1. Pourquoi le président nigérien Mohamed Bazoum a-t-il été renversé?
Mohamed Bazoum a pris la tête du Niger le 2 avril 2021, après avoir été élu démocratiquement par un peu plus de 55% de ses concitoyens et concitoyennes. Réputé proche de l'Occident, il a notamment accepté de reprendre des centaines de migrants enfermés dans des centres de détention en Libye et a également pris plusieurs mesures pour enrayer le trafic d'êtres humains en Afrique de l'Ouest.
Issu d'une tribu ultra-minoritaire, les Oulad Souleymane — principalement présents en Libye, Mohamed Bazou a réussi à être élu en se détachant d'un vote communautaire. Il n'a toutefois pas échappé à de lourdes critiques identitaires de la part de l'opposition.
Mais d'après les putschistes, emmenés par le général Abdourahamane Tchiani, commandant de la garde présidentielle, c'est surtout "la dégradation de la situation sécuritaire" dans le pays qui aurait justifié le renversement du président. Pour le général insurgé, Mohamed Bazou n'aurait cessé d'avoir "un discours politique" censé faire croire "que tout va bien" alors que la dure réalité est là, "avec son lot de morts, de déplacés, d'humiliation et de frustration".
Déstabilisé par la montée en puissance de groupes djihadistes au Sahel, le Niger fait en effet face depuis de nombreuses années à des défis sécuritaires importants. Néanmoins, pour Gilles Yabi, analyste politique et fondateur du groupe de réflexion ouest-africain WATHI, le problème est plus profond.
"Il y a des critiques légitimes sur l'absence de crédibilité des élections, l'instrumentalisation de l'institution judiciaire pour écarter les opposants, l'ampleur de la corruption et les écarts de richesses qui se creusent (...) Ce sont ces déficits de gouvernance qui servent d'argument aux militaires pour prendre le pouvoir et qui rencontrent un certain écho dans la population", juge-t-il dans une interview pour France 24.
2. La Russie a-t-elle joué un rôle dans ce putsch?
Présente via le groupe paramilitaire Wagner en Centrafrique, en Libye, au Mali ou encore au Soudan, la Russie n'a pas participé activement à ce putsch. Interrogé jeudi dans l'émission Tout un monde, Arnaud Dubien, directeur de l’observatoire franco-russe à Moscou, juge qu'il y a plutôt eu un effet de surprise.
"Les événements sont intervenus lors du Forum Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg. Cela a évidemment été immédiatement utilisé d'un point de vue médiatique et politique pour démontrer un nouvel épisode du refus de l'influence française et occidentale en Afrique, mais selon toute évidence, la Russie n'est pas à l'origine des événements", explique l'expert.
Et de préciser: "Je rappelle que la Russie n'a pas d'ambassade au Niger et que Wagner n'y est pas présent. Mais elle cherche à tirer les marrons du feu, pour alimenter son narratif".
Si la Russie n'est pas impliquée directement dans ce putsch, sa propagande anti-occidentale, notamment sur les réseaux sociaux, continue en revanche à faire mouche et à exacerber un sentiment de colère déjà bien présent au Niger contre l'héritage colonial.
3. Est-ce une défaite pour la politique française?
"L'image est dévastatrice tant elle est devenue familière. Quelques valises bouclées à la hâte, les ressortissants français s’entassent à l’aéroport. Conspué dans la rue et confronté au risque d’une escalade militaire, Paris n’a d’autre choix que d’exfiltrer ses expatriés du Niger (...) C'est le préambule à un départ des troupes: un échec pour Emmanuel Macron". Ces quelques mots de Patrick Saint-Paul, rédacteur en chef du service International du Figaro, résument bien la situation.
Après la Centrafrique, le Burkina Faso et le Mali, les militaires français basés au Niger pourraient en effet être poussés vers la sortie prochainement. "Ce revirement est une mauvaise nouvelle, puisque Paris avait misé sur le président Bazoum, qui s'affichait clairement comme un partenaire des Etats occidentaux, pour avoir justement un nouveau partenariat modèle", confirme dans Tout un monde Mathieu Droin, chercheur invité au Centre d’études stratégiques et internationales à Washington.
En février dernier, Emmanuel Macron avait notamment dit vouloir miser sur un partenariat plus équitable, transparent et inclusif avec Niamey. "Les troupes françaises combattant avec les Nigériens étaient par exemple sous commandement nigérien, ce qui était un changement notable", rappelle Mathieu Droin.
La perte d'influence pour la France est donc indiscutable. Les Etats-Unis, qui n'ont pas le même passif colonial dans la région, ne devraient pas s'en sortir beaucoup mieux, car ils sont perçus comme venant du même bloc occidental, juge l'expert. L'avenir des deux bases militaires que possède Washington dans le pays est incertain.
4. Quel est le rôle de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao)?
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) est une organisation intergouvernementale créée en 1975 pour promouvoir la coopération et l'intégration économique entre les pays de la région.
Composée de 15 États membres, elle vise à favoriser le développement, la stabilité politique et la prospérité régionale en encourageant la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. Elle intervient dans divers domaines tels que l'harmonisation des politiques économiques, la sécurité, la gestion des crises et la promotion de la démocratie.
En l'espace de moins de deux ans, l'organisation a suspendu trois de ses membres (Mali, Guinée, Burkina Faso) après des coups d'Etat. Avec ce nouveau putsch au Niger, elle joue donc sa crédibilité. Raison pour laquelle elle envisage une intervention militaire et a dans un premier temps lancé un ultimatum belliqueux aux putschistes.
Si ces quatre pays ne comptent que pour 10% dans le PIB total de la communauté économique, ils couvrent près de 60% de sa superficie. Une réalité qui inquiète et pose des questions sécuritaires, notamment dans la région des trois frontières (la zone frontalière du Burkina Faso, du Mali et du Niger) qui concentre les menaces: activités criminelles, banditisme, conflits communautaires et, surtout, actions de groupes djihadistes.
Dans le sud-est du Niger, dans la région de Diffa, à la frontière avec le Nigéria, les groupes djihadistes sont aussi présents, à l'exemple de Boko Haram. Au total, Abuja partage 1500 kilomètres de frontière avec le Niger. La déstabilisation en cours à Niamey est donc vue d'un très mauvais oeil.
5. Quelles sont les forces en présence?
Si l'ultimatum de la Cedeao n'a pas été suivi d'effets dans un premier temps, la possibilité d'un conflit militaire est réelle. Le président du Nigeria Bola Tinubu, qui assure la présidence tournante de la Cedeao, a souligné espérer "parvenir à une résolution pacifique", ajoutant cependant qu'un recours à la force en "dernier ressort" n'était pas exclu.
>> Lire à ce sujet : La Cedeao prête à déployer sa force pour restaurer l'ordre consitutionnel au Niger
Lundi, le Mali et le Burkina Faso avaient de leur côté annoncé l'envoi d'une délégation pour soutenir les putschites nigériens arrivés au pouvoir. Les nouveaux gouvernants du Niger pourraient donc en théorie s'allier aux forces maliennes et burkinabè.
Mais pour le journaliste Wassim Nasr, expert des mouvements djihadistes, on assiste avant tout à un exercice "de communication", car "chacune de ces juntes contrôle à peine 50% de leur territoire", explique-t-il sur le site Franceinfo. La lutte contre les groupes armés non étatiques, terroristes et djihadistes occupent en effet déjà passablement leurs forces armées. Sur le papier, le Niger dispose d'une force de 30'000 à 40'000 hommes, mais les capacités de son armée restent difficiles à évaluer.
De son côté, la Cedeao dispose d'une force d'intervention relativement faible, avec les "forces d'attentes" (FAC) composé d'un peu plus de 1500 hommes. Mais si des pays membres comme le Nigéria, le Sénégal ou encore la Côte d'Ivoire envoyaient leurs propres soldats, 50'000 hommes pourraient être mobilisés, selon une source militaire qui s'est confiée au quotidien Le Monde. Un nombre de soldats qui pourrait même s'accroître sensiblement, si le Nigéria le décidait. Selon des chiffres rendus publics en 2015 par le ministère de la Défense, les forces armées du pays le plus peuplé d'Afrique seraient fortes de 150'000 hommes.
Mais le déclenchement d'une nouvelle guerre au Sahel pourrait surtout profiter aux mouvements djihadistes, qui bénéficient de la faillite des Etats pour proliférer. C'est en tout cas la crainte de nombreux spécialistes et experts, dont certains ont publié le 5 août dernier une tribune appelant à "empêcher ce scénario catastrophique".
Tristan Hertig