La suspension du corridor maritime qui permettait d'exporter le blé ukrainien pourrait créer à long terme des tensions et une inflation alimentaire.
Matthieu Brun, directeur scientifique de la fondation FARM, la fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde, tempère toutefois dans Tout un monde vendredi les effets de la fin de cet accord: "Depuis quelques semaines, les envois de céréales par le corridor maritime ont été un petit peu ralentis. Les cours du blé étaient plus bas donc l'impact à court terme est assez faible. Pour l'instant, la situation sur les marchés mondiaux est plutôt favorable."
L'inquiétude se situe surtout à moyen terme, en particulier pour les pays méditerranéens qui dépendent de la région mer Noire pour leurs approvisionnements en blé, mais également en tournesol, dont la Russie et l'Ukraine sont de gros producteurs.
Dépendance aux céréales ukrainiennes
De nombreux pays sont dépendants des céréales de la région mer Noire comme le souligne Matthieu Brun: "En Egypte, 100 millions d'habitants dépendent de l'extérieur pour leur apprivoisement en blé, dont un grain sur deux vient de l'étranger, en grande partie de la région de la mer Noire. Tandis qu'au Liban, l'explosion du port de Beyrouth il y a trois ans a complètement détruit les silos de céréales. Le pays dispose d'un seul mois de stockage ce qui pèse sur la sécurité alimentaire".
Le vrai risque ne concerne pourtant pas la quantité de blé envoyée, mais le niveau de l'inflation. L'accès économique à l'alimentation est primordial. L'accord conclu en juillet 2022 avait permis de faire baisser les prix et d'atténuer la crise alimentaire mondiale.
Car l'inflation compromet la sécurité alimentaire des plus pauvres. Le programme alimentaire mondial (PAM) achetait 8% des exportations ukrainiennes de céréales, selon Olia Tayeb Cherif, responsable d'études à la fondation FARM. Du blé qui était destiné au Yémen, à l'Afghanistan ou à la Corne de l'Afrique.
Approvisionnement alimentaire à sécuriser
La question de la faim comporte encore d'autres risques d'après Matthieu Brun: "Dans les pays africains de la Corne de l'Afrique ou au sud du Sahel, les importations en blé sont vraiment limitées pour nourrir les villes. Il faut pouvoir sécuriser leur approvisionnement. Si la population n'a pas assez d'argent pour s'acheter de la nourriture, cela pourrait engendrer des risques socio-politiques très importants."
Le directeur scientifique de FARM indique que la sécurité alimentaire est aussi fragile dans les zones rurales: "Les producteurs n'ont pas toujours un accès quotidien et de qualité à l'alimentation parce que non seulement les prix du blé ou du maïs sont soumis à une forte volatilité, mais le prix des engrais a aussi subi des hausses très importantes."
>> Lire aussi : L'insécurité alimentaire s'est encore aggravée en 2022 dans le monde
Opacité des marchés céréaliers
Pour éviter que les denrées agricoles deviennent une monnaie d'échange, Matthieu Brun insiste sur l'importance de réintroduire de la transparence: "Les marchés céréaliers sont assez opaques, on ne connaît pas les stocks des pays. Le problème ne réside pas dans les situations d'interdépendance mais plutôt dans le manque de coopération. La transparence des marchés est un élément important pour éviter la volatilité. Des initiatives existent au niveau méditerranéen, comme Med Amin, un réseau d'information qui travaille notamment sur les disponibilités des stocks."
Il ajoute que si des pays importateurs créaient une forme de coopération, ils pourraient peser notamment sur des décisions unilatérales de la Russie et cela pourrait stabiliser les prix des marchés internationaux de céréales. Mais cela ne se fait pas puisqu'il existe un intérêt stratégique et politique à ne pas communiquer sur les stocks de matières premières.
Sujet radio: Blandine Levite
Adaptation web: Carlotta Maccarini
Transit des céréales par la Roumanie
L'interruption du corridor maritime va entraîner des surcoûts sur les transports, comme l'explique Cornelis Vrins, directeur de la Société "All Seeds Switzerland SA" active dans l'exploitation de produits agricoles et la fabrication d'huile de tournesol en Ukraine:
"Il ne sera plus possible d'embarquer des bateaux céréaliers à grande capacité. Tout devra se faire depuis des petites embarcations ou par des barges depuis le Danube jusqu'au port de Constanta, en Roumanie, pour ensuite transborder les chargements dans des navires plus grands".
Mais les installations fluviales sont bien différentes des grands ports ukrainiens, ajoute Cornelis Vrins: "les ports du Danube avaient été laissés à l'abandon en faveur des trois ports ukrainiens autorisés à exporter sous l'accord céréalier: Odessa, Tchornomorsk et Pivdenny. Là où ces ports pouvaient charger un million de tonnes par semaine, le Danube en charge difficilement 200'000 tonnes par semaine".