Près d'un mois après le début de la contre-offensive, toujours aucune percée ukrainienne
La contre-offensive ukrainienne face aux forces russes est une opération extrêmement difficile et il "n'est pas surprenant" qu'elle ne progresse pas rapidement, a affirmé lundi Rob Bauer, chef du comité militaire de l'Otan.
Des propos qui rassureront peut-être un commandement ukrainien qui s'inquiète d'une possible diminution du soutien occidental, alors que certains dirigeants et experts ont ouvertement émis des doutes quant aux chances de succès de cette entreprise.
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"Les tactiques choisies au départ par l'armée ukrainienne se sont avérées infructueuses", explique l'historien et chercheur à l'Université de Brême Nikolaï Mitrokhine. "L'Ukraine n'a pas assez de systèmes antiaériens mobiles, a moins de blindés, moins d'avions opérationnels, face à des défenses plus puissantes et une armée russe qui s'est considérablement améliorée", renchérit l'analyste militaire Patricia Marins.
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Au total, les forces ukrainiennes auraient réussi jusqu'à présent à libérer moins de 200 kilomètres carrés depuis le début de leur opération. Un bilan qui contraste fortement avec les offensives de 2022 à Kherson (1170 kilomètres carrés repris en l'espace de deux mois et demi) et surtout de Kharkiv (12'000 kilomètres carrés repris en moins d'un mois).
Besoin de plus de matériel
Dans une rare interview accordée vendredi au Washinghton Post, Valeri Zaloujny, commandant en chef des forces armées ukrainiennes, a exprimé sa frustration et sa colère face à des attentes qu'il juge pour l'instant irréalistes.
"Jamais l'un de nos soutiens occidentaux ne lancerait une offensive sans supériorité aérienne. Mais alors que l'Ukraine n'a toujours pas reçu d'avions de combat modernes, on devrait selon ces attentes rapidement reprendre du territoire à l'occupant russe", dit-il en substance. Dans les faits, les avions F-16 de fabrication américaine qui ont été promis à Kiev ne devraient pas être opérationnels avant l'automne, car il s'agit non seulement d'effectuer ces livraisons mais aussi de former des pilotes.
Valeri Zaloujny dénonce aussi dans le quotidien américain un manque criant de munitions qui continue à rendre les combats inégaux. Un problème qui pourrait durer. Au mois de février dernier, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg avait en effet déjà averti que la cadence d'utilisation en munitions en Ukraine était plusieurs fois supérieure aux capacités de production actuelles. Les obus et autres pièces d'artillerie pourraient donc à l'avenir cruellement manquer à Kiev pour mener à bien son offensive.
Pas d'incidence de la révolte de Wagner
La rébellion avortée du groupe Wagner en Russie les 23 et 24 juin dernier ne semble quant à elle pas avoir eu d'incidence particulière.
Selon des responsables américains, c'est l'administration Biden qui aurait demandé directement à Kiev de ne pas tenter de profiter de la situation, en menant par exemple des attaques secrètes à l'intérieur de la Russie. Alors que Washington ne savait pas quels étaient les véritables plans d'Evguéni Prigojine, l'administration souhaitait surtout éviter de donner à Vladimir Poutine des arguments pour accuser les Etats-Unis d'avoir orchestré cette rébellion.
La dissolution programmée du groupe d'Evguéni Prigojine ne devrait elle non plus pas avoir de grandes conséquences. Bien qu'expérimentées, les troupes paramilitaires de Wagner avaient déjà subi d'énormes pertes dans la bataille de Bakhmout et n'étaient plus engagées directement sur le front au moment où elles ont décidé de traverser la frontière pour s'approcher de Moscou.
De maigres avancées, des Russes sur la défensive
La plupart des analystes s'accordent toutefois à dire que l'Ukraine n'a pas encore lancé l'axe principal de sa contre-offensive. De nombreuses troupes préparées spécialement pour ces opérations n'ont pas encore été engagées sur le terrain et Kiev chercherait toujours à tester les défenses russes pour trouver un point faible dans le dispositif.
Si les deux belligérants sont restés depuis le début de la guerre évasifs sur leurs pertes humaines, des signes montrent toutefois que les combats en cours sont relativement meurtriers.
Pour Cédric Mas, les deux camps devront d'ailleurs bientôt "envisager d'engager leurs réserves pour ne pas craquer". Cet historien militaire français décrit sur le réseau social "Mastodon" un grignotage, qui voit actuellement les forces ukrainiennes faire des avancées, notamment autour de Bakhmout (est), dans les secteurs de Velika Novosilvka (sud) et d'Orikhiv (sud) ainsi que dans la région de Kherson (sud-ouest), où Kiev tente de mettre en place une présence militaire sur la rive gauche du fleuve Dniepr, près du pont Antonovsky détruit.
Pour l'expert, cette progression s'avère toutefois trop lente pour "percer" ou tout simplement "surprendre" l'ennemi.
L'Ukraine se voit donc pour l'instant obligée de faire le dos rond et d'accepter cette sorte de statu quo, où malgré les combats violents, les lignes de démarcation ne bougent que très peu. Kiev peut toutefois se targuer d'avoir su en grande partie annihiler les capacités offensives de Moscou. D'après Cédric Mas, la Russie ne serait tout simplement plus du tout capable d'attaquer. "Les combats ont été intenses mais ils confirment que les forces russes ont perdu tout capacité offensive", conclut-il, optimiste.
Tristan Hertig