La Cour suprême des Etats-Unis met fin à la "discrimination positive" dans les universités
À peine plus d'un an après sa décision historique d'abroger la garantie constitutionnelle du droit à l'avortement, le collège ultra-conservateur prend ainsi un nouveau tournant dans un domaine qui semblait acquis de longue date aux Etats-Unis.
Contre l'avis des trois juges progressistes, les six magistrats conservateurs ont jugé que les procédures d'admission sur les campus prenant en compte la couleur de la peau ou l'origine ethnique des candidats et candidates étaient contraires à "l'histoire constitutionnelle" des Etats-Unis.
Beaucoup d'universités "ont considéré, à tort, que le fondement de l'identité d'une personne n'était pas sa mise à l'épreuve, les compétences acquises ou les leçons apprises, mais la couleur de sa peau", écrit ainsi le juge John Roberts au nom de la majorité. "En d'autres mots, l'étudiant doit être traité en fonction de ses expériences individuelles, pas sur des critères raciaux", ajoute-t-il.
Combat réactionnaire de longue date
Cet arrêt trouve sa source dans une plainte déposée en 2014 contre les plus vieilles universités des Etats-Unis, Harvard (privée) et l'université de Caroline du Nord (publique), par le militant néoconservateur Edward Blum. Il les accusait de discriminer les étudiants asiatiques, qui ont des résultats académiques "nettement supérieurs à la moyenne" et qui devraient donc, selon lui, être "plus nombreux sur les campus".
Après avoir essuyé plusieurs défaites devant les tribunaux, il s'était tourné vers la Cour Suprême. Saisie à plusieurs reprises sur cette question depuis 1978, cette dernière avait interdit les quotas, mais elle avait toujours autorisé les universités à prendre en compte de critères raciaux, jugeant "légitime" la recherche d'une plus grande diversité sur les campus, quitte à faire une entorse au principe d'égalité.
Plusieurs universités très sélectives ont introduit des critères ethniques dans leur procédure d'admission à la fin des années 1960 pour corriger les inégalités issues notamment du passé ségrégationniste des Etats-Unis et augmenter la part des élèves noirs, hispaniques ou amérindiens dans leurs effectifs. Ces politiques ont toujours été très critiquées dans les milieux conservateurs qui les jugent opaques et y voient du "racisme inversé".
La haute juridiction, profondément remaniée par Donald Trump, a donc finalement décidé de leur donner raison, sous l'impulsion du juge afro-américain Clarence Thomas, un pourfendeur des programmes de discrimination positive dont il a pourtant bénéficié pour étudier à la prestigieuse université de Yale.
L'ancien président a d'ailleurs salué, dans la foulée, un "grand jour pour l'Amérique" avec le retour d'un système "entièrement basé sur le mérite". Le chef républicain de la Chambre des représentants Kevin McCarthy a également salué une décision qui va, selon lui, permettre aux étudiants et aux étudiantes de "rivaliser sur la base de critères égaux et du mérite individuel" et qui "confirmera l'égalité devant la loi".
Joe Biden exprime son "fort désaccord"
En face, on dénonce une décision idéaliste qui ne tient pas compte des réalités de la société américaine. Avec cette décision, la Cour "revient sur des décennies de jurisprudence et d'immense progrès", a commenté au nom de la minorité progressiste la juge suprême Sonia Sotomayor. Elle "cimente une règle artificielle d'indifférence à la couleur de peau comme principe constitutionnel dans une société profondément ségréguée, où la question raciale a toujours eu de l'importance et continuera d'en avoir".
Le gouvernement du président démocrate Joe Biden avait plaidé en vain pour le statu quo. "L'avenir de notre pays dépend de sa capacité à avoir des leaders aux profils variés, capables de diriger une société de plus en plus diverse", avait soutenu sa représentante.
Il a à nouveau réagi jeudi, se disant en "fort désaccord" avec la décision de la Cour suprême et appelant les établissements universitaires à ne pas "abandonner" leur engagement envers la diversité.
Dans la même veine, des grandes entreprises, dont Apple, General Motors ou Starbucks, avaient souligné qu'avoir "une main d'oeuvre diversifiée améliorait leurs performances" et qu'elles "dépendaient des écoles du pays pour former leurs futurs employés".
afp/jop