Les femmes afghanes, de plus en plus exclue de l'espace public, passent désormais davantage de temps à la maison. Radio Begum - "radio des reines" en persan - est donc devenue indispensable dans le quotidien si fermé des femmes. Les programmes ont été adaptés aux restrictions auxquelles celles-ci font face, ainsi qu'à leurs besoins.
"Nous avons des programmes éducatifs", explique Hamida Aman, la fondatrice de Radio Begum, dans l'émission Tout un monde de la RTS. "Tous les jours, nous enregistrons des cours radiophoniques en présence de vraies adolescentes et nous les émettons à la radio".
En tout, six heures d'antenne sont consacrées quotidiennement à l'éducation. "Nous couvrons le programme du secondaire", explique Hamida Aman. Depuis le retour des talibans, l'accès à l'éducation secondaire et à l'université est en effet interdit aux femmes.
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La radio propose également un soutien psychologique, des conseils santé, des conseils spirituels, et même des conseils "business".
Situation fragile
La situation reste toutefois fragile pour la radio, qui doit constamment négocier avec les talibans. "Chaque jour que Radio Begum émet est pour nous une petite victoire, parce que depuis son lancement, nous vivons en permanence avec ce danger d'être coupés du jour au lendemain", affirme Hamida Aman.
Afin de ne pas mettre ses équipes en danger, la radio, basée à Kaboul, doit donc garder un dialogue avec le pouvoir en place. "Le but, c'est de ne pas être en confrontation directe, parce que notre travail c'est d'aider les femmes, d'être une voix pour les femmes et de leur apporter des conseils, de faire résonner leurs voix", poursuit Hamida Aman.
Les programmes sont donc fortement surveillés et pas une semaine ne passe sans que la radio ne soit convoquée par les services de sécurité ou par le ministère pour la prévention du vice et de la vertu. "On navigue à vue et on marche sur des oeufs avec ce régime totalitaire", résume la fondatrice de la radio.
"Apartheid des femmes"
Malgré tout, le rayon de diffusion de Radio Begum s'étend. "Nous avons des antennes disséminées un peu partout dans le pays", explique Hamida Aman. "Actuellement, nous couvrons plus de 15 provinces sur 34, ce qui est une très belle victoire".
Ce contraste avec la situation des femmes en Afghanistan étonne toutefois Hamida Aman. "On nous autorise à étendre notre couverture dans le pays et en même temps, le monde des femmes se restreint. Donc on est un petit peu sans voix par rapport à tous ces paradoxes", affirme-t-elle.
La liberté des femmes recule en effet un peu partout dans le pays. La semaine dernière, l'un des derniers espace de rencontre hors de leur maison s’est éteint aussi avec la fermeture de milliers de salons de beauté.
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Hamida Aman, qui était sur place avec ses équipes pour cette fermeture, explique que "c'était d'une tristesse incroyable" pour les femmes. "C'est encore un secteur supplémentaire qui se ferme à elles et qui leur fait bien comprendre qu'elles sont des citoyens de seconde zone", explique-t-elle.
Si les femmes sont pour l'instant encore tolérées dans l'espace public, elles en sont de plus en plus exclues. L'Afghanistan semble glisser vers un véritable "apartheid des femmes".
"On ne serait pas étonnées si bientôt on nous disait de simplement rester chez nous, puisque tout nous est interdit: l'école, l'université, les parcs, les salles de sport, la fonction publique", déplore Hamida Aman. "Le monde des femmes se restreint et on se sent dévalorisées. Au fur et à mesure, les femmes afghanes réalisent que leur vie n'a plus d'importance et personne ne s'en préoccupe".
Appel à la solidarité
Face à cette situation, plus d’1,6 million d'Afghans et d'Afghanes ont fui leur pays, selon l'ONU. La majorité ont trouvé refuge dans les pays voisins et d’autres sont arrivés en Europe. Ainsi, en deux ans, les demandes de visas humanitaires ont bondi, mais ceux-ci sont délivrés au compte-goutte.
Hamida Aman lance un appel à la solidarité pour ces femmes qui "ne sont pas nombreuses". "Je demande à la Suisse, à la France et à tous les autres pays européens d'accorder un visa humanitaire pour les femmes, souvent seules et jeunes, pour qu'elles aient au moins la chance de respirer", clame-t-elle.
"Cet apartheid existe et si on ne fait rien, on est complice", lance Hamida Aman. "On ne peut pas autoriser un pays à effacer 50% de sa population et de l'écraser comme le régime afghan le fait", conclut-elle.
Propos recueillis par Céline Tzaud
Adaptation web: Emilie Délétroz