A l'approche des élections en Espagne, le gouvernement socialiste a du mal à défendre son bilan
Laminé par la crise du Covid-19 en raison de sa dépendance au tourisme, le PIB espagnol avait chuté de 11,3% en 2020, un record en Europe. Mais il a depuis regagné le terrain perdu, avec 5,5% de croissance en 2021 et 2022 et 2,3% prévus par la Banque d'Espagne en 2023.
"L'économie espagnole avance comme une moto", c'est-à-dire à toute allure, s'est félicité début juillet le Premier ministre Pedro Sánchez, en insistant sur "le dynamisme de l'emploi", avec 426'000 postes créés au premier trimestre, notamment dans le secteur touristique.
Des chiffres que le gouvernement ne cesse de mettre en avant, en comparant sa gestion de la crise sanitaire et des tensions inflationnistes avec celle de la crise financière des années 2010 par le Parti populaire (droite), marquée par une sévère austérité et un chômage record.
L'économie va bien, mais les salaires baissent
Comment expliquer alors que ces bons résultats ne se traduisent pas dans les sondages? "La pandémie de Covid-19 a eu un effet beaucoup plus important en Espagne par rapport à d'autres pays. L'activité économique a baissé de plus de 10% en 2020, une quasi-paralysie. Même si les résultats ont été bons ces deux dernières années, l'Espagne a à peine rattrapé le niveau d'activité d'avant la pandémie", analyse Raymond Torres, directeur de la conjoncture et de l'économie internationale à l'Institut Funcas, lundi dans l'émission Tout un monde de la RTS.
Et de poursuivre: "Même si l'emploi et l'économie vont bien, la majorité des salariés constatent une perte très importante de leur pouvoir d'achat. L'an dernier, les salaires ont diminué d'environ 6% en un an. Et le pouvoir d'achat n'a pas progressé ces quinze dernières années. C'est quelque chose qui pèse lourd dans les enquêtes d'opinion."
Des réformes
L'Espagne "résiste beaucoup mieux que le reste de l'Europe aux difficultés du contexte international", a insisté fin juin la ministre de l'Economie Nadia Calviño, en attribuant cette dynamique aux réformes votées depuis cinq ans par la gauche au pouvoir.
Face à l'envolée des prix, il a également multiplié les mesures, comme des subventions sur le prix des carburants ou une baisse de la TVA sur certains produits alimentaires de base, débloquant au total 47 milliards d'euros.
En temps de crise, c'est plutôt les salaires qui ont tendance à baisser que les profits des entreprises
Des mesures qui, alliées à un plafonnement des prix de l'électricité, ont permis de ramener l'inflation à 1,9% en juin contre 10,8% l'été dernier et 5,5% actuellement dans la zone euro. Les consommateurs restent toutefois préoccupés par l'inflation à presque 12% sur les aliments. Raymond Torres estime qu'il aurait fallu des mesures plus ciblées pour les plus vulnérables.
Depuis 2018, l'exécutif a également rehaussé d'environ 50% le salaire minimum, à 1080 euros bruts mensuels, jusqu'alors parmi les plus faibles de l'Union européenne. "Les gains de productivité sont très faibles en Espagne: ils s'accroissent moitié moins que dans le reste de l'Europe", indique Raymond Torres. "Du coup, les possibilités d'augmenter les salaires sont faibles. En temps de crise, c'est plutôt les salaires qui ont tendance à baisser que les profits des entreprises. Il s'agit d'un problème qui s'accumule depuis plusieurs gouvernements."
Accord avec les indépendantistes
Les divisions ont aussi plombé ces derniers mois la gauche de la gauche espagnole, partenaire des socialistes au sein du gouvernement de coalition, et notamment sa principale composante Podemos, fragilisée par sa chute libre aux élections locales du 28 mai.
>> Relire : Net recul des socialistes de Pedro Sánchez aux élections locales espagnoles
Les alliances avec des partis indépendantistes et séparatistes durant la législature ont aussi beaucoup mobilisé l'opposition de droite. Pedro Sánchez a réussi à ramener la Catalogne au calme, mais au prix de concessions aux indépendantistes, comme la suppression du délit de sédition ou les grâces accordées aux anciens dirigeants séparatistes en prison.
Les pactes conclus au coup par coup avec le parti séparatiste basque Bildu ont encore plus dérangé. L'organisation terroriste ETA n'existe plus, mais les émotions sont encore vives dans la société espagnole.
Il y a une chose très claire que nous détectons: le rejet d'une partie de l'électorat socialiste face aux accords avec Bildu, le parti séparatiste basque
"Il y a une chose très claire que nous détectons: le rejet d'une partie de l'électorat socialiste face aux accords avec Bildu, le parti séparatiste basque. Et dans la société espagnole en général, nous avons aussi vu que les personnes rejetant ces alliances sont plus nombreuses que celles qui sont d'accord, analyse Belen Barreiro, sociologue et directrice de l'institut de sondages 40 DB.
Et d'ajouter: "Le gouvernement a donné la sensation de ne passer assez de temps pour expliquer ces alliances, pourquoi il les avait faites. La classe politique oublie souvent une chose cruciale: les citoyens écoutent si on leur parle. Mais si on ne s'adresse pas à eux, ils vont écouter ce qui se dit dans les médias et sur les réseaux sociaux."
La fuite des électeurs socialistes vers le parti de la droite conservatrice est importante, aux alentours de 8% à 10%, soit presque 700'000 votes. Face à une droite ultra mobilisée, ce transfert de votes fait du mal au gouvernement de Pedro Sánchez.
>> Voir aussi le reportage du 19h30:
Sujet radio: Valérie Demon
Adaptation web: vajo avec afp
Divisions sur le féminisme
Le sujet ayant eu l'impact le plus important sur ce transfert de voix est venu de la loi sur le consentement sexuel explicite, baptisée "seul un oui est un oui". Défendu par Podemos, ce texte, adopté l'an dernier, avait pour but de renforcer l'arsenal législatif contre les violences sexuelles.
Mais cette réforme pénale mal conçue a eu pour effet pervers d'entraîner des réductions de peines pour plus de mille condamnés et de faire sortir de prison une centaine d'entre eux, obligeant Pedro Sánchez à s'excuser au mois d'avril et à réformer en urgence la loi avec l'appui de la droite, en raison du refus de Podemos.
Controverse dévastatrice
Une controverse aux effets dévastateurs dans l'opinion dont a profité la droite pour attaquer le Premier ministre. "C'est un problème qui va vous poursuivre pour toujours", lui a encore lancé lundi dernier, lors d'un face-à-face télévisé tendu, le candidat conservateur Alberto Núñez Feijóo, favori des sondages.
Le parti d'extrême droite Vox est allé jusqu'à déployer, en plein centre de Madrid, une immense affiche affirmant que "Sánchez a relâché des centaines de monstres dans la rue" et montrant un homme avec un sweat à capuche agressant une femme et l'empêchant d'appeler à l'aide.
Emploi de termes maladroits
"Tu ne peux pas la qualifier de 'privilégiés' une majorité sociale masculine qui travaille", estime pour sa part l'écrivain de gauche Daniel Bernabé. "Il serait plus habile de dire qu'il y a des femmes qui ont moins de droits et qu'il faut y remédier, Mais pas de dire aux hommes qu'ils ont des privilèges. Les privilèges, c'est pour la noblesse".
Et de poursuivre: "A quelqu'un qui travaille huit heures par jour, avec un salaire peu élevé et une vie pas forcément fabuleuse, si tu lui dis qu'il est un oppresseur, qu'il est un machiste, il va sûrement se fâcher. Et ces hommes ne sont pas forcément machistes, ni radicaux. Ils n'avaient même pas forcément réfléchi au féminisme en ces termes. Insulter les gens, ce n'est pas une bonne tactique."