Au total, 1311 personnes ont été interpellées dans la nuit de vendredi à samedi, a indiqué samedi matin le ministère de l'Intérieur. Il y a eu "79 policiers et gendarmes blessés", a ajouté le ministère, dans un bilan encore provisoire. Quelque 1350 véhicules ont été incendiés, 234 bâtiments ont été incendiés ou dégradés et 2560 incendies ont été comptabilisés sur la voie publique.
Afin de tenter d'enrayer la spirale des émeutes, Gérald Darmanin avait annoncé dans l'après-midi, à l'issue d'un deuxième comité interministériel de crise en deux jours, la mobilisation "exceptionnelle" de 45'000 policiers et gendarmes et unités d'élite comme le GIGN pour éviter une quatrième nuit consécutive d'émeutes et ce quelques heures avant l'inhumation de Nahel samedi dans le chef-lieu des Hauts-de-Seine.
Des dizaines de fourgons de policiers étaient ainsi positionnés non loin de l'entrée du quartier du Vieux pont à Nanterre, épicentre des violences urbaines et rythmé vendredi encore par des tirs de mortiers d'artifice.
L'appel des Bleus
De leur côté, les joueurs de l'équipe de France de football ont envoyé dans la soirée un "appel à l'apaisement, à la prise de conscience et à la responsabilisation". "Le temps de la violence doit cesser pour laisser place à celui du deuil, du dialogue et de la reconstruction", ont exhorté les Bleus.
Dans la soirée, Marseille a été à nouveau le théâtre de heurts et de scènes de pillages, du centre-ville puis plus au nord dans ces quartiers populaires longtemps laissés pour compte que le président Emmanuel Macron a visités en début de semaine.
Vers 02h00, la police a annoncé 88 interpellations depuis le début de soirée, des groupes de jeunes, souvent masqués et "très mobiles" pillant ou tentant de le faire plusieurs enseignes. Un important incendie, "lié aux émeutes", selon une source policière, a éclaté dans un supermarché.
Des scènes de pillage de commerces et d'affrontements entre manifestants cagoulés et forces de l'ordre ont également enfiévré la soirée dans certains coins de Grenoble, Saint-Etienne et Lyon alors que dans la région ouest, des points de tension comme à Angers ou Tours et sa région il ne restait en milieu de nuit que quelques groupes très mobiles face aux forces de l'ordre.
La région parisienne n'a pas été épargnée par les flammes notamment Colombes (Hauts-de-Seine) enveloppée d'une forte odeur de brûlé et où les pompiers éteignaient une voiture en feu.
A Nanterre, 9 personnes ont été interpellées, porteuses de jerricans et cocktails Molotov.
A Saint-Denis, un centre administratif a été touché par un incendie, et dans le Val-d'Oise, la mairie de Persan-Beaumont et le poste de police municipale se sont embrasés et ont été en partie détruits.
Transports public à l'arrêt
Pour éviter des débordements, Gérald Darmanin avait demandé aux préfets l'arrêt des bus et tramways dans toute la France après 21h00.
Par ailleurs, les lignes entre la Suisse et la France ont été interrompues vendredi à partir de 19h30, en raison des décisions de Paris, ont annoncé les Transports publics genevois (tpg) dans un communiqué.
"En raison des événements qui ont lieu en France depuis plusieurs nuits, les autorités françaises ont ordonné l'arrêt total des transports publics sur le territoire dès 21h00", expliquent les TPG. Afin d'assurer cette demande, les lignes transfrontalières ont été progressivement arrêtées à la frontière.
Emmanuel Macron critique l'"instrumentalisation"
Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a réclamé une réponse pénale "rapide, ferme et systématique" à l'encontre des auteurs de violences urbaines mais aussi de leurs parents.
Pointant du doigt la jeunesse de nombreux émeutiers, Emmanuel Macron a appelé "tous les parents à la responsabilité", en critiquant l'"instrumentalisation" de la mort de Nahel et demandant aux réseaux sociaux le "retrait" de contenus et l'identification de leurs utilisateurs.
La question de l'état d'urgence est posée et scrutée à l'étranger, d'autant plus que la France accueille à l'automne la Coupe du monde de rugby, puis les Jeux olympiques à Paris à l'été 2024.
Le Royaume-Uni et d'autres pays européens ont mis en garde leurs ressortissants en les pressant d'éviter les zones d'émeutes.
juma/vajo avec afp
La situation en France inquiète à l'ONU
Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU s'inquiète après le décès de Nahel. Répétant de précédentes accusations contre les forces de sécurité, il a appelé la France à se pencher sur les "graves problèmes de racisme" parmi celles-ci.
"Dans tous les cas", les forces de sécurité doivent honorer plusieurs principes comme la "légalité", la "proportionnalité" ou encore la "non discrimination", a affirmé à la presse une porte-parole du Haut-Commissariat. Elle a appelé à des investigations.
De même, le Haut-Commissariat est également préoccupé par "les violences" et les "émeutes" attribuées aux manifestants après le décès du jeune homme. Il dénonce notamment les pillages qui ont été observés.
Paris se défend
La France a jugé "totalement infondée" l'accusation de l'ONU. "Toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l'ordre en France est totalement infondée", a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. "La France et ses forces de l'ordre luttent avec détermination contre le racisme et toutes les formes de discriminations. Aucun doute n'est permis dans cet engagement".
Policier mis en examen après neuf tirs en 2022
En marge des événements de la semaine, on annonce dans la presse française qu'un autre policier a a été mis en examen le 6 juin pour "violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner", là encore après un refus d'obtempérer à Paris en juin 2022.
La passagère d'un véhicule avait alors trouvé la mort tandis que le conducteur a été mis en examen et est toujours incarcéré. Il avait refusé d'obtempérer par deux fois lors d'un contrôle de son véhicule dans le 18e arrondissement par des policiers à VTT, qui avaient fait feu à neuf reprises, blessant le conducteur et tuant la passagère âgée de 21 ans.
Après les faits, ces trois policiers avaient été placés quarante-huit heures en garde à vue à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) avant d'être relâchés, pour "poursuite des investigations". Le policier a également été laissé libre à l'issue de sa mise en examen, a indiqué la source judiciaire.
Sollicité, son avocat, Me Laurent-Franck Liénard, qui défend également le policier mis en examen et écroué pour avoir tué Nahel mardi à Nanterre, n'a pas répondu à l'AFP.
Jean-Luc Mélenchon: "Ne touchez pas aux écoles et aux bibliothèques"
Depuis mardi, les membres de La France Insoumise (LFI), le parti majoritaire de la gauche française, essuient un feu roulant de critiques venant de la droite et l'extrême droite, qui leur reprochent de ne pas condamner suffisamment fermement les violences. Le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti les a ainsi taxés de "complices moraux des exactions qui sont commises".
"Jamais les Insoumis n'ont été pour la violence", a rétorqué leur chef de file Jean-Luc Mélenchon vendredi soir en appelant "notamment les plus jeunes" à "ne pas toucher" aux écoles ou aux bibliothèques, qui sont "notre bien commun".
Plus tôt dans la journée, il avait également répondu critiques sur Twitter, fustigeant "l'escalade sécuritaire" qui "mène au désastre", en référence à l'augmentation du déploiement des forces de l'ordre dans la nuit de jeudi à vendredi, et aux déclarations de l'exécutif qui s'est dit prêt à adapter le dispositif de maintien de l'ordre "sans tabou".
Le leader de gauche a également fustigé, dans un autre tweet, un communiqué conjoint des syndicats de police Alliance et UNSA, majoritaires dans la profession, qui évoque une "guerre urbaine que [les policiers] luttent pour gagner" et qualifie les insurgés de "nuisibles". "Demain nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience", menacent-ils.
Dans un tweet, l'ancien candidat à la présidentielle considère ces propos comme un "appel à la guerre civile" et appelle le "pouvoir politique" à "reprendre en main la police", qu'il accuse de "jeter de l'huile sur le feu".
Il a été rejoint en ce sens par la secrétaire générale d'Europe Ecologie-Les Verts Marine Tondelier.
"Plan de sortie de crise" de LFI
En début de soirée, LFI a publié dans un communiqué un "plan d'urgence de sortie de crise", visant à "rétablir la confiance" et comprenant notamment l’abrogation immédiate de la loi Cazeneuve de 2017, qualifiée de "permis de tuer" et responsable selon eux de l’explosion des décès suite à des refus d’obtempérer.
Il demande également la création d’une commission d'enquête sur les violences policières, une réforme en profondeur de la police nationale, ainsi que la prise en charge par l’Etat des réparations des commerces, logements et lieux publics dégradés et un plan d’investissement dans les quartiers populaires.
Divergences à gauche
Des divergences étaient apparues au sein de l'alliance de gauche NUPES dans la façon d'apaiser le climat de tension. Dans une vidéo, le premier secrétaire du PS Olivier Faure a dit "comprendre parfaitement la colère qui s'exprime" dans "des territoires négligés, méprisés par la République" tout en appelant "solennellement à un retour au calme".
"J'appelle l'ensemble des élus de la NUPES à appeler au retour de la paix civile", a ajouté le député de la Seine-et-Marne, dans une déclaration adressée en particulier aux Insoumis.
Le communiste Fabien Roussel avait de son côté souligné sa "condamnation absolue des violences qui ont lieu cette nuit", taclant au passage les Insoumis.
Des concerts et fêtes d'écoles annulés
Plusieurs événements sont annulés vendredi soir et samedi afin de mettre fin aux violences qui surviennent depuis trois jours. C'est le cas des concerts de Mylène Farmer prévus vendredi et samedi soir au Stade de France à Saint-Denis. Cette annulation permettra aux forces de l'ordre de se déployer ailleurs afin de faire face aux émeutes, a annoncé la préfecture de Seine-Saint-Denis.
De nombreuses fêtes de fin d'année comme les kermesses d'école ont aussi été annulées en dernière minute dans les écoles, collèges ou lycées d'Ile-de-France, après des consignes des services locaux de l'Education nationale pour éviter des rassemblements en soirée aux abords des établissements. Mais ces annulations ne sont pas systématiques. Elles font l'objet d'une évaluation au cas par cas.