De discrets pourparlers entre talibans et Occidentaux malgré "l'apartheid" visant les Afghanes
Depuis la prise de Kaboul par les talibans le 15 août 2021, la sécurité intérieure générale semble s'être améliorée, mais le pays aux plus de 38 millions d'habitants fait aussi face à l'une des pires crises humanitaires au monde.
Le régime a multiplié les mesures à l'encontre des droits des femmes, les Nations unies dénonçant un "apartheid de genre", ce qui constitue un obstacle majeur dans les négociations sur la reconnaissance du gouvernement par la communauté internationale et l'aide qu'elle pourrait apporter.
Des négociations discrètes
Et au-delà des déclarations des uns et des autres, des négociations se tiennent en toute discrétion entre les Etats-Unis et le régime taliban. Le 1er août, le Département d'Etat américain a révélé l'existence d'une rencontre avec des représentants talibans à Doha, au Qatar. Cette réunion, l'une des plus importantes connues depuis des mois, a notamment abordé la levée des restrictions et des sanctions bancaires.
Les Américains veulent se tirer de l'embarras énorme qu'a causé leur départ précipité de Kaboul
La délégation américaine a dénoncé la répression des droits des femmes, mais a "pris note" de "l'engagement renouvelé" des talibans à ne pas laisser leur pays servir de plateforme à des attaques visant les Etats-Unis et leurs alliés, faisant état aussi d'une "diminution des attaques terroristes d'ampleur visant des civils afghans".
Concernant la lutte contre l'opium, les Etats-Unis reconnaissent une "baisse significative" des surfaces cultivées cette saison depuis l'interdiction de cultiver le pavot dont est extrait l'opium.
L'embarras américain
Avec ces discussions, "les Américains veulent se tirer de l'embarras énorme qu'a causé leur départ précipité de Kaboul", relève Michael Barry, professeur à l'Université américaine de Kaboul, qu'il a été forcé de quitter, dans l'émission Tout un monde de la RTS.
En outre, "les Américains, comme les Européens, craignent qu'une famine aggravée par la sécheresse locale et par la guerre en Ukraine ne provoque encore des flux massifs de réfugiés afghans vers des pays européens. Je rappelle que 1,6 million d'Afghans ont fui leur pays depuis août 2021, ce qui est gigantesque", détaille l'universitaire. En Suisse, les personnes fuyant l'Afghanistan forment d'ailleurs le groupe le plus important dans le processus d'asile.
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Pour le régime taliban, "il s'agit avant tout de tenir", raison pour laquelle "il est prêt à faire une concession idéologique monumentale, malgré son djihadisme et son idéologie de la révolution islamique permanente, en renonçant à ce que l'Afghanistan serve, comme en 2001, de rampe de lancement pour des organisations qui voudraient s'attaquer au monde entier", constate ce spécialiste américain de l'Afghanistan.
Le régime des talibans est perçu, à raison, comme étant au-delà de ce qui est humainement supportable sur cette planète
"Les Américains sont face à un régime qui est de fait soutenu par la Russie et surtout par la Chine, dans la mesure où les talibans sont une véritable fabrication des services secrets pakistanais pour réduire l'Afghanistan à un état de vasselage permanent d'Islamabad", relève l'expert. Or, "le Pakistan est le corridor géographique essentiel menant au Golfe persique et les Chinois entérinent les choix stratégiques pakistanais".
Un régime en dehors de la légalité internationale
Le fait que le régime afghan soit reconnu ou non "ne change pas grand-chose", car "les talibans se sont mis en dehors de la véritable légalité internationale", tranche Michael Barry. "Leur régime est perçu, à raison, comme étant au-delà de ce qui est humainement supportable sur cette planète."
Les discriminations contre les femmes poussent l'ONU à parler d'"apartheid", mais il "préconise plutôt le terme 'esclavage', car les femmes afghanes sont maintenues dans la sujétion par une menace de mort permanente".
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"Les talibans ont changé dans la mesure où ils sont devenus beaucoup plus fins, rusés et sophistiqués dans leur manière de gérer leurs relations internationales", relève Michael Barry. "Mais en ce qui concerne la sujétion des femmes à un degré intolérable pour la communauté internationale, ils sont piégés par leur propre propagande. Ils ont fait de l'infériorité des femmes le pivot même de leur conception de l'islam. C'est leur ultime revendication idéologique, d'autant plus que les talibans craignent par-dessus tout l'opposition de plus extrêmes qu'eux-mêmes, c'est-à-dire Daesh".
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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Caryl Bussy
Chassés en 2001 et de retour en 2021
Arrivés au pouvoir à l'issue d'une guerre civile en 1996, les talibans en avaient été chassés en 2001, dans la foulée des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.
Engagés dans une guérilla contre le gouvernement pro-occidental soutenu par des soldats américains et une coalition internationale, ils avaient investi le palais présidentiel de Kaboul le 15 août 2021 à l'issue d'une offensive fulgurante entamée trois mois plus tôt à la faveur du début du retrait des forces étrangères.