1. La traversée de la Méditerranée pour rejoindre l'Europe
Mohamed a 28 ans, il est originaire d'Alep, dont des quartiers entiers ont été réduits à l'état de ruines durant la guerre civile syrienne. Il était à bord d'un bateau qui a fait naufrage au large de Malte en mai dernier. Après avoir débarqué en Italie, il se trouve désormais dans un centre d'accueil pour exilés en Allemagne, près de Munich, où près de 200 Syriens s’entassent en attendant l’examen de leur demande d’asile par les autorités allemandes.
Il explique avoir trouvé un peu de répit. "Je me sens très triste, mais on ne peut rien faire d’autre. L’Europe est la seule solution pour nous les Syriens. Maintenant, je me sens en sécurité."
Le jeune Syrien raconte son long parcours d’exil. Au commencement, il y a la révolution syrienne, en 2011, réprimée dans le sang par le régime de Bachar al-Assad. Dans le pays, tous les hommes âgés de 18 ans à 22 ans doivent faire le service militaire. Mais Mohamed refuse.
Je ne voulais pas rejoindre l’armée syrienne, je ne voulais tuer personne.
Considéré comme déserteur, il doit fuir la Syrie en 2017, à 22 ans, et passe par le Soudan, puis l'Irak, des pays où il ne retrouvera jamais la stabilité dont il rêve. Début 2023, il décide de prendre la route de l’Europe, en passant par la Libye. Dans ce pays, il est kidnappé par un groupe armé et retenu pendant près d’un mois. Ils sont plus d’une centaine d’hommes entassés dans un hangar. Privés de nourriture, ils doivent boire l’eau des toilettes. Et puis un jour, les passeurs viennent les chercher.
"Sur la plage, nous avons attendu douze heures. Après, ils sont venus nous chercher et nous ont amenés à la mer. Le bateau était en très mauvais état. Nous avons refusé d'y monter, mais il nous ont dit que si on n'embarquait pas, ils nous tueraient."
Mohamed embarque avec une soixantaine d’autres exilés, dont des femmes et des enfants. Il craint pour sa vie. "La mer était très agitée. Je pensais que j’allais mourir. Je sais nager, mais la mer est très dangereuse et il n'y a aucune terre autour, juste la mer à perte de vue", témoigne-t-il.
Après quatre jours en mer, Mohamed utilise le téléphone satellite donné par les passeurs pour alerter sa famille. Son frère parvient à donner leur localisation à des ONG qui patrouillent en mer. SOS Méditerranée les localise près de Malte et il est embarqué sur un bateau semi-rigide de l'organisation.
Lucille, une des sauveteuses, se rappelle de sa rencontre avec les rescapés. "Ce qui m'a tout de suite marqué, c'était leurs visages. Leur peau était brûlée par le soleil. J'ai pensé à ce que ces années de guerre avaient fait endurer à ce peuple syrien, à leur vie qu'ils risquaient pour traverser la mer."
Si Mohamed est en vie aujourd’hui, c’est grâce à SOS Méditerranée. "Nous n’avions plus de nourriture, plus d’eau potable et plus d’essence pour le bateau. Quand nous avons aperçu le bateau de secours, nous étions très heureux. Une nouvelle vie s'offrait enfin à nous."
A bord de l'Ocean Viking, Mohamed reprend des forces. Trois jours plus tard, il débarque en Italie et pose enfin le pied en Europe, le début d’une nouvelle étape sur le chemin de son exil.
2. Le début du périple en Europe pour aller jusqu’en Allemagne
Chaque week-end, Mohamed quitte le centre d'accueil où il vit depuis trois mois, près de Munich en Allemagne, pour rejoindre Ahmed, son frère, qui vit à une heure de route de là. Ce dernier est l’aîné de la famille. Il est arrivé en Allemagne il y a neuf ans. Alors qu'il était menacé d’être enrôlé de force dans l’armée de Bachar al-Assad, lui aussi a dû fuir.
Pendant plusieurs mois, Ahmed a vécu dans l’angoisse. Il était le seul contact de Mohamed en Libye et lors de sa traversée de la Méditerranée.
J'ai eu peur, je pensais que je n’allais jamais le revoir. Ça a été difficile pour lui. J’espère qu'un jour, toute notre famille pourra être réunie ici, en sécurité et heureuse. Ma mère, mon frère, ma soeur et mon père
Pour traverser la Méditerranée et rejoindre l'Europe, Mohamed a dû débourser 2000 dollars. Son seul et unique objectif était de retrouver son frère en Allemagne. Après avoir été sauvé par SOS Méditerranée, il était donc hors de question pour Mohamed de rester en Italie, où il a été dirigé vers un camp de réfugiés. C'était le 5 mai dernier.
"Quand je suis arrivé au camp avec mon ami, j’ai dit à un responsable des lieux qu’on ne voulait pas rester. Je lui ai expliqué que je voulais aller en Allemagne, là où vit mon frère. Cette personne m’a dit: 'Il faut partir maintenant, parce que demain, les autorités italiennes vont venir vous prendre en photo et prendre vos empreintes digitales. Donc si vous voulez partir, partez vite'. Mon ami et moi sommes donc sortis. On a pris un bus pour Milan, puis un taxi pour l’Allemagne."
Ce que Mohamed appelle un taxi est en fait la voiture d'un passeur, qu'il a encore une fois dû payer. Cette fois, il a dû sortir de sa poche 400 dollars pour passer cette nouvelle frontière.
Au regard de loi européenne, qu’on appelle le règlement de Dublin, le jeune Syrien aurait dû rester en Italie et y faire sa demande d'asile. Mais chaque jour, le pays voit débarquer sur ses côtes de nouveaux exilés. Les responsables des camps où s’entassent des milliers personnes laissent donc partir ceux qui le souhaitent. Pour la plupart, les Syriens prennent la direction de l’Allemagne, parce que, comme Mohamed, c’est dans ce pays qu’ils espèrent débuter une nouvelle vie.
"Quand j’aurai appris à parler allemand, je voudrais faire des études de commerce. Je connais déjà quelques mots comme "bonjour", "merci" ou "de rien". Doucement, doucement, comme on dit en arabe", rigole-t-il.
Mohamed sourit sans cesse, un sourire de façade pour camoufler ses blessures invisibles. Comme tous les exilés qui ont fait face au pire pour rejoindre l'Europe, le jeune Syrien est traumatisé par ce qu'il a vécu.
"Quand je suis arrivé chez mon frère, j'ai dormi pendant dix jours. J'étais très mal après tout cela. Tout mon corps me faisait mal. J'avais des problèmes psychologiques. Quand je dormais, je voyais le bateau, la mer, des trucs étranges que je ne peux pas décrire. Je ne pouvais pas dormir. Quand je fermais les yeux, je voyais des choses, je rêvais aussi des hommes en Libye qui voulaient me tuer. Maintenant, ça va mieux grâce à Dieu."
3. Comment imaginer son avenir loin de son pays et de sa famille
Comment imaginer son avenir quand on a 28 ans et qu'on ne peut pas retourner dans son pays? Cette question, Mohamed se la pose tous les jours, surtout qu'il a dû laisser derrière lui sa femme et son fils de 5 ans. Toute la journée, il garde son téléphone en main dans l'espoir de recevoir des nouvelles de leur part. Leur communication ne dépend que d’une chose: l'état de la connexion en Syrie.
Mohamed n’a pas voulu que son fils et sa femme montent dans un bateau pour traverser la Méditerranée. Réfugiés pendant un temps en Irak, ils sont finalement rentrés en Syrie dans une zone sous contrôle du régime.
"J'ai dit à ma femme de rester à la maison. En Syrie, la situation est très compliquée, il n'y a pas d'électricité, pas d'eau potable, pas d'internet. Si je travaille en Syrie sans m'arrêter, mon salaire pour un mois sera seulement de 20 ou 25 dollars. Beaucoup de gens ne mangent plus de viande car c'est trop cher. Aujourd'hui, il faut un mois de salaire pour acheter un kilo de viande", raconte-t-il.
Pour des raisons de sécurité, le nom de la ville où vivent aujourd’hui l’épouse de Mohamed et son fils doit rester secret. Ils risqueraient d’être arrêtés et détenus dans l’une des nombreuses prisons du régime de Bachar al-Assad.
Face au retour du dirigeant syrien sur la scène internationale, avec notamment la reprise des liens avec la Ligue arabe, les départs depuis les zones contrôlées par le régime se multiplient. La Syrie se vide ainsi chaque semaine un peu plus. Selon l’ONU, depuis le début de la révolution en mars 2011, six millions de Syriens ont quitté Damas, Alep, Homs ou encore Raqqa.
Ahmed, le frère de Mohamed, est parti il y a neuf ans pour rejoindre l’Allemagne. "Mon pays me manque. Ma terre natale me manque. Les rues, les immeubles, la nourriture, la musique traditionnelle arabe... J’espère qu’un jour, je pourrai retourner en Syrie pour retrouver tout ce qui me manque."
Mohamed, lui, ne veut pas entendre parler de retour. Après plus de douze années de guerre, il a perdu tout espoir. "Vous ne pouvez rien changer. Nous avons essayé, essayé encore. Mais le régime de Bachar al-Assad et les autres pays arabes sont aujourd’hui de nouveau d’accord. C’est très mauvais pour le peuple syrien. Les Syriens sont fatigués", résume-t-il, avant de poursuivre: "Moi, je ne demande rien. Je veux juste vivre tranquille. Sortir, rentrer chez moi, faire ce que je veux. Je veux juste ne pas mourir." Hors de question, donc, de rentrer un jour en Syrie.
Il espère maintenant pouvoir rapidement obtenir l’asile en Allemagne et demander un regroupement familial. Il s'agit de son unique espoir pour revoir un jour sa femme et son fils. Mais cette procédure peut prendre plusieurs mois, voire plusieurs années.
Reportage radio: Céline Martelet, Alexandre Rito
Adaptation web: Carlotta Maccarini et Fabien Grenon