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Une enquête parlementaire confirme la proximité secrète entre Emmanuel Macron et Uber

La branche des taxis avait vigoureusement réagi, fin 2022, aux révélations des Uber Files. [AFP - Xose Bouzas]
Une enquête parlementaire confirme la proximité secrète entre Emmanuel Macron et Uber / Le Journal horaire / 29 sec. / le 18 juillet 2023
Le rapport d'une commission d'enquête parlementaire française publié mardi atteste une relation "opaque, mais privilégiée" entre Emmanuel Macron et Uber. Lorsqu'il était ministre de l'Economie, le président aurait sciemment agi pour favoriser l'implantation de la plateforme américaine en France.

Cette commission, initiée par le parti de gauche La France Insoumise (LFI), a été présidée par le député de la majorité présidentielle Benjamin Haddad, proche d'Emmanuel Macron. Le rapport aboutit à des conclusions sévères pour le président de la République.

Ainsi, entre 2014 et 2016, alors qu'elle se trouvait dans l'illégalité, l'entreprise Uber "a trouvé des alliés au plus haut niveau de l'État", conclut-il. "La confidentialité et l'intensité des contacts entre Uber, Emmanuel Macron et son cabinet témoignent d'une relation opaque mais privilégiée", y compris depuis son accession à la présidence en 2017, poursuit le texte.

"Deal secret"

Ministre de l'Economie à l'époque des faits, Emmanuel Macron aurait passé un "deal secret" avec la société américaine pour qu'elle renonce à son application controversée Uber Pop (un service de covoiturage permettant à n’importe qui de devenir chauffeur) en échange de la simplification des conditions nécessaires à l'obtention d'une licence de véhicule de transport avec chauffeur (VTC).

Cet accord tacite aurait notamment permis d'abaisser le nombre d’heures de formation obligatoires pour devenir chauffeur Uber, de 250 à sept heures.

Le rapport documente aussi l’existence d’un "Kill Switch", un dispositif mis en place grâce au logiciel "Casper", qui permet d’effacer l'ensemble des données des ordinateurs de l'entreprise en cas de descente de police.

Une vision politique commune

"C'est au mépris de toute légalité, et grâce à un lobbying agressif auprès des décideurs publics, que l'entreprise américaine est parvenue à concurrencer de manière déloyale" les taxis, déclare le rapport dans son introduction.

Cette proximité entre l'entreprise et le politicien semble avant tout relever d'une vision politique commune, car la commission n’a pas été en mesure de mettre en évidence une éventuelle contrepartie à cet arrangement. Des échanges de SMS montrent toutefois que, en 2017, le candidat Macron a invité à dîner le directeur général d'Uber France pour lui proposer de financer sa campagne.

Selon des éléments mentionnés dans le document, Uber a eu également "34 échanges" avec les services du président entre 2018 et 2022. Là encore, le rapport privilégie une interprétation plutôt politique: si les lois et réglementations adoptées après l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir ont certes conféré de nouveaux droits aux chauffeurs de VTC, cela participait d'une stratégie d'Uber "pour éviter toute requalification de ces travailleurs en salariés".

Cette situation "révèle toute l'incapacité de notre système pour mesurer et prévenir l'influence des intérêts privés sur la décision publique", souligne encore le rapport final.

Divergences au sein de la commission

Cette commission d'enquête avait été lancée il y a six mois, à la suite des révélations dans la presse des "Uber Files", soit la fuite de milliers de documents internes recueillis par un ancien lobbyiste d'Uber. Elle a auditionné au total 120 personnes, dont deux ex-Premiers ministres ainsi que des anciens dirigeants d'Uber.

Parmi les membres de la commission, les dix députés macronistes et un autre de droite se sont abstenus de valider le rapport final.

Ses conclusions ont par ailleurs été sévèrement critiquées par le président de la commission Benjamin Haddad, qui a reproché à Danielle Simonnet, la rapporteure de la commission, de "politiser l'affaire".

"Il n'y a eu ni compromission, ni deal secret, ni conflit d'intérêts, ni contreparties, contrairement à ce que tente de démontrer vainement notre rapporteure", écrit-il dans son avant-propos, témoignant des fortes dissensions entre les membres de la commission d'enquête.

jop avec afp

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Promesses non tenues et précarisation

Interrogée par la commission, la sociologue du travail Sophie Bernard, spécialiste des mutations de l'emploi, a estimé que les promesses de la multinationale américaine en termes de création d'emplois et de qualité du travail n'étaient pas tenues.

Même si les études fiables sur la question manquent pour donner des chiffres clairs, la spécialiste a soutenu qu'Uber n’avait fait que transférer des travailleurs précaires vers un autre type d’emploi tout aussi précaire. Et que son modèle s'était diffusé, via d'autres plateformes, à de nombreux autres secteurs.

La commission cite plusieurs exemples: les services de livraison comme Deliveroo, la plateforme de travail étudiant StaffMe ou encore Mediflash, qui s’occupe de mettre en relation des aides-soignants avec des Ehpad.

Ainsi, pour la commission d’enquête, ce soutien appuyé à Uber a contribué à créer une situation aujourd’hui défavorable aux travailleurs et aux travailleuses.