"Vouloir abolir le travail des enfants n'est pas forcément toujours bénéfique pour eux"
Cent soixante millions d'enfants travaillent dans le monde, c'est environ un enfant sur 10. La moitié d'entre eux ont entre 5 et 11 ans. Après plusieurs années de baisse, le nombre d’enfants qui travaillent est reparti à la hausse, en 2020, selon le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT). Le Covid pourrait avoir fait encore grimper ce chiffre de plusieurs millions.
En 2015, l'ONU a adopté les Objectifs de développement durable, pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. Parmi ces intentions, celle d'"interdire et éliminer les pires formes de travail des enfants, y compris le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats et, d’ici à 2025, mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes".
A moins de deux ans de l'échéance, la tâche est loin d'être atteinte. Pour Karl Hanson, directeur du Centre interfacultaire en droits de l'enfant de l'Université de Genève, et invité de Géopolitis, cet objectif n'est simplement pas réaliste: "on ne peut pas abolir le travail des enfants dans un temps court. Il y a quand même des conditions socio-économiques qui poussent les enfants au travail." Il estime qu'il serait plus adapté de se tourner vers un voie intermédiaire, par exemple en permettant de légiférer sur le travail des enfants pour améliorer les conditions dans lesquelles ils exercent ces activités, ou leur salaire. Actuellement, la moitié des enfants qui travaillent le font dans des conditions qui mettent en danger leur santé physique et mentale.
Boycott et précarisation
Certains pays prennent des mesures contre le travail des enfants, comme les Pays-Bas qui ont adopté une loi pour éradiquer les produits issus du travail des enfants. Les entreprises qui vendent des biens et services dans le pays doivent s'assurer qu'il n'y a pas de main-d'oeuvre infantile dans leur chaîne d'approvisionnement. Karl Hanson a un regard critique sur ce type de politiques et sur les campagnes de boycott des entreprises qui sont soupçonnées de recourir à des enfants. "Parfois vouloir abolir le travail des enfants n'est pas forcément toujours au bénéfice des personnes qui sont au travail aujourd'hui", souligne-t-il.
"Si on regarde un peu plus froidement ce qui se passe réellement, le résultat c'est que les usines ne vont plus employer les enfants. Ils les mettent dehors et cela ne veut pas dire qu'ils vont se retrouver aussi directement à l'école et qu'ils vont avoir une vie paisible. Au contraire, souvent les enfants qui n'ont plus accès à un travail organisé vont trouver un travail non organisé, sous le radar et qui finalement est souvent moins bien payé", estime Karl Hanson. Pour ce professeur de droit public, ces approches sont trop peu ancrées dans les réalités locales des populations directement concernées.
87 millions en Afrique subsaharienne
Actuellement, plus de la moitié des enfants qui travaillent dans le monde - 87 millions - vivent en Afrique subsaharienne. En Europe et en Amérique du Nord, ils sont 4 millions.
La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par 192 pays, prévoit que l’enfant soit protégé contre tout travail mettant en danger sa santé, son éducation ou son développement.
Certains enfants sont victimes des pires formes d’exploitation, l'esclavage ou la prostitution. Mais selon Karl Hanson, ces situations extrêmes ne doivent par faire oublier que "le travail des enfants, ça peut être aussi du travail avec la famille, dans les champs, sur les marchés. Un travail qui est souvent aussi dans la réalité combiné avec l'école". Trois quarts des enfants qui travaillent le font dans le cercle familial. Un peu plus d’un tiers ne sont pas scolarisés.
Elsa Anghinolfi