Le climat de la rentrée politique et scolaire est tendu en Allemagne. Avant les vacances d'été, plusieurs enseignants et enseignantes ont en effet demandé leur mutation. Ils avaient dénoncé des signes néo-nazis dans leurs collèges. Ne recevant aucun soutien, ils ont préféré partir.
A un an de scrutins européens et régionaux importants, le parti d'extrême droite allemand est devenu l'une des plus grandes formations politiques du pays, dix ans après sa création.
Dans les dernières enquêtes, cette formation pointe désormais en deuxième position au plan national (19 à 22%), devant le Parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz, et juste derrière les conservateurs (26 à 27%), actuellement dans l'opposition.
"Dénoncer les professeurs qui seraient des gauchistes"
Hélène Miard-Delacroix est professeure d'histoire à la Sorbonne, spécialiste de l'Allemagne. Invitée dans l'émission Tout un monde, elle analyse ces événements.
"On a eu des pressions de l'AfD demandant aux élèves et aux parents de 'dénoncer les professeurs qui seraient des gauchistes' et qui auraient des propos non conformes à leur vision de comment devrait être le monde. Pour l'instant, ce sont des cas isolés. Il ne faut pas en faire une tendance", nuance la spécialiste.
Mais pour elle, ce phénomène est "assez révélateur de la façon dont les principaux partis politiques et en particulier l'AfD - qui est sur la ligne d'un combat pour la culture, le 'Kulturkampf' en allemand - interviennent dans l'école, en considérant que l'école est un maillon faible, un maillon fragile".
"Population allemande de base envahie"
L'historienne observe que l'école est devenue une nouvelle arène politique pour certains partis. Selon elle, l'AfD voit cette institution "comme un laboratoire où se joue les différentes tensions d'une société de plus en plus diverse et multiculturelle et qui mettrait en évidence - prétendent-ils - les violences de certains groupes, l'incapacité de certains autres à s'intégrer, et l'état de victime dans lequel serait la population allemande 'de base', qui serait 'envahie'."
En réaction, "les professeurs ne veulent pas jouer cette ligne", estime-t-elle. "Il y a une inquiétude du côté des professeurs de voir pénétrer dans leurs écoles les problèmes de la société, en particulier cette question de l'anti-sémitisme, des signes néo-nazis. Ponctuellement, on voit des réactions de professeurs exaspérés qui s'en vont. Ce n'est pas un phénomène généralisé, mais ce sont des signaux à la fois sur les stratégies de l'extrême droite et sur l'inquiétude de ceux qui sont en charge de nos enfants".
L'ambiance n'est donc pas au beau fixe. "Il y a beaucoup d'inquiétudes en Allemagne. (...) Jusqu'alors, les politologues analysaient le vote pour l'extrême droite allemande comme une protestation (...). Or, on voit au contraire qu'il y a une adhésion à la proposition que fait l'extrême droite".
"On assiste à un virage, qui concerne beaucoup de pays européens: les idées et propositions de l'extrême droite, qui est contre les migrants, xénophobes et climatosceptiques, marquent des points dans une partie de la société", conclut-elle.
Propos recueillis par Céline Tzaud
Adaptation web: Julien Furrer
Le cas de la petite ville de Burg
En avril 2023, deux professeurs d'une trentaine d'années, en poste au collège Mina Witkojc de Burg, dans l'est de l'Allemagne, dénoncent l'idéologie raciste et homophobe de certains élèves, dans une lettre anonyme envoyée à la presse locale.
"L'extrémisme de droite était affiché sans complexe dans l'école: des saluts hitlériens aux croix gammées dessinées sur les dictionnaires et sur les casiers des élèves, en passant par des paroles racistes ou homophobes", raconte un des deux professeurs.
Après la publication de la lettre des deux enseignants, d'autres écoles de l'est de l'Allemagne ont signalé des faits similaires. L'affaire a fait grand bruit au plan national.
"Dégage à Berlin"
A la fin de l'année scolaire, une lettre anonyme au nom de certains parents d'élèves adressée à la direction de l'école exige la démission des deux enseignants. Une centaine d'autocollants, avec la photographie des deux professeurs et la mention "dégage à Berlin", sont affichés un peu partout dans Burg.
Un appel à pourchasser les deux enseignants est même lancé sur un compte Instagram avant d'être retiré. Les deux professeurs demandent alors leur mutation.
Une décision applaudie par l'AfD: "Ils ne sont pas capables d'affronter les vents contraires", assène Lena Kotré, députée au Parlement régional du Brandebourg, qui les traite de "lâches", dans un entretien à l'AFP. Elle minimise les saluts hitlériens des élèves, étayés par des photographies. Ce délit est pourtant passible de trois ans de prison en Allemagne.