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"J’aurais aimé ne pas détruire ma vie", témoigne Roberto Saviano

Roberto Saviano au Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne. [RTS - Margot Delevaux]
L’écrivain et journaliste italien Roberto Saviano continue le combat anti-mafia / Tout un monde / 9 min. / le 19 juillet 2023
Roberto Saviano, auteur du fameux livre-enquête Gomorra sur la mafia napolitaine, était l’invité d’honneur du Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne, en France. Bien plus détendu qu’à l’accoutumée, il a accepté de répondre à quelques questions de la RTS.

"C’est parce qu’on est dans un petit village d’Aquitaine que j’ai pu participer. Je suis toujours sous protection mais plus libre ici. C’était fantastique de pouvoir marcher tout simplement, me balader", apprécie le journaliste et écrivain dont la tête est mise à prix par la mafia depuis dix-huit ans.

Dans ma vie, il n’y a plus aucun espace pour faire quelque chose sur un coup de tête

Roberto Saviano, auteur de Gomorra

"En Italie, je vis avec tout un dispositif de sécurité, des voitures blindées et cinq à sept hommes qui assurent ma sécurité. Il faut toujours décider à l’avance de ce qu’on va faire. Il n’y a aucun espace pour faire quelque chose sur un coup de tête…"

L’Italien regrette cette perte de liberté et les entraves quotidiennes, mais aucunement son engagement. "J’aurais aimé faire les choses autrement, de manière à ne pas détruire ma vie", commente-t-il. Une vie d’errance, sans possibilité de se fixer ni de circuler comme tout un chacun.

Roberto Saviano explique d'ailleurs avoir cherché à s'éloigner de son pays, "parce que je suis plus tranquille loin de l'Italie", en vivant aux Etats-Unis, en Suède et en Espagne. "Tout dépend des pays qui sont d'accord de m'héberger malgré la sécurité accrue dont j'ai besoin. La Suisse? J'y ai songé, parce que j'y ai donné plusieurs conférences et je reçois beaucoup de solidarité de la partie italienne de la Suisse. Mais est-ce que la Suisse veut me recevoir?"

La mafia, "un fléau"

Dans son dernier ouvrage, "Crie-le", aux éditions Gallimard, il évoque des figures courageuses, de la Grèce antique à nos jours. Dans son panthéon, Martin Luther King, Giordano Bruno, Emile Zola ou Anna Akhmatova. Et bien sûr, le juge Falcone, "tombé avec sa femme et son escorte. La moitié du pays le détestait à l’époque et depuis sa mort, tout le monde le plaint comme un trésor national."

Quid de la mafia aujourd’hui en Italie? "Cela reste un fléau et toute l’Europe en souffre. Mais beaucoup de choses ont changé. Il n’y a par exemple plus de mafias terroristes", note l’Italien.

"Le courage du désespoir"

Un autre sujet qui lui tient à cœur est celui des migrations. "C'est le courage donné par le désespoir. Le courage de risquer sa vie pour trouver quelque chose de vivable, de meilleur. En Europe, on a du mal à se faire à ce concept, parce qu'on a encore de l'espoir", remarque-t-il.

Il regrette notamment que les partis de droite populiste en Europe aient utilisé cette question comme bouc-émissaire pour tous les problèmes des différents pays. "Des problèmes dans les périphéries? C'est à cause des migrants. Des problèmes de travail? C'est à cause des migrants. La criminalité? C'est à cause des migrants... Il est important de se défaire de cette propagande", explique-t-il.

Caroline Stevan

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