Les projets industriels de ce type se multiplient dans les Balkans car l'Union européenne cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures russes. Les ONG écologistes ont ainsi recensé plus de 3000 projets de centrales hydroélectriques dans le sud-est de l'Europe, une région considérée par l'Union internationale pour la conservation de la nature comme un point chaud de la biodiversité mondiale.
Dans le sud de la Bosnie-Herzégovine, à quelques dizaines de kilomètres du Monténégro, d'immenses forêts entourent des rivières aux eaux cristallines. Cette région montagneuse est aujourd'hui largement désertée par les humains, mais elle sert de refuge à la grande faune sauvage.
Chaque matin, la biologiste viennoise Manuela Habe se lève avant le soleil pour inspecter les pistes qu'empruntent les loups, les ours ou les lynx. Les grands mammifères sont la spécialité de cette chercheuse indépendante, interrogée jeudi dans l'émission Tout un monde.
"C'est vraiment génial de travailler ici, parce qu'on peut faire des observations chaque jour. On trouve beaucoup d'empreintes et de déjections. On sent que les animaux sont vraiment proches. Bien sûr, on ne les voit pas, mais on sait qu'ils sont juste autour de nous et on ressent vraiment ce sentiment de nature sauvage."
Plus qu'un poids sur l'environnement
Alors que plus de 70 projets de centrales hydroélectriques sont envisagés autour du bassin de la Neretva, le Centre pour l'environnement, principale organisation de protection de la nature en Bosnie-Herzégovine, veut s'appuyer sur les travaux des scientifiques pour s'opposer judiciairement à la destruction de l'écosystème. Vladimir Topic, l'un de ses responsables, explique:
"L'impact de ces centrales hydroélectriques n'est pas seulement environnemental, il est aussi social pour les communautés locales, et aussi économique. Le plus gros barrage envisagé est un projet très coûteux et vieux de 50 ans."
"Les données prises en compte ont elles aussi 50 ans! Avec le changement climatique, ces données ne peuvent plus être valables: on en ressent déjà les effets sur d'autres rivières de nos régions et de notre pays. En plus, la Bosnie-Herzégovine exploite déjà une quantité importante de son potentiel hydroélectrique: près de 30% de l'électricité du pays est déjà produite chaque année par les rivières. C'est une part suffisante et nos ressources naturelles, telles que les rivières, n'ont pas besoin de payer un tribut supplémentaire au prétexte de la production d'électricité", développe-t-il.
Riche patrimoine
Étude de la faune et de la flore, cartographie du sol et des forêts... Des spécialistes bosniens et étrangers ont réalisé, durant une semaine, un précieux inventaire de ces vallées karstiques, aujourd'hui menacées par ces projets de barrages. Spéléologue, Spela Borko s'aventure dans les grottes et les gouffres de la région. Elle recherche notamment des petits animaux des cavernes, dont beaucoup d'espèces sont endémiques des Balkans. La jeune chercheuse slovène est également la coordinatrice de cette semaine scientifique originale qui veut allier recherche rigoureuse et engagement en faveur du vivant.
"Les Balkans sont assurément l'une des zones les plus riches en biodiversité de cette partie du monde. Ici, vous pouvez toujours trouver des habitats et des écosystèmes vierges, alors qu'en Europe occidentale ou centrale, nous avons détruit ce type d'habitat. En tant que scientifique, je pense qu'il est important que nous donnions quelque chose aux communautés locales, en leur montrant ce qu'elles possèdent et pourquoi elles ne devraient pas le détruire", avance-t-elle.
L'Autriche a connu une situation similaire lors de la création du parc national de Neusiedler See, dont les riverains ne voulaient pas. Mais plus de 25 ans après, celui-ci semble faire consensus. "On voit bien que tout le monde peut en vivre. Plus nous avons de biotopes dans le monde, plus ils sont liés les uns aux autres et plus l'ensemble du système est stable", décrit Thomas Zechmeister, un passionné qui espère que les autorités et les populations locales verront l'intérêt de préserver cet environnement sain.
Sujet radio: Louis Seiller
Adaptation web : juma