chaleureux et de photographies flatteuses, quitte à se faire discret quant aux préoccupations sur deux sujets: les droits humains et la relation entre l'Inde et la Russie.

Des associations ont critiqué la réception fastueuse du Premier ministre nationaliste hindou, selon elles responsable de persécutions contre les musulmans du Cachemire et de pressions contre l'opposition politique, ainsi que la presse.

>> Relire : En Inde, une loi sur la citoyenneté "anti-musulmans" divise le pays

"Avec les États-Unis, l'Inde est dans une partie de poker", affirme Jean-Joseph Boillot. "Il s'agit de consolider un axe anti-Chine. L'Inde a effectivement de réels problèmes de conflit avec la Chine et elle va donc être courtisée par les Américains", poursuit-il. C'est pour cela, selon le chercheur, que "personne aux États-Unis ne soulève aujourd'hui le problème de cette dérive autoritaire".

En ce qui concerne la Russie, le porte-parole a répété à plusieurs reprises que l'Inde était une nation "souveraine". Il a assuré que les Américains étaient "reconnaissants" de l'aide humanitaire fournie par l'Inde à l'Ukraine, qu'ils avaient "noté" la préoccupation exprimée par Narendra Modi vis-à-vis du conflit et qu'ils "espéraient" que le pays continuerait à respecter un prix plafond fixé par les Occidentaux pour ses achats de pétrole russe.

"L'ensemble de la diplomatie indienne joue aujourd'hui la carte de double jeu, c'est-à-dire à la fois maintenir ses alliances traditionnelles et stratégiques avec notamment la Russie, mais aussi avec les pays occidentaux", explique Jean-Joseph Boillot. Selon lui, son but est de "tirer le meilleur parti du fait qu'elle est aujourd'hui non pas une superpuissance, mais une puissance qui tire sa force de ce jeu d'équilibre à l'échelle internationale".

Sur la Russie, l'Inde et les Etats-Unis "ont décidé d'accepter ou de tolérer leurs divergences", analyse Tanvi Madan.

edel avec afp

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Culte de la personnalité

Narendra Modi a développé un vrai culte de sa personnalité dans son pays. Ses portraits sont partout dans les rues, les ministres parlent de lui avec une dévotion quasi religieuse et à présent, les écoliers vont devoir se rendre en pèlerinage dans son village d'origine

A partir de la rentrée scolaire de juillet, deux collégiens de chaque district du pays viendront en effet passer une semaine dans le village d’origine du Premier ministre, au Gujarat, pour découvrir son enfance et l’école primaire où il a étudié.

L’objectif est que le parcours de Narendra Modi, qui vient d’un milieu modeste, serve de modèle et "inspire" les enfants. Son école a donc été rénovée et convertie en un musée sur la vie des plus grandes figures de l’histoire indienne.

Il y a deux ans, les autorités ont également organisé un record de vaccination contre le Covid-19 le jour de l’anniversaire de Narendra Modi, afin de le remercier d’avoir protégé les Indiens. Le Premier ministre instrumentalise aussi ses visites à l’étranger, en organisant des grands rassemblements de la diaspora indienne pour montrer qu’il est adoré dans le monde entier

>> Ecouter les précisions du correspondant en Inde Sébastien Farcis dans La Matinale :

Le Premier ministre Narendra Modi a développé un vrai culte de sa personnalité en Inde. [AFP - Serge Attal]AFP - Serge Attal
Biden déroule le tapis rouge au Premier ministre indien Modi / La Matinale / 2 min. / le 22 juin 2023