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La gauche pourrait rester au pouvoir en Espagne après des législatives remportées par la droite

Le PS de Pedro Sanchez a résisté beaucoup mieux que prévu aux élections législatives. [reuters - Nacho Doce]
En Espagne, la gauche a résisté beaucoup mieux que prévu aux élections législatives anticipées / La Matinale / 1 min. / le 24 juillet 2023
Donnée largement gagnante depuis des mois, la droite espagnole n'est pas parvenue à décrocher une majorité suffisante pour former un gouvernement avec leurs alliés d'extrême-droite lors des élections législatives dimanche. Deuxièmes, les socialistes du Premier ministre sortant Pedro Sánchez pourraient donc avoir réussi leur pari.

Après dépouillement de plus de 99% des suffrages, le Parti Populaire (PP) du conservateur Alberto Núñez Feijóo a obtenu 136 sièges sur un total de 350 au Congrès. Son seul allié potentiel, le parti d'extrême droite Vox, a quant à lui décroché 33 sièges. Un total insuffisant, donc, pour obtenir une majorité absolue (176 sièges) et ainsi former un gouvernement.

Le PP obtient ainsi 43 sièges de plus que lors des précédentes élections en 2019, mais il reste loin de son objectif de 150 sièges. À gauche, le Parti socialiste ouvrier (PSOE) est crédité de seulement 122 sièges, tandis que son allié de gauche radicale Sumar en obtient 31.

Ce résultat constitue une vraie surprise pour beaucoup de spécialistes, car les sondages réalisés au cours des cinq derniers jours prédisaient tous une victoire bien plus large du PP.

Le Premier ministre socialiste et son rival conservateur vont entamer dès lundi des tractations pour tenter d'éviter de nouvelles élections.

La gauche en meilleure posture

Paradoxalement, Pedro Sánchez, au pouvoir depuis cinq ans, se trouve dans une meilleure position que son rival conservateur et peut espérer se maintenir au pouvoir, car il a la possibilité d'obtenir le soutien des partis basques et catalans, pour lesquels une alliance avec l'extrême droite reste un épouvantail et auxquels Pedro Sánchez a donné plusieurs gage de sympathie ces dernières années.

"Le bloc rétrograde du Parti populaire et de Vox a été battu", a-t-il ainsi commenté devant le siège du PSOE. "Nous qui voulons que l'Espagne continue à avancer sommes beaucoup plus nombreux", a-t-il poursuivi devant des militants et militantes euphoriques, qui ont accueilli les résultats à grands cris de "No pasarán" ("Ils ne passeront pas !"), fameux slogan antifasciste de la Guerre civile espagnole (1936-1939).

De son côté, Alberto Núñez Feijóo a toutefois estimé que son parti avait "gagné les élections". Il a affirmé son intention de "former un gouvernement" pour "éviter une période d'incertitude en Espagne", et demandé aux socialistes de ne pas le "bloquer". Mais dans les rangs de ses soutiens, l'heure est à la déception et à l'incrédulité.

Car sans majorité absolue, le chef conservateur aurait besoin de l'abstention des socialistes lors d'un vote d'investiture au Parlement. Ce qui ne sera pas le cas puisque Pedro Sánchez se trouve désormais en meilleure posture pour former un gouvernement.

Les partis régionalistes, acteurs-clé

Il aura pour cela besoin du soutien de plusieurs formations régionalistes comme la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) ou les basques de Bildu, formation considérée comme l'héritière politique de l'ETA. Il devra aussi s'assurer du soutien ou de l'abstention du parti de l'indépendantiste catalan Carles Puigdemont, Junts per Catalunya (JxCat), dont les dirigeants ont déjà prévenu qu'ils n'aideraient pas la gauche à rester au pouvoir sans contrepartie.

Si toutes ces conditions sont réunies, Pedro Sánchez serait en mesure de rassembler au moins 172 de députés et députées, soit davantage que le bloc de droite, ce qui lui suffirait lors d'un deuxième vote d'investiture au Parlement, où seule une majorité simple est requise.

Dans le cas contraire, l'Espagne, qui a déjà connu quatre élections générales entre 2015 et 2019, se retrouverait dans une situation de blocage politique et serait condamnée à un nouveau scrutin.

Coup de poker

Habitué des coups d'éclat, Pedro Sánchez pourrait donc avoir réussi ce nouveau coup de poker. Il avait convoqué ce scrutin anticipé au lendemain de la déroute de la gauche aux élections locales fin mai pour tenter de reprendre l'initiative. Faisant campagne sur son bilan, plutôt bon en matière économique, il s'est surtout posé en rempart face à l'extrême droite pour tenter de mobiliser l'électorat effrayé par une entrée de Vox au gouvernement.

Une coalition gouvernementale entre le PP et Vox aurait marqué le retour au pouvoir de l'extrême droite en Espagne pour la première fois depuis la fin de la dictature franquiste en 1975, il y a près d'un demi-siècle.

Le chef du PSOE pourrait donc avoir bénéficié d'une forte mobilisation de la gauche face à cette menace, la participation ayant atteint près de 70%, soit 3,5 points de plus que lors du dernier scrutin en novembre de 2019. Près de 2,5 millions d'Espagnols ont notamment voté par correspondance, un chiffre record, sans doute également lié au fait que ce scrutin était le premier organisé en plein été.

ats/fgn/jop

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Elections scrutées à l'étranger

Ce scrutin a suscité un intérêt inhabituel à l'étranger en raison de l'éventualité de l'arrivée au pouvoir d'une coalition PP/Vox dans un pays considéré comme pionnier en matière de droits des femmes ou de ceux de la communauté LGBT+.

Très proche des positions du Premier ministre hongrois Viktor Orban, Vox rejette l'existence des violences sexistes, critique le "fanatisme climatique" et est très ouvertement anti-LGBT et anti-avortement.

Vox gouverne déjà avec le PP dans trois des 17 régions du pays où cette formation, née fin 2013 d'une scission du PP, a montré qu'elle ne comptait pas lâcher du lest sur ses priorités.

Dans une tribune publiée dimanche dans le quotidien français Le Monde, l'ancien Premier ministre travailliste britannique Gordon Brown a estimé qu'une entrée de Vox au gouvernement "aurait des répercussions sur tout le continent".

Le succès politique inespéré de Pedro Sánchez

Habitué des "remontadas" depuis le début de sa carrière, Pedro Sánchez a à nouveau déjoué les sondages dimanche. "J'ai appris à donner le maximum jusqu'à ce que l'arbitre siffle la fin de la rencontre", assurait cet ancien basketteur en 2019, dans une autobiographie intitulée "Manual de resistencia" ("Manuel de résistance").

Les élections législatives de dimanche, qu'il avait convoquées à la surprise générale après la débâcle de la gauche aux élections locales du 28 mai, ont à nouveau illustré sa capacité de résistance face à l'adversité. C'était pourtant une décision "très risquée", souligne auprès de l'AFP Giselle Garcia Hipola, professeure de sciences politiques à l'Université de Grenade. Mais au final, il a une nouvelle fois fait preuve d'"un bon flair politique".

Relativement novice et méconnu, Pedro Sánchez a pris en 2014 les rênes du PSOE, à l'issue des premières primaires de cette formation, joué sur l'image d'un "militant de base". Mais cette première expérience s'est soldée par un échec: le parti enregistre les pires résultats électoraux de son histoire et ses cadres le poussent vers la sortie.

Donné pour mort politiquement, il était pourtant parvenu à reprendre la tête du PSOE à peine six mois plus tard, après avoir sillonné l'Espagne dans sa Peugeot 407 pour aller à la rencontre des militants.

Cette ténacité le conduit au pouvoir en juin 2018 après un nouveau coup de poker: rassemblant sur son nom l'ensemble de la gauche et des partis basques et catalans, il renverse le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy, plombé par un scandale de corruption, et prend sa suite. A la tête d'une majorité instable, il est contraint de convoquer deux élections législatives consécutives en 2019, qu'il remporte. Puis d'accepter début 2020 un mariage de raison avec ses anciens frères ennemis de Podemos (gauche radicale) pour se maintenir de façon pérenne au pouvoir.

Gouvernant en minorité, il est tout de même parvenu durant son mandat à réformer le marché du travail et les retraites, à augmenter de 50% le salaire minimum, et à instaurer une loi réhabilitant la mémoire des victimes de la Guerre civile (1936-1939) et de la dictature de Franco (1939-1975).