Colère en Pologne, devenue "l'enfer des femmes" après les restrictions sur l'avortement
C'est un mélange de colère et de tristesse qui se cache derrière les portraits de Dorota et des cinq autres victimes brandis pendant la manifestation. Zosia, tout juste la vingtaine, millite pour le droit des femmes depuis qu'elle a 12 ans. Aujourd'hui, elle tient bien haut sa pancarte: "C'est écrit que j'ai peur pour mon futur parce que je suis effrayée par ce qu'il se passe en Pologne", témoigne-t-elle mardi dans l'émission Tout un monde de la RTS.
Et malheureusement pour Zosia, la situation a empiré en 2020. La loi a rendu illégal tout avortement en cas de malformation grave et irréversible du fœtus. Un cas qui représentait jusque-là près de 90% des interruptions volontaires de grossesse dans le pays. Dans la manifestation, cette situation vaut un nouveau surnom à la Pologne, "l'enfer des femmes". "Ici on a un vrai problème avec la loi sur nos droits, et ce depuis plus de 100 ans", déplore Zosia au micro de la RTS.
Jusqu'à huit ans de prison ferme
La dernière victime en date, Dorota, a fait les frais de cet "enfer" fin mai, lors de son cinquième mois de grossesse. Elle est arrivée à l'hôpital après avoir perdu les eaux. L'équipe médicale lui a demandé de s'allonger, parce que dans cette position les eaux pourraient revenir. Elle est restée trois jours dans cette position et est décédée d'une septicémie. Provoquer une fausse couche à Dorota aurait pu éviter sa mort, mais face à la loi, personne n'a agi.
Pour Elena Crespi, responsable du programme Europe de la Fédération internationale des droits humains, c'est l'effet de dissuasion créé par la loi qui a entraîné la mort de Dorota. "La menace des sanctions est tellement présente que des professionnels de la santé n'osent pas pratiquer des avortements par peur aussi de subir des conséquences légales, juridiques" souligne-t-elle.
Depuis le durcissement de la loi en 2020, toute personne qui pratique un avortement sur une femme enceinte ou aide une femme à avorter risque jusqu'à trois ans de prison ferme, huit si le fœtus est viable.
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Réaction du gouvernement polonais
Debout sur le socle d'une statue, un éclair rouge peint sur la figure, symbole de la lutte féministe en Pologne, Laura se demande bien à quoi ça sert de protester. "Bien sûr, quand je vois tous ces gens, je me sens plus puissante. Mais paradoxalement, je me sens aussi plus impuissante parce que je vois que même s'il y a beaucoup de monde d'accord avec moi, rien ne change."
Face à cette mobilisation qui a réuni des dizaines de milliers de personnes dans toute la Pologne, le gouvernement a dû réagir. Il a annoncé la mise en place d'une équipe d'experts qui précisera les lignes directrices pour les hôpitaux, pour éviter des cas comme Dorota. Mais pour les associations, le problème réside dans la loi et non les équipes médicales.
En parallèle, le parti conservateur "Droit et Justice" tente de réduire au maximum le champ d'action de ces militantes. Justyna Wydrynska en a fait les frais en avril dernier. Elle a envoyé des pilules abortives à une femme en détresse et a été jugée coupable pour son acte. Une première dans l'Union européenne. Elle sert aujourd'hui d'exemple pour toutes celles qui voudraient l'imiter.
La militante polonaise a été condamnée à 18 mois de travaux d'intérêt général. Mais il en faudrait plus pour la décourager. "On est de retour, et début juillet on va voyager dans toute la Pologne. En particulier sur les plages. On va rencontrer les gens et les informer sur comment avoir accès à un avortement sûr en Pologne, depuis chez soi", explique-t-elle.
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De plus en plus difficile de trouver de la place
Mais cet environnement hostile à l'avortement pousse de plus en plus les Polonaises à prendre rendez-vous dans des cliniques des pays voisins, notamment aux Pays-Bas. L'association Abortion Network Amsterdam aide les femmes à avoir accès à un avortement sûr et légal dans les cliniques du pays. Et depuis 2020, de plus en plus de Polonaises demandent de l'aide. "Avant on s'occupait de deux ou trois personnes par mois. Aujourd'hui on dépasse les 100", précise Marina qui travaille pour l'association.
Ces militantes dirigent ces femmes en particulier vers deux cliniques uniques en Europe qui pratiquent des avortements légaux jusqu'à 22 semaines de grossesse. Mais il devient de plus en plus difficile de trouver de la place: "Quand vous entrez dans la salle d'attente d'une de ces cliniques qui intervient pour des avortements du deuxième trimestre, vous avez aussi beaucoup de Belges, de Françaises et d'Allemandes", poursuit Marina.
Ainsi, pour les Polonaises qui viennent de loin, la situation se complique pour avoir un accès sûr et légal à une interruption volontaire de grossesse.
Martin Chabal/hkr
Sondage favorable à une libéralisation
D'après un sondage réalisé début mars, 83,7% des Polonais sont favorables à une libéralisation de la loi sur l'avortement. Seules 11,5% des personnes interrogées voudraient maintenir le statut légal actuel.
La Pologne, un pays de tradition catholique, disposait déjà de l'une des lois les plus restrictives d'Europe en matière d'avortements lorsque la Cour constitutionnelle s'est rangée l'an dernier du côté du gouvernement populiste -nationaliste en déclarant les interruptions de grossesse pour malformation foetale "inconstitutionnelles".