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Un monde climatisé paraît inévitable, mais il est possible de le rendre moins énergivore

Un monde climatisé est-il inévitable? [AFP - Martin Bertrand / Hans Lucas]
Un monde climatisé paraît inévitable, mais il est possible de le rendre moins énergivore / Le Journal horaire / 25 sec. / le 5 août 2023
Généralisée aux Etats-Unis, décriée en Europe, convoitée en Asie du Sud: face aux vagues de chaleur qui s'intensifient, la climatisation s'est imposée comme sujet de débat mondial. Malgré son impact négatif sur le climat, sera-t-il vraiment possible de continuer à s'en passer à l'avenir?

Pour le meilleur et pour le pire, elle est l'une des solutions d'adaptation les plus répandues dans un monde qui se réchauffe. Pour des millions d'habitantes et habitants, l'air conditionné est devenu un quasi-bien de première nécessité, assurant ni plus ni moins que leur survie, selon les experts.

Mais si la climatisation apporte un soulagement immédiat, elle est coûteuse pour le climat. Car pour alimenter ces climatiseurs en électricité, des centrales rejettent davantage de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, réchauffant encore plus la planète.

Actuellement, la climatisation est responsable de l'émission d'environ un milliard de tonnes de CO2 par an sur un total de 37 milliards émises mondialement, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), soit près de 3%.

Dizaines de milliers de vies déjà sauvées par l'air conditionné

Est-il possible d'enrayer ce cercle vicieux? Oui, plaident les spécialistes. Et pas forcément en s'en passant complètement, mais en développant la part des énergies renouvelables, en concevant des climatiseurs moins gourmands en énergie et en envisageant d'autres techniques de refroidissement. "Certains puristes pensent que nous ne devrions pas du tout utiliser l'air conditionné, mais je pense que ce n'est tout simplement pas faisable", estime Robert Dubrow, directeur du Centre sur le changement climatique et la santé à l'Université Yale.

L'accès à la climatisation sauve déjà des dizaines de milliers de vies par an, un chiffre en augmentation, selon un récent rapport de l'AIE, dont il est l'un des auteurs. Des études montrent ainsi que le risque de décès lié à la chaleur est réduit d'environ 75% pour les foyers ayant un climatiseur. Aux Etats-Unis, où environ 90% des ménages sont équipés, d'autres travaux ont souligné le rôle de la climatisation pour protéger la population et l'effet potentiellement dévastateur de coupures de courant en pleine vague de chaleur.

Un coût environnemental lourd

Au niveau mondial, toutefois, sur les 3,5 milliards de personnes qui vivent dans des climats chauds, seules environ 15% ont l'air conditionné, relève l'AIE.

Le nombre de climatiseurs dans le monde (environ 2 milliards aujourd'hui) est donc appelé à grimper en flèche, sous l'effet combiné de la hausse des températures et des revenus, particulièrement en Chine, en Inde et en Indonésie. En Inde, la part des foyers équipés de climatiseurs pourrait passer de 10% à 40% d'ici 2050, réduisant significativement l'exposition de la population à la chaleur, selon une récente étude.

Les pics de chaleur en Californie font grimper les demandes d’électricité. [Keystone/AP Photo - Damian Dovarganes]
Les pics de chaleur (ici en Californie) font grimper les demandes d’électricité. [Keystone/AP Photo - Damian Dovarganes]

Mais l'électricité supplémentaire requise équivaudrait à la production annuelle d'un pays comme la Norvège. Si le réseau indien utilise alors toujours autant d'énergies fossiles, cela signifierait environ 120 millions de tonnes de CO2 émises en plus, soit 15% des émissions du secteur énergétique du pays actuellement.

Les problèmes posés par l'air conditionné ne s'arrêtent pas là. Les climatiseurs utilisent généralement des gaz réfrigérants (de type HFC) qui peuvent être des milliers de fois plus puissants que le CO2 en matière de réchauffement lorsqu'ils s'échappent dans l'atmosphère. De plus, en rejetant de l'air chaud dans les rues, l'air conditionné contribue à l'effet d'îlot de chaleur urbain. Une étude de 2014 a simulé la hausse de température, de nuit, à 1°C au centre-ville.

La climatisation pose par ailleurs un immense problème d'équité. Le coût empêche de nombreuses familles d'y avoir accès. Et même lorsque l'appareil est installé, le prix de la facture d'électricité peut les forcer à choisir entre se refroidir et d'autres besoins essentiels.

Approches complémentaires recherchées

"Dans certains pays", mais aussi "pour certaines personnes vulnérables", comme les personnes âgées ou enceintes, "nous avons vraiment besoin de la climatisation", juge Enrica De Cian, chercheuse sur ces questions à l'Université Ca' Foscari de Venise. Mais pour elle, la combiner avec d'autres approches complémentaires est essentiel.

D'abord, en continuant à augmenter la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité, afin que celle utilisée par les climatiseurs entraîne moins d'émissions. Mais aussi en développant et installant des climatiseurs abordables consommant moins d'énergie, ce à quoi des start-up s'attellent (lire encadré). L'AIE plaide pour des normes d'efficacité plus strictes, mais aussi pour que les climatiseurs ne puissent pas être réglés à moins de 24°C.

Selon Clara Camarasam, experte à l'AIE, "l'existence de normes de performance énergétique minimales et de labels apposés sur les équipements est essentielle. Dans l'Union européenne et aux Etats-Unis, les normes et labels ont déjà permis de diminuer de plus de moitié la consommation énergétique des climatiseurs. Mais il est vrai qu'on peut toujours y trouver des équipements peu efficaces, et c'est là notre mantra: un produit efficace n'est pas forcément plus cher".

"Nous devons parvenir à nous refroidir de façon viable"

Au-delà des émissions, ces aspects permettraient de limiter les risques de coupures de courant liées à une trop forte demande. Les jours de chaleur, la climatisation peut représenter plus de la moitié du pic de consommation.

Mais surtout, les experts martèlent le besoin simultané de mesures d'aménagement du territoire: multiplication des espaces verts et plans d'eau, trottoirs et toits réfléchissant les rayons du soleil, meilleure isolation des bâtiments... "Nous devons parvenir à nous refroidir de façon viable", résume Robert Dubrow, car avec le réchauffement climatique, "les choses ne feront qu'empirer". Or, beaucoup de ces solutions sont "très faisables" selon lui. "Les mettre en place n'est qu'une question de volonté politique."

>> Voir aussi le sujet du 19h30 sur le mois de juillet 2023 le plus chaud de l'histoire :

Le mois de juillet est le plus chaud jamais enregistré dans l'histoire. Ces phénomènes climatiques extrêmes inquiètent
Le mois de juillet est le plus chaud jamais enregistré dans l'histoire. Ces phénomènes climatiques extrêmes inquiètent / 19h30 / 1 min. / le 27 juillet 2023

agences/iar

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Rendre les climatiseurs moins gourmands et moins polluants, le défi de l'industrie

Face à la généralisation de l'air conditionné pour faire face au réchauffement climatique, l'industrie et la recherche travaillent à rendre les appareils moins gourmands en électricité et à se passer des gaz réfrigérants ultra-nocifs pour l'environnement.

L'innovation se fait sur trois fronts, le plus évident étant les besoins en énergie, qui constituent pour les climatiseurs aux Etats-Unis, par exemple, 6% de toute l'électricité produite dans le pays. Plusieurs améliorations techniques, notamment la technologie dite "inverter" qui permet de moduler la vitesse du moteur, ont déjà permis de réduire de moitié la consommation moyenne d'électricité des climatiseurs depuis 1990, selon le ministère américain de l'Energie.

Le deuxième défi du secteur consiste à trouver des substituts aux gaz réfrigérants qui équipent encore l'essentiel du parc. Bien qu'enfermés dans les appareils, ces gaz peuvent s'échapper en cas de fissures ou de non-recyclage du climatiseur. Les sites industriels ont déjà recours à d'autres gaz, comme l'ammoniac, qui ne contribue pas à l'effet de serre, ainsi qu'aux hydrocarbures, principalement le propane, dont les émissions sont moindres que le méthane.

Refroidir l'air avec de l'eau

Autre piste: la jeune société Pascal, créée cette année à Cambridge, dans l'Etat américain du Massachusetts, travaille à la création d'un mécanisme centré sur des réfrigérants qui ne quittent jamais l'état solide et évitent ainsi toute émission. D'autres développent des climatiseurs qui se passent de compression, technologie énergivore qui a peu changé depuis son invention en 1902.

Des chercheurs de l'Université nationale de Singapour et, de façon distincte, une équipe du Wyss Institute de l'Université d'Harvard, aux Etats-Unis, ont ainsi mis au point des climatiseurs qui utilisent de l'eau pour refroidir l'air.

Enfin, reste à résoudre le problème du rejet d'air chaud hors des bâtiments, que le refroidissement à eau ne résout pas. Parmi les quelques options existantes, les systèmes géothermiques évitent de réchauffer l'air extérieur grâce à un réseau de tuyaux enterrés.