A ce jour, six des 12 opérations de maintien de la paix onusiennes sont en Afrique. Très coûteuses, une bonne partie d'entre elles ne rempliraient plus leur mission. Selon Gilles Yabi, président du think tank africain WATHI, la première critique émise contre ces missions onusiennes concerne en effet leur "inefficacité relative sur le terrain".
Cet avis est partagé par Arnold Djuma, un membre actif de la société civile à Goma, dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). "La Monusco a fait plus de 20 ans avec des moyens énormes, mais l'insécurité persiste", explique-t-il dans La Matinale de la RTS.
Principes fondamentaux
Pour le politologue et chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) Romuald Sciora, cet écueil s'explique notamment par les principes fondamentaux qui régissent des opérations de maintien de la paix.
L'un des principes concerne le non-recours à la force. La seconde règle est l'impartialité et, selon Romuald Sciora, "quand vous vous trouvez dans un conflit où il y a un agresseur évident qui s'apprête à commettre un génocide, il est assez difficile de demeurer impartial".
Enfin, les opérations de maintien de la paix "ne peuvent être mises en place sans le consentement des parties impliquées", explique le chercheur. "Dès que l'on parle d'un conflit où il est très clair qu'il y a un agresseur et un agressé, il paraît difficile voire impossible d'obtenir le consentement des deux parties pour déployer une opération de maintien de la paix", poursuit-il dans l'émission Tout un monde.
Départ organisé
Le Conseil de sécurité de l'ONU a d'ailleurs mis un terme immédiat fin juin à la mission des Casques bleus au Mali, parce que la junte au pouvoir s'opposait à leur présence.
"Dès que l'on doit avoir le consentement de l'ensemble des parties impliquées dans le conflit, le risque est d'avoir une de ces parties qui refuse de donner son consentement", résume Romuald Sciora.
Mais il n'y a pas qu'au Mali que les forces onusiennes se retirent. En RDC, la Monusco termine son mandat fin 2024. Aucune prolongation n’est prévue et une force d’interposition africaine devrait prendre sa place.
"A mon avis, la population pense que si ces forces partaient, peut-être qu'il y aurait d'autres alternatives qui pourraient assurer une paix durable", affirme Arnold Djuma, estimant toutefois qu'il ne faut pas se précipiter.
Le départ de l'ONU doit être graduel et très organisé pour éviter que la région ne sombre encore davantage dans la violence. "Il faut bien préparer le départ de toutes ces forces pour nous assurer que les groupes armés ne se réactivent pas encore une fois et créent beaucoup plus d'insécurité", explique-t-il.
En effet, en l'absence de ces missions de maintien de la paix, l'un des risques est aussi de voir des armées ou des milices privées profiter de ce vide. Or, celles-ci sont loin d'être garantes de stabilité.
"Une armée privée, malheureusement, n'a à répondre qu'à son patron", explique Romuald Sciora. "Là on est très loin de l'impartialité et du consentement de l'ensemble des parties".
Privilégier la formation
A l'interne également, le bien-fondé de ces missions est remis en question. Le secrétaire général des Nations unies constate en effet qu'elles ne sont plus adaptées au monde d'aujourd'hui. Pour Antonio Guterres, nous arrivons à la fin d'un cycle et il faut repenser notre approche de la paix et de la sécurité en privilégiant les organisation régionales.
Romuald Sciora met toutefois en garde contre ce qu'il estime être une "erreur monumentale". Selon le chercheur à l'IRIS, "si on commence à déléguer à des sous-traitants ce que l'ONU devrait faire, c'est vraiment la débandade la plus totale".
"On sait très bien que, par exemple, l'Union africaine peut avoir certains intérêts vis-à-vis de certains Etats et que si une opération de maintien de la paix est déployée sous l'égide d'une organisation régionale, quelle qu'elle soit, il serait difficile de parler d'impartialité", affirme-t-il.
Une solution à apporter serait, selon lui, de "trouver un budget qui permettrait la formation à travers le monde de quelques milliers de militaires appartenant à différentes armées afin que ceux-ci puissent être préparés à des opérations de maintien de la paix sur le terrain".
"La plupart des soldats qui constituent des régiments qui sont déployés sous drapeau de l'ONU proviennent malheureusement de pays ne disposant pas toujours d'armée professionnelle", rappelle-t-il, déplorant un manque de "formation militaire adéquate".
Un modèle à repenser
Certains experts appellent quant à eux à revoir complètement le modèle de ces missions. "Certains des principes fondamentaux du maintien de la paix deviennent de plus en plus intenables dans les conflits actuels", affirme la chercheuse spécialiste de l'Afrique Ornella Moderan.
Selon elle, ces limites "ne sont pas anecdotiques et ne sont pas le fait d'un cas isolé". "C'est en cela qu'on peut se demander si au fond ce n'est pas tout le modèle de maintien de la paix qui doit être repensé".
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Le monde ayant beaucoup changé "depuis les années 60 et même depuis les années 90", il n'est pas déraisonnable, selon Ornella Moderan, "de penser que la doctrine du maintien de la paix devrait elle aussi évoluer pour mieux coller aux réalités des conflits et de la géopolitique actuelle".
Le Conseil de sécurité de l'ONU va se saisir de la question vendredi à New York et débattre de l'avenir de ces missions.
Sujets radio: Nicolas Vultier et Patrick Chaboudez
Adaptation web: Emilie Délétroz