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L'archipel des Orcades, ces îles britanniques qui rêvent de Norvège

Vue générale du front de mer à Kirkwall le 6 septembre 2021. [AFP - ADRIAN DENNIS]
Archipel des Orcades: ces îles britanniques qui rêvent de Norvège / Tout un monde / 8 min. / le 10 juillet 2023
Quitter le Royaume-Uni pour la Norvège? L'archipel écossais des Orcades se pose la question. Ses responsables locaux ont voté en faveur d'une motion visant à étudier de nouvelles options de gouvernance pour leur territoire.

L'archipel écossais des Orcades, situé au large du littoral nord-est de l'Ecosse, s'estime depuis longtemps négligé par Londres et Edimbourg. Selon le président du conseil local, James Stockan, les Orcades reçoivent moins d'argent par habitant que les îles Shetland voisines ou d'autres îles du littoral écossais.

"On reçoit 350 livres sterling de moins par personne que les habitants des Shetland pour gérer les mêmes services et 700 livres sterling de moins que les habitants des Hébrides extérieures", avance-t-il dans l'émission de la RTS Tout un monde.

Et de poursuivre: "Cela dure depuis des années et maintenant notre communauté dit que cela suffit." Les Orcades sont une communauté "forte et unie" composée de 22'000 habitantes et habitants, souligne James Stockan. Et s'il convient que tout coûte plus cher (par exemple, aller jusqu'à Londres et rentrer sur l'île revient à près de 1000 francs), il ne faut pas négliger le "destin des insulaires".

Le président du conseil local dénonce également des infrastructures de transports, notamment les ferries, "vieillissantes".

L'anneau de Brodgar, le troisième plus grand cercle de pierres des îles britanniques, sur les îles Orcades. [AFP - WILLIAM EDWARDS]
L'anneau de Brodgar, le troisième plus grand cercle de pierres des îles britanniques, sur les îles Orcades. [AFP - WILLIAM EDWARDS]

Se tourner vers la Norvège

James Stockan a donc soumis récemment une motion pour envisager des "modèles alternatifs de gouvernance", afin de mieux tirer parti de ses atouts économiques, notamment le tourisme et les énergies. Lors du vote, quinze élus se sont prononcés en faveur de cette motion et six contre.

Parmi les pistes évoquées dans la motion figurent les "connexions nordiques" de l'archipel, mais aussi le modèle de "dépendance de la Couronne" des îles de Man, de Guernesey ou Jersey, qui sont sous la souveraineté de la couronne britannique sans faire partie du Royaume-Uni.

Un élu, David Dawson, a toutefois prévenu contre "le fantasme bizarre de devenir un territoire autonome sous le giron de la Norvège". Mais James Stockan a assuré que sa motion "n'avait pas pour but de rejoindre la Norvège".

Ces velléités séparatistes des Orcades s'expriment au moment où le Parti national écossais (SNP), au pouvoir à Edimbourg, tente lui aussi de se détacher du Royaume-Uni.

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Des liens historiques et culturels

L'archipel des Orcades était contrôlé par le roi de Norvège jusqu'en 1472, où il est revenu à l'Ecosse avec les îles Shetland, faisant partie de la dot lors du mariage de sa fille à un roi écossais.

"On a fait partie du royaume nordique pendant bien plus longtemps qu'on ne fait partie du Royaume-Uni, insiste James Stockan. On est probablement le seul endroit, en dehors de la Norvège, qui célèbre le jour de l'indépendance norvégienne. Notre drapeau est aussi très similaire à celui de la Norvège et il a été choisi par la population."

Et d'ajouter: "On a des liens culturels forts, mais on a aussi une façon de gouverner qui est très consensuelle et très nordique, davantage que la politique d'opposition que l'on trouve au Royaume-Uni."

Le drapeau officiel des Orcades depuis 2007. [DR]
Le drapeau officiel des Orcades depuis 2007. [DR]

La Norvège, un pays séduisant

Outre l'histoire commune, le modèle norvégien comporte des atouts, selon James Stockan. "La Norvège est un pays différent, avec une population dispersée, un long littoral, beaucoup de zones rurales... Le gouvernement norvégien soutient et comprend les zones rurales."

Professeure émérite d'études britanniques à l'Université Bordeaux Montaigne, Moya Jones comprend l'attrait de l'archipel pour son voisin: "La Norvège est prospère et gère très bien les fonds en provenance du pétrole de la mer du Nord, ce que le Royaume-Uni n'a pas su faire. Mais gérer un pays avec 5,5 millions d'habitants comme la Norvège contre 67 millions au Royaume-Uni, c'est une autre paire de manches."

Moya Jones estime qu'il s'agit d'une "épine dans le pied du gouvernement britannique". Selon elle, le lien avec toutes les îles du pays est remis en question.

L'archipel des Orcades a pourtant eu une importance stratégique lors de la Deuxième Guerre mondiale comme base navale. Aujourd'hui, elle joue encore ce rôle crucial, notamment pour y stationner des sous-marins, précise Moya Jones.

Ces îles ont également du potentiel en matière d'énergie: éoliennes en mer ou énergie des vagues. Ce potentiel n'est pas suffisamment reconnu par les autorités britanniques, analyse la professeure.

S'appuyer sur les îles pour la transition énergétique

En Scandinavie, le rapport aux îles est différent, confirme le géographe et spécialiste des pays nordiques Nicolas Escache. L'accès facile aux territoires les plus enclavés fait partie du contrat social.

Il y a aussi une grande coopération entre l'Etat et les îles nordiques. Le Danemark, par exemple, en a fait des laboratoires de la transition énergétique.

"Je pense aux îles de Samsø ou d'Ærø qui avaient répondu à la fin des années 1990 à un appel à projets de l'Etat pour tester les dispositifs d'indépendance énergétique, explique Nicolas Escache. Samsø, avec le soutien de la population, s'est équipée d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques. (...) L'île fait référence dans la manière dont on fédère autour de la transition écologique."

Des éoliennes au large de l'île de Samsø au Danemark. [RITZAU SCANPIX VIA AFP - STIG NOERHALD]
Des éoliennes au large de l'île de Samsø au Danemark. [RITZAU SCANPIX VIA AFP - STIG NOERHALD]

Avec leur motion, les représentants locaux des Orcades ont attiré les regards sur leurs problèmes. Il s'agissait sans doute aussi un peu de l'idée de ce texte, selon Moya Jones. Pour elle, l'île, qui vit de pêche, de tourisme et d'un peu d'agriculture, aurait du mal à être indépendante.

Pas question, répond Londres

A Oslo, le ministère norvégien des Affaires étrangères a affirmé que cette affaire était "un sujet constitutionnel interne britannique sur lequel le gouvernement norvégien n'a aucune position". Il a affirmé "n'avoir pas connaissance" de contact entre les autorités des Orcades et le gouvernement norvégien.

De leur côté, les services du Premier ministre britanniques Rishi Sunak ont balayé l'idée de faire de l'archipel une "dépendance de la Couronne" ou un territoire d'outre-mer.

"Il n'y a aucun mécanisme" pour cela, "mais fondamentalement, nous sommes plus forts en tant que Royaume-Uni, c'est quelque chose que nous n'avons pas l'intention de changer", a fait savoir un porte-parole du gouvernement, mettant en avant le soutien financier dont bénéficie l'archipel.

Sujet radio: Blandine Levite

Adaptation web: Valentin Jordil avec afp

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