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Un agenda chargé pour la sécurité européenne au sommet de l'Otan

Géopolitis: OTAN au pilori [Adobe stock - Lulla]
Agenda chargé pour la sécurité européenne au sommet de l'OTAN / Tout un monde / 7 min. / le 5 juillet 2023
Les 11 et 12 juillet prochain, les pays de l'Otan se rencontreront lors d'un sommet à Vilnius. Les membres de l'Alliance devraient prendre à cette occasion un certain nombre de décisions qui auront un impact sur la sécurité de l'Europe dans les années à venir, à commencer par la demande d'adhésion de l'Ukraine.

Voilà près de 15 ans que l'Ukraine frappe à la porte de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (Otan). Pourtant, la situation actuelle, qui voit Kiev continuer à se battre face aux forces russes, ne permet pas d'envisager une adhésion rapide. Le risque d'entraîner toute l'Alliance dans une confrontation directe avec l'armée russe est jugé trop grand.

La question qui occupera les 31 dirigeants alliés de l'Otan sera tout de même de savoir comment dépasser le compromis trouvé avec Kiev en 2008. Un compromis qui accepte une adhésion "en théorie", mais qui la refuse "en pratique".

Il faut faire de l'Ukraine un partenaire qui aurait accès à toute une série de réunions

Camille Grand, ex-secrétaire général adjoint de l'Otan

Des pistes de rapprochement

Pour Camille Grand, ex-secrétaire général adjoint de l'Alliance, des pistes pour se rapprocher de l'Ukraine existent toutefois.

Interviewé mercredi dans l'émission Tout un monde, celui qui est actuellement chercheur au Conseil européen pour les Relations internationales juge d'abord essentiel d'afficher un soutien clair à l'Ukraine. D'après lui, il faut donc montrer que l'aide durera aussi longtemps que nécessaire, en poursuivant les livraisons d'équipements et de munitions.

Il y a un précédent intéressant avec l'adhésion de la République fédérale d'Allemagne (RFA) en 1955, alors mêmes que les frontières de l'Allemagne étaient mal définies

Camille Grand, ex-secrétaire général adjoint de l'Otan

Une deuxième piste est que l'Otan se rapproche politiquement de l'Ukraine. "Il faut faire de l'Ukraine un partenaire qui aurait accès à toute une série de réunions, en étant un partenaire actif, sans être un allié (...) ce format permettrait de pouvoir discuter de cette perspective d'adhésion de manière régulière et récurrente, dans une forme d'antichambre", avance l'expert.

Le précédent de l'Allemagne de l'Ouest

Quant à une adhésion à l'Otan en bonne et due forme, Camille Grand explique qu'il ne faut pas rejeter d'emblée l'idée, car des accords pourraient être trouvés, lors d'un cessez-le-feu ou quand les opérations militaires se seront stabilisées.

"Il y a un précédent intéressant avec l'adhésion de la République fédérale d'Allemagne (RFA) en 1955, alors mêmes que les frontières de l'Allemagne étaient mal définies et qu'il existait une République démocratique allemande (RDA) proche de l'Union soviétique, avec des troupes russes sur son territoire", rappelle-t-il.

A l'époque, l'accord trouvé pour cette adhésion stipulait que l'article 5 (l'article qui engage les pays membres à défendre un autre pays membre en cas d'attaque, ndlr) du traité de l'Otan ne concernerait  que l'Allemagne de l'ouest et non la RDA. "Un deuxième message plus discret était aussi de dire, si l'Allemagne fédérale entrait en guerre elle-même pour reconquérir ses territoires, l'Otan et les grandes puissances ne la soutiendraient pas", précise Camille Grand.

Pour l'ancien secrétaire général adjoint de l'Otan, il faudra donc peut-être envisager à terme une adhésion de l'Ukraine quand bien même le pays abriterait un conflit gelé au Donbass ou en Crimée. Un moyen selon lui ne pas laisser le dernier mot à la Russie, qui se débrouillera de toute façon toujours pour laisser un conflit en gestation en Ukraine

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Davantage de moyens demandés sur le flanc oriental de l'Otan

Outre la demande d'adhésion de l'Ukraine, le sommet de Vilnius devra également traiter la demande des pays Baltes et de la Pologne, qui exigent un renforcement de l'Otan sur le flanc oriental.

Actuellement, environ 40'000 hommes sont placés directement sous le commandement de l'Otan dans cette région: un chiffre qui ne devrait pas augmenter à priori. Mais l'Otan travaille sur les ressources, les renforts disponibles et surtout la capacité à effectuer des déploiements rapides.

Pour Camille Grand, il s'agit d'un changement d'approche et de paradigme face à la Russie, induit sans surprise par la guerre en Ukraine. "D'une certaine manière, on a glissé d'un débat qui était de dire 'jusqu'où doit-on aller pour ne pas braquer la Russie?' à un débat qui est de savoir comment être crédible pour décourager la Russie dans toute hypothèse de tenter un conflit avec l'Otan, même très localisé", conclut-il.

Propos recueillis par Alain Franco

Adaptation web: Tristan Hertig

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L'adhésion de la Suède toujours bloquée

Autre dossier brûlant au sein de l'Otan, la demande d'adhésion de la Suède, qui reste bloquée par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan et la Hongrie de Viktor Orban.

Le président turc avait notamment demandé à Stockholm un changement profond de politique vis-à-vis de la communauté kurde et notamment du groupe PKK, considéré comme terroriste par Ankara mais également les Etats-Unis et plusieurs Etats européens.

La Suède semble bel et bien avoir fait des efforts, mais pas assez selon la Turquie, qui refuse donc toujours de ratifier l'entrée du pays dans l'Otan. En stoppant le processus d'adhésion de la Suède, Ankara chercherait aussi à faire pression sur Washington. Le Congrès américain rechigne en effet pour l'instant à donner son feu vert à la modernisation des avions de combat F-16 que possède la Turquie.

Dommageable pour la sécurité de la Suède et de l'Alliance

Le cas de Viktor Orban, qui n'a toujours pas soumis la ratification pour l'adhésion de la Suède à son Parlement, est plus obscure. Il interroge surtout sur la relation de proximité qui existe entre le Premier ministre hongrois et Vladimir Poutine.

Camille Grand reconnaît que les demandes d'adhésion sont souvent l'occasion de mettre sur la table des différents bilatéraux mais juge cette fois-ci dommageable de tels ralentissements.

"On est quand même dans une période exceptionnelle où la guerre est en Europe. Bloquer pendant plus d'un an alors que les 29 autres alliés ont ratifié cette adhésion et que la Suède a fait beaucoup d'efforts, cela me paraît dommageable pour la sécurité de la Suède mais aussi pour celle de l'Alliance", explique-t-il.

>> Revoir le reportage du 19h30 :

Depuis plus d’un an, la Turquie bloque l’entrée de la Suède dans l’Otan
Depuis plus d’un an, la Turquie bloque l’entrée de la Suède dans l’Otan / 19h30 / 2 min. / le 3 juin 2023

Position suisse "ambiguë, sinon hypocrite"

Pour Camille Grand, ex-secrétaire général adjoint de l'Alliance atlantique et chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, l'initiative est bonne mais elle est pleine d'ambiguïtés.

"C'est un peu ambigu, sinon hypocrite, (...) en parallèle des restrictions très nettes que met la Suisse aux exportations d'équipement vers l'Ukraine en mettant en avant sa neutralité", relève celui qui est actuellement chercheur au Conseil européen pour les Relations internationales.

>> Lire à ce sujet : Le Conseil fédéral refuse à Ruag la réexportation de chars Leopard 1 A5

Face à cette attitude helvétique, "il y a une forme d'agacement" au sein des alliés, estime Camille Grand. Des questions se posent à propos de "cette coopération avec la Suisse si ça crée de telle difficultés pour avoir des exportations dans des pays aussi importants pour la sécurité européenne que l'Ukraine".

>> Ecouter l'interview de Camille Grand :

L'invité de La Matinale - Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’OTAN
La Suisse veut adhérer au système Sky Shield: interview de Camille Grand / La Matinale / 1 min. / le 5 juillet 2023