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Erwan Ruty: "Si on veut la désescalade dans les banlieues, il faut complètement changer de logiciel"

Des policiers pendant les manifestations liées à la mort de Nahel. [Keystone - AP Photo/Lewis Joly]
Séquence 1 / Tout un monde / 11 min. / le 4 juillet 2023
En France, les émeutes semblent se calmer après une semaine de violences qui a causé pour les entreprises plus d'un milliard d'euros de dégâts, selon une première estimation du syndicat patronal. Ces événements questionnent une fois encore le rapport du pays aux banlieues. Pour Erwan Ruty, responsable associatif, ils soulignent surtout l'urgence de réinvestir dans l'humain.

Des scènes de violences inouïes, des pillages de magasins, des voitures et de nombreux bâtiments incendiés. En l'espace de quelques jours seulement, de nombreux quartiers de France se sont soulevés après la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué par un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre.

Invité mardi de l'émission Tout un monde pour évoquer ces événements et plus généralement la situation dans ces quartiers, Erwan Ruty, qui travaille depuis longtemps dans et sur les banlieues, estime que cette nouvelle flambée de violences, la plus forte depuis 2005, n'a rien d'une surprise.

"La situation n'ayant guère évolué, sauf en négatif pour la majorité des gens dans les quartiers, on pouvait penser que les mêmes causes produiraient les mêmes effets. A savoir que les rapports de plus en plus tendus avec la police et la déliquescence croissante des autres services publics allaient provoquer un jour ce genre de phénomènes", juge-t-il.

>> Revoir le reportage du 12h45 sur la troisième nuit d'émeutes en France :

Troisième nuit de violences en France, les autorités n’excluent pas d’instaurer l'état d'urgence.
Troisième nuit de violences en France, les autorités n’excluent pas d’instaurer l'état d'urgence. / 12h45 / 1 min. / le 30 juin 2023

Un manque de présence "au quotidien"

Pour celui qui a écrit en 2020 "Une histoire des banlieues" aux éditions Les Pérégrines, il est toujours difficile d'éteindre la contestation "une fois que la mèche est allumée".

On oublie qu'il y a 30,40 ou 50 ans, les rapports sociaux se faisaient mieux

Erwan Rutty, responsable associatif

Mais le responsable associatif juge que certaines bonnes pratiques qui avaient fait leurs preuves et permis de régler des problèmes en amont ont été oubliées. Il plaide notamment pour une police de proximité, du quotidien, au contact des jeunes de quartiers.

"Les forces de l'ordre sont de plus en plus absentes de ces quartiers. Depuis une vingtaine d'années, du fait des baisses de dotations publiques, la police est de plus en plus une force d'intervention, musclée, souvent assez efficace dans les situations de violence mais qui, d'une certaine manière, s'américanise (...) On oublie qu'il y a 30, 40 ou 50 ans, les rapports sociaux se faisaient mieux. Les policiers étaient davantage présents au quotidien qu'aujourd'hui, où ils n'interviennent que pour rétablir l'ordre et non plus pour parler avec les gens, être avec eux et faire partie du paysage", analyse Erwan Ruty.

>> Relire également : La nuit a été plus calme en France, avant une rencontre entre Macron et des maires

Et de compléter: "Si on veut la désescalade, il faut complètement changer de logiciel. Il faut repartir dans les réflexions qu'on avait dans les années 80 et qui consistaient d'abord à réfléchir aux actions d'encadrement social, de prévention, de renforcement de l'éducation populaire (...) mais c'est vrai qu'il est très difficile de remonter la pente qu'on a descendue, avec des rapports désormais devenus hyper violents."

Réinvestir dans l'humain

En l'espace de 20 ans, 45 milliards d'euros ont été investis dans les banlieues. Pourtant, les améliorations ne semblent toujours pas visibles.

Pour Erwan Ruty, le constat est limpide. La plupart de ces investissements ont été dirigés vers le bâti. Des travaux de rénovation et de construction la plupart du temps indispensables mais qui ne sont d'après lui pas le coeur du problème.

Tout l'argent est mis sur de gros programmes qui sont très visibles mais sur l'humain, on ne met quasiment rien

Erwan Ruty, responsable associatif

"Ce qu'on a appelé la politique de la ville voulait recréer de la mixité sociale. Elle n'y est pas parvenue parce qu'elle a donné beaucoup d'argent pour le bâti et quasiment rien pour l'humain (...) Tout l'argent est mis sur de gros programmes qui sont très visibles mais sur l'humain, on ne met quasiment rien", décrit-il.

Centres sociaux, structures d'éducation populaire, maisons de quartier: l'argent manquerait cruellement pour les acteurs de terrain. Le responsable associatif ajoute qu'il est devenu de plus en plus difficile de trouver un interlocuteur pour régler les problèmes, le pouvoir étant de plus en plus dilué "dans un millefeuille institutionnel" qui ne permet plus de faire avancer les choses.

"On a besoin de mettre beaucoup d'argent (et avec un peu d'intelligence) sur l'humain, et c'est vrai que c'est beaucoup plus compliqué que de refaire un mur ou un immeuble", conclut-il.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: ther

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