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La nuit sans fin des Afghanes

Dans le documentaire "Afghanes", quatre générations de femmes se confient et leurs témoignages sont glaçants. Car depuis leur retour au pouvoir il y a deux ans, les talibans ont renoué avec des règles d'un autre âge. Un film dur mais nécessaire sur le quotidien des femmes dans ce pays meurtri par des décennies de guerre.

Difficile de l'imaginer aujourd'hui mais, au début des années 1960, la position des femmes afghanes était parmi les plus enviables du monde musulman. Sous le règne du roi Zaher Shah, elles étaient scolarisées, enseignaient à l'université, portaient des vêtements occidentaux et siégeaient au Parlement. Certaines étaient aussi membres de cabinets ministériels.

Soixante ans plus tard, celles qui ont vécu cette période ont l'impression d'avoir rêvé. Avec le retour au pouvoir des talibans le 15 août 2021, ces acquis – réhabilités en partie durant les vingt ans de présence de la coalition internationale – ont volé en éclats. Reniant les promesses faites avant leur entrée dans Kaboul, les talibans ont renvoyé la condition féminine à ses heures les plus sombres.

Afghanes

Les femmes ont désormais l'obligation de sortir entièrement couvertes, n'ont plus accès à l'enseignement secondaire ni aux emplois de l'administration publique ou des ONG, ne peuvent plus fréquenter les parcs ni les salles de sport. En leur interdisant également la mendicité et l'accès aux bains publics, les talibans s'en prennent aux plus vulnérables d'entre elles: les pauvres.

Les femmes découvertes sont comme un bonbon sans emballage. Il attire les bactéries et les mouches et en deviendra souillé.

Extrait d'un sermon

Une économie sans femmes

Depuis le 25 juillet, les Afghanes n'ont plus le droit de gérer les milliers de salons de beauté qui parsemaient jusqu'alors le pays, les derniers îlots de liberté où les femmes pouvaient encore se retrouver. Ces commerces doivent fermer, privant de ressources des milliers de familles dans un pays où 90% des habitants ont faim.

Ces mesures ne font qu'empirer la situation économique de l'Afghanistan, déjà privé d'aides par des sanctions internationales, parmi lesquelles le gel de 9,5 milliards de dollars US d'actifs nationaux et celui des avoirs de la banque centrale d'Afghanistan. L'exclusion des femmes du monde du travail n'arrange rien. Selon l'ONU, celle-ci coûterait annuellement cinq milliards de dollars au pays.

Les plus pauvres d'entre elles en sont réduites à vendre leurs enfants, comme Jamail, 21 ans, obligée par son mari de céder trois de ses filles. Une pratique très ancrée en Afghanistan et qui tend à s'intensifier. Le prix de ces enfances sacrifiées? Trois cents francs suisses. Les petites partiront au moment de leur puberté. D'ici là, elles prient Allah pour que cela n'arrive pas.

>> Le sujet du 19h30 sur les deux ans de l'arrivée au pouvoir des talibans :

En Afghanistan, deux ans après l'arrivée au pouvoir des Talibans, les femmes ont été privées de leurs droits fondamentaux
En Afghanistan, deux ans après l'arrivée au pouvoir des Talibans, les femmes ont été privées de leurs droits fondamentaux / 19h30 / 1 min. / le 15 août 2023

Prisonnières ou résistantes

Avec tous ces interdits, de nombreuses femmes choisissent de ne plus sortir du tout. Dans la rue, elles sont à la merci des agents de la "répression du vice", une police religieuse chargée de faire respecter les lois des talibans. Résultat de cet enfermement: la santé mentale des Afghanes se dégrade et, toujours selon l'ONU, le nombre de suicides explose.

Si je meurs demain, je mourrai fière d'être restée avec les femmes d'Afghanistan jusqu'au dernier jour de ma vie.

Arezo, cheffe d'entreprise

Malgré cette situation tragique, toutes ne baissent pas les bras, notamment dans le domaine de l'éducation des filles. Des classes clandestines sont mises sur pied partout, y compris dans les campagnes. Il en existerait 10'000 dans le pays selon l'Unicef, représentant les seules possibilité d'éducation pour les adolescentes. Les talibans sont au courant mais ferment les yeux, pour l'instant.

Autre façon de résister: travailler, coûte que coûte. Arezo, par exemple, est à la tête d'un atelier de confection qui n'emploie que des femmes. Elle décrit dans l'extrait ci-dessous les difficultés rencontrées au quotidien mais refuse d'abdiquer. Elle affirme que rien ne la fera renoncer à sa dignité, pas même la mort.

Les plus courageuses de ces résistantes manifestent dans la rue pour réclamer du pain, du travail et l'accès à l'éducation. Elles défilent dans les capitale provinciales et leurs démonstrations sont violemment réprimées. En représailles, les militantes sont parfois séquestrées durant des mois. Une punition très dissuasive. A tel point qu'en deux ans, depuis le retour au pouvoir des talibans, un million d'Afghanes et d'Afghans ont quitté le pays.

>> Revoir le débat de Forum sur l'accueil des Afghanes qui ont fui leur pays :

Le grand débat - Afghanistan: faut-il accueillir toutes les femmes qui ont fui?
Le grand débat - Afghanistan: faut-il accueillir toutes les femmes qui ont fui? / Forum / 26 min. / le 14 août 2023

>> Relire le grand format réunissant plusieurs reportages en Afghanistan après le retour au pouvoir des talibans : Retour en Afghanistan

Les Documentaires RTS, Franck Sarfati

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Le rôle des tribunaux islamiques

L'unique solution pour se plaindre d'un mari violent ou demander un divorce (une démarche tabou en Afghanistan) est de faire appel aux tribunaux islamiques. Ceux-ci sont exclusivement composés d'hommes et rendent des jugements rapides, basés sur la charia, la loi coranique.

Dans ces conditions, moins de 2% des plaignants sont des femmes. Car il faut faire preuve de beaucoup de courage pour se présenter seule devant ces tribunaux. L'interprétation de la charia qu'y font les talibans prévoit des châtiments cruels, tels que la lapidation pour les femmes adultères. Ceci afin de "servir de leçon" au reste de la population.

>> Ecouter aussi le reportage de La Matinale sur les femmes à Kaboul :

Des femmes afghanes dans une rue de Kaboul. [Keystone/EPA - Samiullah Popal]Keystone/EPA - Samiullah Popal
En Afghanistan, les restrictions se multiplient pour les femmes / La Matinale / 2 min. / le 15 août 2023

Les talibans fêtent ce deuxième anniversaire

Le gouvernement taliban a fêté mardi, jour décrété férié, le deuxième anniversaire de sa prise de contrôle du pays par des célébrations et une déclaration commémorant avec fierté son retour au pouvoir.

"La conquête de Kaboul a prouvé une fois de plus que personne ne peut contrôler la fière nation afghane et qu'aucun envahisseur ne sera autorisé à menacer l'indépendance et la liberté du pays", ont salué les autorités talibanes dans un communiqué.

Les drapeaux blanc et noir de l'Emirat islamique d'Afghanistan, nom donné au pays par ses nouveaux dirigeants, flottent aux points de contrôle de sécurité de la capitale, tombée le 15 août 2021 lorsque le gouvernement soutenu par les Etats-Unis s'est effondré et que ses dirigeants se sont exilés.

Des talibans se sont aussi réunis devant l'ancienne ambassade américaine. Certains hommes prenaient des selfies pendant que des hymnes retentissaient. (afp)