Depuis des années, le groupe paramilitaire Wagner est considéré comme le bras armé de Moscou à l'étranger, notamment en Syrie et dans plusieurs pays africains. Un statut aujourd'hui remis en question par la fronde menée par son chef.
"Je pense qu'une loi sera promulguée assez rapidement en Russie en vue d'encadrer juridiquement l'activité des sociétés militaires privées - ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent et qui a fait qu'on en arrive là", estime Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe, dans La Matinale de la RTS lundi.
Règlement provisoire
Une partie des opérations du groupe Wagner, notamment celles qui se déroulaient en Ukraine, vont être reprises en main ou encadrée plus vigoureusement par le ministère russe de la Défense, prévoit le spécialiste. "Mais je pense qu'Evguéni Prigojine conservera l'essentiel de ses opérations au Moyen-Orient et en Afrique sous son contrôle direct."
Au terme de la spectaculaire mutinerie qui l'a amené à moins de 400 kilomètres de Moscou avant de renoncer, Evguéni Prigojine doit en principe s'exiler en Biélorussie, alliée de Moscou et redessiner de nouvelles relations avec le président Vladimir Poutine.
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"Dans l'immédiat, cela ne change pas grand-chose pour l'Ukraine", note l'historien. "S'il venait à la Russie l'idée de retenter quelque chose à partir de la Biélorussie en direction du nord de l'Ukraine, avec ou sans Evguéni Prigojine, cela aurait pu être fait. Quant aux armes nucléaires tactiques, elles sont là plutôt en vue d'une démonstration de force à l'égard de l'Otan et ne concernent pas immédiatement le champ de bataille ukrainien, à mon avis."
Compte tenu des lignes rouges dépassées et du discours de fermeté prononcé par le président Poutine samedi, on se trouve face à un gros décalage par rapport aux paramètres de sortie de crise que l'on connaît.
La vie du patron du groupe Wagner est-elle menacée, comme le pensent de nombreux observateurs? "Compte tenu des lignes rouges qu'il a dépassées et du discours de fermeté prononcé par le président Poutine samedi, on se trouve face à un gros décalage par rapport aux paramètres de sortie de crise que l'on connaît. Je pense qu'on est plutôt dans le cas de figure d'un règlement provisoire et que les choses se régleront plus tard, dans quelques semaines ou mois. Mais j'imagine mal les autorités russes en rester là après une telle transgression", observe Igor Delanoë.
Mercenaires et soldats russes
L'incertitude règne également sur la suite des événements pour les hommes de Wagner, dont certains ont exprimé leur déception face au retrait et au pacte conclu par leur chef.
"Selon les informations sur l'accord qui serait intervenu, les mercenaires ayant participé la tentative de putsch ne peuvent pas signer de contrat avec l'armée régulière", indique Cédric Mas, historien militaire, dans l'émission Tout un monde lundi. "Seront-ils dès lors redéployés en Afrique, vont-ils manquer sur le front ukrainien, le groupe Wagner va-t-il conserver son indépendance?"
Et comment vont réagir les soldats russes? "Vont-ils continuer à accepter de se faire sacrifier pour tenter de résister à la contre-offensive ukrainienne soutenue par le matériel occidental, alors que derrière eux, l'oligarchie se déchire?"
Volte-face aux raisons mystérieuses
De nombreuses personnes ont projeté sur l'action choc du chef de Wagner leur désir de paix, qui passe aujourd'hui par la chute du maître du Kremlin. "Or, le patron de Wagner n'a jamais directement menacé ou critiqué Vladimir Poutine, mais l'autre clan avec qui son groupe était en conflit, celui du ministère de la Défense russe et l'état-major à Moscou", souligne Cédric Mas. "Cette volte-face montre que l'objectif n'était pas un changement de régime - et même si c'était le cas, l'Histoire recèle un certain nombre de coups d'Etat qui ont échoué parce que la détermination de la personne qui l'a initié a fait défaut au moment-clé."
Une guerre civile possible dans une puissance nucléaire telle que la Russie n'est pas quelque chose qui doit rester sans réaction.
Quel que soit le scénario, le constat est celui de la "fragilité du régime de Vladimir Poutine", qui apparaît "aux yeux de tous", et qui explique la réaction désemparée des Russes et des responsables de la communication du Kremlin, note l'historien.
>> Le suivi des événements : Le "régime d'opération antiterroriste" levé à Moscou
Après la "non-réaction" de l'Occident à la suite de la destruction du barrage de Kakhovka, Cédric Mas en appelle à se préparer psychologiquement et matériellement pour ne pas être surpris si "l'inimaginable" se réalise, "cet événement majeur ou 'cygne noir' qui nous concernerait tous". "Une guerre civile possible dans une puissance nucléaire telle que la Russie n'est pas quelque chose qui doit rester sans réaction - au-delà de quelques discours sur les tribunes internationales.(...) Ce conflit, même s'il paraît lointain, est à nos portes aujourd'hui et concerne notre avenir et celui de nos enfants."
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey et Valérie Hauert
Adaptation web: Katharina Kubicek