Tour du monde des attractions touristiques qui ont décidé d'être moins accueillantes
Rues bondées, centres-villes vidés de leurs résidents locaux, explosion des prix, méga bateaux qui détonnent dans le paysage et érodent les côtes, nature dévastée, nuisances sonores, etc.
Il arrive parfois que le tourisme se transforme en épine dans le pied et que les habitants rêvent de mettre les touristes à la porte, quitte à se passer de la manne financière qu'ils apportent.
Partout autour du globe, certaines villes ou attractions ont décidé de mettre un frein à la fréquentation excessive, voire de stopper net l'afflux de visiteurs. D'autres préfèrent mettre l'accent sur la prévention ou des mesures incitatives pour fluidifier les allées et venues. Tour d'horizon de quelques lieux emblématiques qui ont mis le holà au "surtourisme".
Antoine Michel avec l'AFP
FRANCE
Le Mont-Saint-Michel, pris d'assaut la journée, déserté le soir
Le Mont-Saint-Michel est la première destination touristique en France après Paris. Le site normand (dans le nord-ouest du pays), qui fête les mille ans de son abbatiale, accueille chaque année trois millions de visiteurs, dont un million en été.
Or, ces touristes organisent pour la plupart leur visite de la même manière: arrivée peu avant midi, pique-nique ou restaurant, visite, et enfin retour vers le domicile ou l'hébergement en milieu d'après-midi.
Un schéma "classique" qui entraîne une sur-fréquentation du site de 10h à 16h, éloignant certains visiteurs potentiels. Ils ne se doutent pas que cette commune, qui ne compte que 132 chambres d'hôtel intramuros, est quasiment vide le soir venu.
Pour tenter d'y remédier, l'Établissement public du Mont-Saint-Michel met en place à partir de cet été plusieurs "mesures incitatives", dont certaines entreront en vigueur le mois prochain. Le but est de mieux répartir les visiteurs dans la journée. Par exemple, les parkings seront gratuits à partir de 18h30, à l'exception de juillet et d'août. Un système de réservation en ligne des places permettra également de parquer son véhicule à un coût avantageux aux heures creuses.
FRANCE
Limites de fréquentation en plusieurs points du littoral
Dans le sud-est de la France, le parc national des Calanques soumet à réservation l'accès à la crique de Sugiton, menacée d'érosion. Depuis 2022, l'accès est limité à 400 personnes par jour en été, quand 2500 personnes pouvaient s'entasser auparavant dans cet étroit espace rocheux.
Le parc réfléchit aussi à limiter la fréquentation sur les îles du Frioul face à Marseille. Toujours sur le littoral méditerranéen, l'île varoise de Porquerolles, dans le parc national de Port-Cros, limite à 6000 visiteurs sa fréquentation au plus fort de l'été.
Mesure similaire en Bretagne où l'île de Bréhat restreint pour la première fois l'afflux de touristes à 4700 visiteurs maximum par jour en semaine, du 14 juillet au 25 août.
FRANCE
La grotte préhistorique de Lascaux, fermée depuis 60 ans
Découverte en 1940 dans le sud-ouest de la France, la grotte préhistorique de Lascaux est fermée au public depuis 1963. L'affluence et les aménagements réalisés pour en faciliter l'accès ont déstabilisé durablement le site, menacé par des champignons et des moisissures.
Trois répliques, construites entre 1983 et 2016, permettent toutefois d'admirer ce site inscrit depuis 1979 au patrimoine mondial de l'Unesco.
BELGIQUE
Gand ne veut pas que la situation dégénère
Mieux vaut prévenir que guérir, s'est-on dit à Gand. La ville flamande, célèbre pour ses canaux et son centre médiéval, n'est pas complètement submergée par les hordes de touristes.
Mais la mairie a toutefois décidé de prendre des mesures avant que la situation ne devienne hors de contrôle. Par exemple, il ne sera plus possible d'ouvrir de nouveaux gîtes touristiques et les hébergements Airbnb devront payer une taxe de séjour.
Allongeant sa déjà longue liste de mesures contre le tourisme de masse, Amsterdam a aussi adopté jeudi une motion visant la fermeture d'un important terminal de bateaux de croisière dans son centre-ville.
En mars, la municipalité hollandaise annonçait une campagne pour décourager les visiteurs intéressés par la fête, la consommation d'alcool et de drogues, ainsi que la visite du Quartier rouge, haut lieu de la prostitution.
Public cible de cette campagne en ligne: les hommes de 18 à 35 ans. La ville avait annoncé peu de temps avant d'autres mesures: interdiction de fumer du cannabis dans les rues du Quartier rouge, renforcement des restrictions sur l'alcool et fermeture plus tôt le week-end des cafés, bars, restaurants et maisons closes.
La croisade des autorités amstellodamoises contre les nuisances dues aux visiteurs n'a pas plu à tout le monde. La volonté de la mairie de déplacer les maisons closes du Quartier rouge en dehors du centre-ville a provoqué en mars une levée de bouclier de la part des travailleuses du sexe, qui étaient descendues dans les rues pour crier leur colère.
Destination touristique espagnole parmi les plus populaires, l'île de Majorque, dans l'archipel des Baléares, limite aussi depuis 2022 l'arrivée sur ses côtes à trois bateaux de croisière maximum, dont un seul "méga-paquebot". La mesure a été mise en place pour cinq ans. Sa voisine de Minorque va elle limiter l'accès des voitures.
CROATIE
Dubrovnik, victime de la popularité de "Game of Thrones"
Deux bateaux de croisière par jour, avec à bord 4000 passagers maximum chacun. Emblématique du surtourisme, la ville croate de Dubrovnik, surnommée "la perle de l'Adriatique", rationne depuis 2019 les arrivées par la mer dans les ruelles de sa cité médiévale, submergées par les fans de la série "Game of Thrones".
A partir du mois de novembre, il sera par ailleurs interdit de faire rouler sa valise dans la ville croate. Les autorités locales jugent en effet que les roulettes produisent trop de nuisances sonores.
L'idée de taxer les visites fait son chemin à Venise
Imposer une taxe à ses visiteurs d'une journée: c'est le projet, plusieurs fois reporté, que Venise vient de relancer.
Cette taxe, payable en ligne et contrôlable via un QR code aux accès à la ville, coûtera de 3 à 10 euros suivant l'affluence.
La Cité des Doges limite déjà l'accès à sa lagune aux immenses paquebots de croisière, dont les vagues sur leur passage érodent les fondations de la Sérénissime et menacent un fragile écosystème, selon les défenseurs de l'environnement et du patrimoine.
ÉTATS-UNIS
Les autorités barrent l'accès aux collines fleuries piétinées
En Californie, le "superbloom" ("super floraison" en français) survient dans des conditions météorologiques bien précises. Les collines se recouvrent alors d'un tapis de fleurs chamarré qui fait fureur auprès des aficionados des réseaux sociaux.
La région entourant la ville californienne de Lake Elsinore avait connu "l'apocalypse" en 2019. Des dizaines de milliers de touristes avaient envahi la contrée, créant des bouchons et piétinant les fleurs. Les autorités ont donc serré la vis, en interdisant notamment l'accès à un chemin de randonnée et en proposant d'observer le "superbloom" à travers une webcam en direct.
Plage préservée pour reconstituer les récifs coralliens
En Thaïlande, Maya Bay, plage paradisiaque sur l'île de Koh Phi Phi Ley, a fermé entre juin 2018 et janvier 2022, afin d'obtenir une restauration complète des récifs coralliens.
Immortalisé en 2010 dans le film "La Plage" avec Leonardo di Caprio, le site avait été ravagé par des années de tourisme de masse. Jusqu'à 6000 personnes par jour déferlaient alors sur l'étroite plage longue de 250 mètres, provoquant une catastrophe écologique, entre érosion sévère et coraux endommagés. Les lieux ont rouvert avec une jauge limitée.
Autre site victime de son succès, le mont Fuji, où les réservations des refuges ont explosé, en raison de la levée des restrictions liées au Covid-19. Des responsables locaux ont réclamé en juin des mesures pour limiter l'affluence sur le plus haut sommet du Japon, qui culmine à 3776 mètres.
Les autorités locales et les associations touristiques ont mis en avant la sécurité. Sans réservation d'un refuge, certains randonneurs pourraient tenter d'atteindre le sommet d'une traite, au risque de mettre en danger leur santé, ont-elles averti.
Plusieurs centaines de milliers de personnes gravissent chaque année la montagne accessible uniquement en été, souvent de nuit, afin de pouvoir observer le lever du soleil depuis la cime.
Véritable casse-tête pour les autorités péruviennes qui en ont à plusieurs reprises restreint la fréquentation, la cité inca du Machu Picchu, en butte à "un excès de visiteurs", a été placée "sous haute surveillance" par l'Unesco en 2011. Actuellement, environ 4000 personnes peuvent y accéder quotidiennement.
SUISSE
Un phénomène de "surtourisme ponctuel"
Quid de la Suisse? Notre pays n'échappe pas au phénomène du surtourisme. On se souvient de l'explosion de la fréquentation au val Verzasca, au Tessin, connu pour ses eaux turquoise, décor idéal pour de belles photos sur les réseaux sociaux.
Plus récemment, c'est le village bernois d'Iseltwald, au bord du lac de Brienz, qui a défrayé la chronique, pris d'assaut par les fans d'une série sud-coréenne "Crash Landing on you".
C'est notamment un ponton (lui aussi très photogénique) qui est au centre de l'attention. Pour gérer l'attroupement, un tourniquet barre désormais l'accès à la plateforme. Pour passer, il faut débourser cinq francs.
Interrogée le 13 juillet dans l'émission Forum, Véronique Kanel, la porte-parole de Suisse Tourisme, met toutefois en garde contre la comparaison entre la situation en Suisse et celles d'autres pays.
"En Suisse, nous avons un problème que j'appellerais de "surtourisme ponctuel", ou de pics de fréquentation, qui touchent des hauts lieux touristiques, par exemple Lucerne, mais aussi des cas comme Iseltwald, où un surtourisme a été créé par une émission de télévision et par les réseaux sociaux. C'est un effet dont on ne sait pas s'il sera durable", analyse-t-elle. Elle cite aussi le cas du val Verzasca au Tessin.
Inciter à sortir des sentiers battus
Quelles mesures prendre? "Il n'y a pas de solution universelle applicable partout", pointe Véronique Kanel. Elle indique que Suisse Tourisme suit la stratégie du gouvernement français: agir sur le marketing auprès des voyageurs. Il s'agit de leur "montrer qu'il n'y a pas que les hauts lieux touristiques qui sont intéressants, mais qu'ils doivent pouvoir aussi visiter d'autres endroits dans le pays, moins touristiques peut-être, mais aussi très attractifs".
L'objectif est également de "permettre une meilleure répartition des flux touristiques, à la fois au niveau temporel – c'est-à-dire à différentes saisons – et géographique".